Coronavirus : "Je sais que je suis davantage exposé, mais je n'ai pas peur et n'ai pas le choix"

Coronavirus : "Je sais que je suis davantage exposé, mais je n'ai pas peur et n'ai pas le choix"

01.04.2020

HSE

Gendarmes, instituteurs, médecins, ouvriers agricoles, bouchers... beaucoup de travailleurs continuent leurs activités à l'extérieur de leur domicile. En quoi la crise a-t-elle modifié leurs tâches quotidiennes ? Quelles mesures de prévention contre le coronavirus applique leur employeur ? Ont-ils quand même peur ?

Certaines activités considérées comme "essentielles à la vie de la nation" et ne pouvant être réalisées à domicile se poursuivent malgré l'épidémie de coronavirus. Beaucoup de personnes continuent donc de se rendre sur leur lieu de travail pendant la crise sanitaire. Elles sont a priori plus exposées que les télétravailleurs, puisqu'en contact avec d'autres personnes. "Certains se rendent au travail la peur au ventre d'être contaminés et d'infecter leurs proches à leur tour", nous relatait au début du confinement une syndicaliste à propos des caissiers.

Gendarmes, médecins, responsables d'exploitation agricole, instituteurs... Nous leurs avons demandé de nous raconter leur nouveau quotidien et de nous décrire les mesures de prévention dont eux ou leurs collègues bénéficient pour y faire face. Certains, à des postes de management, ont participé à l'élaboration de ces protocoles, d'autres non. 

Théo, 23 ans, membre de la garde républicaine (1) : "Nous faisons au mieux, nous n'avons pas le choix"

Quelle est votre mission, en temps normal ?

"Je m'occupe de la sécurisation de l'Assemblée nationale et du Sénat. L'une de mes tâches est par exemple de vérifier que les visiteurs n'ont pas d'arme sur eux".

Quelles mesures de prévention ont été prises ?

"Depuis le début de l'épidémie, mes missions restent les mêmes mais plusieurs choses ont changé. Nous sommes moins nombreux parce que des entrées ont été fermées et qu'on essaie de nous préserver en nous attribuant moins de gardes au cas où on devrait réaliser les contrôles du confinement dans la rue, par manque de policiers. Nous respectons les gestes barrières et la distance donc nous mangeons en quinconce et on ne se rassemble plus pendant les pauses cigarettes, par exemple. Si des piétons passent le portique de sécurité nous portons gants et masques, parce que nous nous retrouvons plus proches d'eux. Aussi, lors des relèves qui ont lieu toutes les heures, on se passe l'armement, des armes longues type famas. Maintenant, des gardes désinfectent les armes à chaque relève".

Avez-vous peur ?

"Je sais que nous avons davantage de risque de contracter le virus que quelqu'un qui est en télétravail, mais je n'ai pas peur. Nous faisons au mieux, nous n'avons pas le choix".

 

      Pauline, 29 ans, pédiatre dans un CHU (1) : "Je ressens une espèce de culpabilité"

Quelle est votre mission, en temps normal ?

"Je travaille dans un centre d'investigation clinique donc je suis des patients inclus dans des essais cliniques. Ils viennent à l'hôpital pour être examinés et recevoir leur traitement".

Quelles mesures de prévention ont été prises ?

"Le lendemain des premières annonces d'Emmanuel Macron, il a été décidé de changer la programmation. Nous ne faisons plus venir les patients, qui sont déjà très fragiles. En tant que soignant, j'avais déjà intégré les gestes d'hygiène de base mais là, cela prend une autre dimension. Une partie du personnel a pris peur et voulait absolument du gel hydroalcoolique (qui avait été volé avec des masques les semaines précédentes). Les chefs de service ont dû nous rappeler que l'eau et le savon fonctionnent très bien. On connaît les règles de base des conditions du port du masque mais de voir des gens en porter à l'extérieur a semé le trouble. Alors, certains râlaient parce que nous n'avions pas de masque. De voir des gens se trimballer dans la rue avec des masques canard [FFP2, ndlr] alors que des médecins n'en ont pas m'énerve mais je ne peux pas leur jeter la pierre, on peut comprendre qu'ils aient pris peur".

Avez-vous peur ?

"Je ne me sens pas en danger en travaillant à l'hôpital. Par contre, être médecin ni en réanimation ni en infectiologie est difficile pour moi en ce moment. Tout le monde nous applaudit à 20 heures mais je ressens une espèce de culpabilité d'avoir la fonction sans pouvoir être sur le front, comme on dit. La sensation est bizarre parce que nous savons que c'est le calme avant la tempête. Alors, on se tient prêts".

 

Samia, 28 ans, responsable d'exploitation d'un site d'abattage et transformation de viande (1) : "Maintenant, on se fait un signe de la main, mais cela met de la distance entre nous"

Quelle est votre mission, en temps normal ?

"Mon travail se résume à beaucoup de management (suivre des indicateurs, fixer des objectifs, suivre les résultats…)".

Quelles mesures de prévention ont été prises ?

"Nous avons pris les premières mesures le lendemain du discours d'Emmanuel Macron. En temps normal, des masques chirurgicaux sont à disposition, mais conseillés seulement pour des postes en particulier. Quelques jours avant les annonces du président, beaucoup en ont pris… Nous les avons donc retirés des distributeurs pour les donner aux personnes les plus en danger, c'est-à-dire les chauffeurs livreurs parce qu'ils sont en contact avec plus de personnes, et les salariés qui ont une fragilité ou un proche fragile. Même chose pour le gel hydroalcoolique : des bidons ont été volés, alors on a préféré n'en donner qu'aux livreurs. Pour le port de gants : cela dépend des opérateurs. Je ne suis pas pour, parce que quand tu as des gants, tu ne te laves pas les mains, hormis lors des pauses". 

Nous avons décalé les horaires de pause et d'embauche pour qu'ils soient moins nombreux dans les vestiaires. Par contre, le travail dans l'atelier rend la distanciation impossible. Là où elle est possible, elle est difficile à respecter parce que certains endroits sont très bruyants et donc nous obligent à se rapprocher pour communiquer. Aussi, à cause du bruit toujours, tu mets en général un bras sur l'épaule pour prévenir de ton passage. Alors maintenant il y a des endroits où je ne passe plus, sinon je risquerais de me prendre un coup de couteau. Serrer la main de tout le monde le matin est important pour moi. Maintenant on se fait un signe de la main mais cela met de la distance entre nous, dans un moment où les gens ont justement besoin d'être solidaires".

Avez-vous peur ?

"Contrairement au début, je ne m'inquiète plus trop pour la santé des salariés parce que je me dis qu'il n'y en a pas à risque et qu'ils sont plutôt jeunes. Ce qui m'inquiète le plus désormais ce sont les retombées économiques de cette crise et l'avenir des salariés. Le point positif de ce moment est qu'il revalorise nos métiers puisque notre secteur est indispensable. Cela change de l'agribashing".

 

Estelle, 29 ans, professeure des écoles : "C'est très dur de tenir un mètre de distance avec les enfants"

Quelle est votre mission en ce moment ?

"Je me suis portée volontaire pour garder à l'école les enfants de soignants et autres professionnels qui continuent de travailler à l'extérieur. En plus de mes élèves habituels que je suis à distance, deux demi-journées par semaine je m'occupe avec un collègue de sept enfants âgés de quatre à dix ans". 

Quelles mesures de prévention ont été prises ?

"Tout le matériel a été enlevé de la classe. Les enfants amènent tous les jours leurs propres feutres et paire de ciseaux. Chacun possède une barquette avec quelques jeux, que nous n'avons pas le droit de toucher. Nous avons du gel, des gants et des masques à disposition, mais je n'en porte pas, puisque les gants sont à usage unique. C'est très dur de tenir un mètre de distance avec les enfants et de ne pas avoir le droit de les toucher. Par exemple, le premier jour, une petite était en pleurs, j'ai dû lui expliquer qu'en temps normal je lui aurais bien fait un câlin, mais que là ce n'était pas possible. Lorsqu'ils s'approchent de moi, j'ai le réflexe de tendre les bras, et ce n'est pas le bon réflexe... Quand ils ont vraiment besoin d'aide nous les approchons quand même et nous nous lavons les mains directement après. L'ambiance est très spéciale". 

Avez-vous peur ?

"Je suis davantage exposée mais je n'ai pas peur. En respectant les protocoles, si tu n'es pas personne à risque et que tu n'as pas d'enfant, le minimum que tu puisses faire est d'être là pour les enfants de soignants, gendarmes, boulangers et autres. Puis pour être honnête, cela me permet aussi de prendre l'air". 

 

Claire-Marie, 30 ans, responsable d'exploitation agricole : "Je m'ennuierais chez moi !"

Quelle est votre mission, en temps normal ?

"Je fais un peu de tout (gestion des produits phytosanitaires, RH, paie…). À mon poste, déjà en temps normal, je ne suis pas proche des autres : seule dans le verger ou à trois dans un grand bureau. Donc la crise ne change pas grand-chose pour moi physiquement, la distanciation n'est pas difficile à respecter".

Quelles mesures de prévention ont été prises ?

"La crise a plus de conséquences sur les autres salariés. On loge beaucoup de nos travailleurs, on a du revoir l'organisations des logements pour qu'ils ne soient plus que deux maximum par chambre. Nous avons doublé la capacité des minibus qui les transportent sur les sites. Pour qu'ils soient bien espacés les uns des autres à la cantine nous avons mis en place deux services au lieu d'un. Par contre, nous ne les avons pas équipés de gants. Nous ne leurs avons donné des masques que sur un poste, sur lequel ils sont un peu proches les uns des autres (la planteuse à melons). Nous avons prévu des logements vides au cas où il faudrait isoler les personnes malades. Tous les salariés ne réagissent pas de la même manière, cela dépend notamment des nationalités. Certains ne réalisent pas et ont encore du mal à respecter la distanciation, d'autres étaient très inquiets au début si bien qu'ils voulaient rentrer dans leur pays (certains sont rentrés au Portugal), d'autres ont tout de suite respecté les consignes".

Avez-vous peur ?

"Je ne m'inquiète pas pour moi. Je ne suis pas hypocondriaque, je suis jeune et pas à risque. Je fais tout de même attention, bien sûr. Mais je suis bien contente de travailler encore, je m'ennuierais chez moi !"

 

(1) Prénom changé à la demande de la personne

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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