Le ministère du travail a publié environ 60 fiches pour aider les employeurs face au risque d'exposition au covid-19. Leur contenu est-il trop léger du point de vue des principes de prévention ? Ou est-ce au contraire le moyen d'aider des employeurs peu familiers de la réglementation en santé-sécurité au travail à mettre le pied à l'étrier ? Une chose est sûre : "ces fiches "ne se suffisent pas à elles-mêmes", y compris d'un point de vue juridique. Explications de préventeurs, d'un inspecteur du travail, ainsi que d'Hervé Lanouzière, qui pilote la "task force" au ministère.
Depuis le 27 mars, le ministère du travail publie régulièrement des fiches conseils par métier ou par secteur. Travail en boulangerie, activité viticole, plombier… il en existe environ 60 à ce jour (certaines étant traduites dans plusieurs langues) aujourd'hui. Elles sont élaborées par une "task force" mise en place par le ministère. L'équipe est pilotée par Hervé Lanouzière, directeur de l’INTEFP (Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, qui forme les inspecteurs du travail), et composée de représentants de l'Anses, de la Direction des risques professionnels de la Cnam, de l’Anact, de services de santé au travail, et de Direccte. Les équipes de ces organismes rédigent, puis la "task force" relit, corrige le cas échéant, et valide.
Un agent de Carsat qui a participé à l'élaboration d'une fiche raconte : "J'ai travaillé à partir d'une première version élaborée par une collègue de la Cnam. Nous avons eu des réunions avec la Cnam, la Carsat et le syndicat professionnel. Deux jours plus tard, elle était envoyée à la DGT". Le comité de lecture valide parfois après "des modifications non négligeables", mais ici, ce n'était pas le cas.
Hervé Lanouzière précise :
"Les modifications portent aussi bien sur des questions de terminologie que sur des questions de fond, les deux étant d’ailleurs très liés. La 'task force' a par exemple longuement débattu sur la nature des produits devant être utilisés pour nettoyer les surfaces de travail et par conséquent sur la distinction entre nettoyage, désinfection, nettoyage désinfectant…Ce n’est pas neutre car il est important que les lecteurs utilisent des produits appropriés."
Pierre Mériaux, inspecteur du travail représentant de la FSU, critique le processus d'élaboration. Selon lui, le ministère "s'est mis à la disposition des fédérations professionnelles" alors que ces fiches auraient dû être construites de manière tripartite, avec l'aide des syndicats de salariés. Hervé Lanouzière assure que les organisations syndicales sont consultées au même titre que les fédérations professionnelles, "en aval du processus avant la publication de la fiche".
Certains estiment que ces documents sont trop légers. "J'ai un avis partagé sur l'utilité de ces fiches. Au début je me suis dit qu'elles ne cassaient pas trois pattes à un canard mais d'un autre côté, elles ont quand même le mérite de guider les employeurs et de les rassurer", pense l'ingénieur Carsat auteur d'une fiche.
"Les entreprises n'ont pas toutes le même niveau de maturité en matière de prévention. Certaines sont encore au niveau de l'alphabétisation. Ces fiches sont un bon point de départ, elles permettent de défraichir et d'alimenter le débat", estime-t-il, reconnaissant que ces fiches ont vocation à "aider à la reprise du travail, c'est tout".
En pratique, il ne les utilise pas. "Pour le moment j'ai été sollicité par des entreprises qui avaient une antériorité de la prévention des risques. Avec la réflexion menée en interne, ce n'était pas la peine d'utiliser les fiches", remarque-t-il. "Elles contiennent moins d'informations que ce qu'on peut conseiller aux entreprises", témoigne une autre préventeure Carsat qui ne s'appuie pas non plus dessus.
Pierre Mériaux regrette plus précisément que les fiches et le guide de déconfinement ne fassent pas référence au code du travail alors que selon lui, "en n'ayant pas le cadre global en tête, on ne se met pas en situation de bien analyser les situations".
Il concède, ironique :
"Oui, ces fiches sont mieux que rien… pour des employeurs qui n'ont toujours pas compris, depuis plus de 20 ans, l'obligation d'évaluation des risques, qui ne sort pourtant pas du chapeau pour le covid. Il faut bien que les employeurs apprennent le code du travail !". Selon lui, l'existence de ces fiches reflète "le triste état de l'appropriation de l'obligation de sécurité. C'est dramatique".
Pour Hervé Lanouzière, même si ces documents ne citent pas expressement le code du travail, ils permettent d'en transmettre le contenu. "Nous avons inséré une nouvelle page dans chaque fiche qui explicite mieux le lien avec les principes généraux de prévention (PGP). Ceci étant, les fiches sont irriguées par les PGP. La construction même des fiches sur le modèle "préparer/réaliser/vérifier" montre bien que l’accent est mis sur la phase "préparer" qui permet de valoriser la philosophie des PGP".
Il justifie :
"Nous n’avons pas voulu faire des fiches juridiques mais des fiches très pratiques s’adressant aux employeurs et salariés, qui veulent savoir de manière très concrète comment les choses doivent se faire. […] Nous ne souhaitons pas qu’ils agissent par sentiment d’obligation mais par souci de prévention. Autrement dit, l’application des préconisations des préventeurs est certainement un bon moyen de satisfaire aux articles L. 4121-1 et suivants du code du travail. Faut-il pour autant citer les articles ? Les fiches permettent de faire du droit sans le savoir ! […] Quand je vois un panneau "stop" sur la route, je n’ai pas besoin qu’on me cite l’article du code de la route ou l’arrêté qui a permis son installation pour m’arrêter ! Je sais ce que je dois faire en le voyant !"
"Une forme de confusion"
Pis-aller ou pas, ces fiches "induisent une forme de confusion", croit remarquer Pierre Mériaux. Certains employeurs pensent, ou veulent penser, que le respect des mesures édictées par ces documents est suffisant, rapporte-t-il. Il cite l'exemple d'un employeur qui "se prévaut" de leur respect, mais qui n'a pourtant réalisé aucune évaluation des risques. "Donc oui, c'est un premier pas pour ceux qui sont éloignés de la prévention, mais c'est aussi dangereux de se contenter de faire du vernis". Notre ingénieur Carsat le reconnaît : "ces fiches ne se suffisent pas à elles seules". Pas suffisantes pour la prévention du risque de contamination… ni du risque juridique. En effet, ces documents n'ont aucune valeur réglementaire donc leur mise en œuvre ne garantit pas le respect des obligations de sécurité qui incombent à l'employeur.
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"Y a-t-il une volonté de nous rendre transparents ?", se demande une autre préventeure de Carsat. Le ministère du travail n'a rendu publique que tardivement la participation du réseau Aract, INRS et Carsat à l'élaboration des fiches. Le 27 mars, dans son premier communiqué, l'administration de Muriel Pénicaud évoque simplement une "équipe d'experts". La première version des documents (qui n'est plus disponible sur le site du ministère), n'indiquait pas non plus ce réseau d'acteurs. Un manque de reconnaissance lié à la future réforme de santé au travail ? Les concernés se posent la question étant donné que telle qu'imaginée par la députée Charlotte Lecocq missionnée par le gouvernement, la réforme s'accompagnerait de la suppression de la partie prévention des Carsat…
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Le 27 avril, le ministère a finalement communiqué sur les organisations qui étaient à l'ouvrage. Depuis, il indique sur les fiches qu'elles sont réalisées "avec le concours de l’Anses, du réseau Assurance maladie risques professionnels, de l’INRS, de l’Anact et des médecins du travail coordonnés par Présance".
Quoi qu'il en soit, "la DGT a pris le leadership dans le domaine des risques sanitaires à l'heure du covid-19. La DSS (direction de la sécurité sociale), on ne l'entend pas énormément, alors que nous répondons bien à ses directives", remarque notre interlocuteur de Carsat. Y compris pendant la crise, la santé au travail semble rester la chasse gardée du ministère du travail ; mais peut-être est-ce voué à évoluer avec la nomination officielle du secrétaire d'État Laurent Pietraszewsky, en charge notamment de la protection des salariés, avec la double tutelle des ministères de la santé et du travail.
HSE
Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement.
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