Consommation d'alcool : "Les médecins du travail sont sous-utilisés"

Consommation d'alcool : "Les médecins du travail sont sous-utilisés"

29.05.2018

HSE

Services de santé au travail, addictologues, employeurs, patients experts... quel rôle chacun peut-il jouer dans la prévention et le dépistage de la dépendance à l'alcool ? Éléments de réponse à l'issue du colloque "Alcool et travail" organisé par la Mildeca, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.

Le rapprochement de la santé au travail et de la santé publique engagé il y a quelques années est un atout pour lutter contre l'alcoolisme, estime Hervé Lanouzière, inspecteur général des affaires sociales. "Il n'y a pas la santé individuelle d'un côté et la santé professionnelle de l'autre. L'employé ne laisse pas sa santé individuelle au vestiaire". Lors d'un colloque sur l'alcool et le travail qui s'est tenu le 17 mai 2018, il s'est donc satisfait du PST3 (troisième plan santé au travail couvrant la période 2016-2020) qui prône l'idée que l'entreprise est un lieu où l'on peut faire passer des messages de santé. 

 

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Il aimerait que les médecins généralistes soient "un peu plus au fait de ce qu'il se passe au travail". William Lowenstein, président de SOS addictions, tient un discours semblable. "Les médecins du travail sont sous-utilisés dans cette histoire [l'alcoolisme, ndlr]". Il précise qu'il "n'est pas question de transformer le médecin du travail en addictologue mais que l'addictologie doit faire partie de sa palette de travail". 

"Un grand vin peut être sublime" 

Face à un salarié qui semble consommer trop d'alcool, la plupart des dirigeants ont recours à la médecine du travail (89 % des dirigeants du secteur public et 73 % de ceux du privé, d'après un sondage réalisé pour la Mildeca fin 2017 (1)). Mais beaucoup (la moitié des dirigeants du public) déclarent avoir besoin d'une aide ou avoir eu recours à une aide autre que la médecine du travail pour faire face à ces situations.

Comment réagir, comment prévenir ? Le sujet est délicat parce que la consommation d'alcool n'est pas forcément mauvaise, rappelle Bruno Falissard, directeur du centre de recherche en épidémiologie et santé des populations à l'Inserm. "Il est vrai que dans un moment de cafard, on peut boire de l'alcool et cela nous fait du bien. Il faut être honnête : l'alcool peut détruire mais d'un autre côté un grand vin peut être sublime, l'alcool peut être festif etc. Donc cela nous renvoie à la question de la limite". "On a le droit de se faire du mal, le problème c'est la dépendance", résume le biostatisticien. 

 

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Les pots ne sont-ils pas trop fréquents ?  

Philippe Hache, conseiller médical en santé au travail à l'INRS, énumère les questions que doivent se poser les dirigeants à propos de la consommation d'alcool en entreprise. Quelle est la fréquence de nos séminaires ? Consomme-t-on seulement du vin, de la bière, du cidre et du poiré comme l'exige la loi ? Est-ce que nos verres sont de taille standard ? Est-ce que le moment du pot est bien choisi, alors que des salariés vont prendre la route après la journée de travail par exemple ? Y a-t-il des jeunes dans l'entreprise, qui sont plus vulnérables ? Enregistre-t-on des troubles du comportement à l'issue des pots ? Etc. 

Associations et assurance maladie sont là pour aider les entreprises. Des patients experts peuvent intervenir. Eux-mêmes étaient dépendants à l'alcool et se servent de leur expérience pour aider les autres. Michel Reynaud, psychiatre addictologue, explique : "Il y a beaucoup de patients qui soignent d'autres patients dans des associations. Il est parfois difficile de les faire accepter par les médecins donc maintenant, certains suivent une formation. Ce sont exactement les mêmes, mais avec une peau d'âne universitaire"

 

Expérimentations

Le service de santé au travail interentreprise de la région nantaise expérimente l'autoévaluation. Présentée comme un diagnostic précoce par l'entreprise Pulsio Santé qui l'a imaginée, cette solution consiste à proposer un questionnaire aux salariés lors de leur visite périodique. Les concernés sont libres d'échanger ensuite sur les résultats avec un professionnel. 80 % des personnes qui, selon les résultats du questionnaire, encourent "un risque modéré" ou se retrouvent dans "une situation problématique", acceptent la discussion, rapporte Marc-Antoine Brochard, de Pulsio Santé. 

La communauté urbaine de Perpignan Méditerranée Métropole oblige chaque agent à se rendre, sur son poste de travail, à un rendez-vous de dépistage avec l'infirmière du service de santé au travail. Une fois sur place, l'agent est libre de refuser de se faire dépister. Le travailleur fait parfois davantage confiance à l'infirmière parce que contrairement au médecin, il ne juge pas de son aptitude. Après la rencontre, en fonction du comportement de l'agent et du résultat du test, le médecin prend contact avec la personne concernée dans les 48 heures, et lui propose une prise en charge.

Le programme lancé en 2012 permet d'engager une conversation avec les agents concernés. "Ils viennent plus parler d'addictions qu'avant", se félicite une médecin du Pôle santé travail 66. Les résultats ne sont pas donnés de manière nominative à l'employeur. "Nous n'avons que des données quantitatives, pour alimenter le débat en CHSCT par exemple", explique une représentante de la communauté urbaine.

 

(1) Sondage réalisé pour la Mildeca (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) par téléphone en décembre 2017 auprès d'un échantillon représentatif du tissu économique français. 600 dirigeants d'entreprise et de responsables de ressources humaines et 250 représentants du personnel et représentants syndicaux ont été interrogés.

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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