Bruxelles veut (enfin) définir 11 nouvelles valeurs limites d'expositions à des agents cancérigènes

Bruxelles veut (enfin) définir 11 nouvelles valeurs limites d'expositions à des agents cancérigènes

19.05.2016

HSE

Deux valeurs limites contraignantes d'exposition professionnelles abaissées, une maintenue, et 11 nouvelles, notamment pour la silice cristalline alvéolaire : la Commission européenne semble décidée à réviser la directive de 2004.

Une promesse faite depuis au moins 12 ans pourrait finir par aboutir dans les mois qui viennent : la révision de la directive européenne de 2004 relative à l’exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail. Quand la Commission européenne elle-même affirme que, parmi les causes de mortalité d’origine professionnelle, le cancer tient tristement la barre avec 53 % des décès, la directive de 2004 ne définit des valeurs limites contraignantes d’exposition professionnelle que pour 3 substances. Ainsi Marianne Thyssen, commissaire européenne à l’emploi, aux affaires sociales, aux compétences et à la mobilité des travailleurs, peut-elle se féliciter de vouloir "sauver quelque 100 000 vies sur les 50 prochaines années" en présentant, le 13 mai 2016, une proposition de révision de la directive, qui commencera par de nouvelles valeurs limites pour définir le niveau maximal de concentration d’un agent cancérigène dans l’air ambiant sur le lieu de travail.

2 valeurs abaissées, 1 maintenue, 11 nouvelles

Actuellement, la directive ne comporte dans son annexe III que 3 valeurs limites, pour le chlorure de vinyle monomère (CVM), les poussières de bois dur et le benzène. Les valeurs pour les deux premiers agents seraient abaissées : de 7,77 à 2,6 mg/m3 sur huit heures pour le chlorure de vinyle, et de 5 à 3 mg/m3 pour les poussières de bois, sachant que Bruxelles estime que 3 333 000 travailleurs européens sont exposés aux poussières de bois dur, qui provoquent des cancers ORL (et 15 000 travailleurs exposés au CVM). La valeur limite du benzène resterait en revanche inchangée, à 3,25 mg/m3. Et 11 nouveaux agents feraient leur entrée dans la liste (voir le tableau ci-dessous).

L'exemple symptomatique de la SCA

Une des principales avancées, au niveau du territoire de l’Union, concerne la silice cristalline alvéolaire. Poussière produite par des procédés de travail, tels que l’exploitation de mines ou de carrières, le percement de tunnels ou encore la découpe ou le broyage de matériaux contenant de la silice comme le béton, la brique ou la pierre, la SCA menace d’un cancer des poumons ou d’une silicose plus de 5 millions de travailleurs européens, dont 70 % dans le secteur de la construction. La valeur retenue serait de 0,1 mg/m3 et l’exemple est assez symptomatique des variations réglementaires actuelles d’un pays à l’autre, qui ne semblent même pas être corrélées à des questions de voisinage et battent en brèches les tentations de pointer les mauvais élèves dans les derniers entrants.

Agents cancérigènes et dumping social

En France, cette nouvelle valeur limite pour la SCA ne changera rien : elle est identique à celle déjà en vigueur. Idem pour 10 autres pays européens (parmi lesquels le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni, la Roumanie, la Belgique ou encore l’Estonie et la Lituanie). Ce qui incitera certains à pointer le manque d’ambition de la Commission. D’autant que certains États appliquent même déjà un plafond bien plus bas. C’est le cas des Pays-Bas, de la Bulgarie, de l’Espagne, de la Finlande, de la Croatie et de Malte (qui applique la valeur limite la plus basse de l’UE). Mais il faut voir que cela obligera la Pologne, Chypre et la Grèce à diviser par dix leur valeur actuelle. Pour d’autres, à commencer par l’Allemagne, cela signifiera d’appliquer une valeur limite, aucune n’y étant actuellement en vigueur. Ce qui permet à la Commission européenne de vanter les atouts pour le marché intérieur de sa proposition de révision, qui éviterait le dumping social.

Temps long

Si Esther Lynch, secrétaire confédérale de la CES (confédération européenne des syndicats) souligne une "nouvelle importante pour la santé des travailleurs partout en Europe" et se félicite d’une "victoire durement gagnée pour les travailleurs et leurs syndicats", elle regrette tout de même "que certaines de ces limites d’exposition ne soient pas suffisantes" et que certaines autres substances n’aient pas été intégrées. La Commission pourrait néanmoins présenter des limites d’exposition pour une quinzaine de substances supplémentaires d’ici à la fin de l’année. La présidence néerlandaise s’est engagée à "soutenir la lutte contre les cancers liés au travail" ; les syndicats veulent donc se montrer confiants quant à l’avenir de la proposition de révision qui vient d’être annoncée. La Commission avait cessé de travailler sur ce dossier depuis octobre 2013 et les travaux liés à "Refit", programme de simplification réglementaire "pour une réglementation affûtée et performante". Car lorsque Marianne Thyssen explique "suivre l’avis du CCSS" (comité consultatif européen pour la sécurité et la santé sur le lieu de travail), elle fait référence à un accord tripartite (représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs)... qui va bientôt fêter ses 4 ans.

 

Agent chimique

Valeur proposée

Secteurs concernés

Types de cancers provoqués

Nombre de travailleurs exposés

Listés en fonction du nombre de travailleurs exposés, voici les 11 nouveaux agents chimiques qui feraient l'objet d'une VLEP :

Silice cristalline alvéolaire (SCA)

0,1 mg/m3

Exploitation minière, industrie du verre, construction et fourniture d'électricité, de gaz, de vapeur et d'eau chaude

Cancer du poumon, silicose

5 300 000

Hydrazine

0,013 mg/m3

Agents gonflants chimiques, pesticides agricoles, traitement des eaux

Cancer du poumon et cancer du côlon et du rectum

2 124 000

Composés du chrome (VI)

0,025 mg/m3

Production et utilisation de pigments, peintures et revêtements métalliques (conversion) contenant du chrome. Utilisation en aval: les composés à base de chromate, y compris le chromate de baryum, le chromate de zinc et le chromate de calcium, peuvent être utilisés comme couches d'apprêt et de finition dans le secteur aérospatial.

Cancer du poumon et cancer naso-sinusien

916 000

Acrylamide

0,1 mg/m3

Fabrication de produits chimiques, enseignement, recherche et développement (R & D), autres services aux entreprises, santé et action sociale, administration publique et défense

Cancer du pancréas

54 100

2-Nitropropane

18 mg/m3

Fabrication de produits chimiques de base, construction aéronautique et spatiale (utilisation en aval)

Tumeurs hépatiques

51 400

1,3-Butadiène

2,2 mg/m3

Fabrication de produits pétroliers raffinés, fabrication de produits en caoutchouc

Cancer du système lymphatique et hématopoïétique

27 600

Oxyde d'éthylène

 

1,8 mg/m3

Extraction de pétrole brut et de gaz naturel, services annexes à l'extraction d'hydrocarbures, industrie des produits alimentaires, textiles et chimiques, fabrication d'instruments médicaux, de précision et d'optique, de montres et d'horloges, stérilisation en milieu hospitalier ou industriel, R & D, administration publique et défense, enseignement, santé et action sociale

Leucémie

15 600

Fibres céramiques réfractaires

(FCR)

0,3 f/ml

Industrie manufacturière (production de fibres, finition, pose, dépose, opérations de montage, mixage/moulage)

Effets respiratoires indésirables, irritation de la peau et des yeux et, dans certains cas, cancer du poumon

10 000

o-Toluidine

 

0,5 mg/m3

Fabrication de produits chimiques et de fibres synthétiques, fabrication de produits en caoutchouc, R & D, administration publique et défense, enseignement, santé et action sociale

Cancer de la vessie

5 500

1,2-Époxypropane

 

2,4 mg/m3

Fabrication de produits chimiques, lubrifiants synthétiques, produits chimiques de forage pétrolier, systèmes de polyuréthane

Cancers du système lymphatique ou du système hématopoïétique, risque accru de leucémie

485 - 1 500

Bromoéthylène

4,4 mg/m3

Fabrication de produits chimiques et connexes, production de caoutchouc et de plastique, industrie du cuir, production de pièces métalliques pour le commerce de gros

Cancer du foie

non déterminé

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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