Crise sanitaire : "Tout se passe comme si l'inspection du travail avait été débranchée, mise en veille"

Crise sanitaire : "Tout se passe comme si l'inspection du travail avait été débranchée, mise en veille"

20.04.2020

HSE

Des syndicats d'inspecteurs du travail dénoncent des pressions du ministère pour les empêcher de contrôler les conditions de travail en entreprise en ce moment. Un agent a d'ailleurs été suspendu la semaine dernière. L'intersyndicale saisit l'Organisation internationale du travail.

Des inspecteurs du travail déclarent être empêchés par le ministère de réaliser leurs missions de contrôle de ce qui se passe actuellement en entreprise. Ils dénoncent des pressions de leur hiérarchie pour limiter au maximum les inspections sur site et les suites données en cas de manquements constatés.

L'intersyndicale fait notamment référence à une note de la DGT (Direction générale du travail) du 30 mars 2020 qui rappelle les causes de visites prioritaires (fixées dans une instruction précédente) et demande aux agents d'échanger avec leur responsable avant d'intervenir sur site. On y lit que cette étape "n'a ni pour objet et ne saurait légalement avoir pour effet d'entraver la liberté d'action et de décision de l'agent […] mais contribue sans conteste à mieux calibrer l'intervention". L'idée affichée est aussi de protéger la santé des inspecteurs.

Pour ces syndicalistes, dans les faits, cela revient à demander une validation de leur supérieur. Pour Camille Planchenault, de Sud, c'est un "filtre" supplémentaire qui les empêche d'intervenir, explique-t-il en conférence de presse le 16 avril. Il s'ajoute au manque de masques à leur disposition et au refus de certains supérieurs de leur accorder les moyens nécessaires, comme une voiture de service, par exemple.

Conditions réelles

Au sujet des masques, Ian Dufour, de la CGT, observe aussi un problème de crédibilité des agents : "il est compliqué de faire un contrôle sans masque en disant aux employeurs d'équiper les salariés de masques".

Autre problème : "la DGT nous interdit d'utiliser le droit de contrôle inopiné", ajoute Pierre Mériaux, du SNU TEFE FSU​. La note du 30 mars 2020 leur demande en effet de contacter l'employeur avant de réaliser une visite. "Les contrôles inopinés ne sont pas pour piéger les employeurs mais regarder les conditions réelles", défend Camille Planchenault. 

 

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Mise à pied

Une visite peut conduire à une mise en demeure ou une saisine du juge des référés. D'après les chiffres révélés par RTL, la DGT recense 25 mises en demeure pendant la crise, visant à imposer a minima des mesures de prévention. Mais d'après les syndicalistes, la pression de la hiérarchie s'exerce aussi à ce niveau. "Les suites à l'intervention ne peuvent plus résulter de l'agent de contrôle libre comme habituellement. Il y a un droit du véto du ministère", dénonce Julien Boeldieu de la CGT. Gilles Gourc, de la CNT, revient sur la condamnation d'un employeur par le tribunal judiciaire de Lille il y a quelques jours : "Avant que l'affaire ne passe devant le juge, l'administration est intervenue à tous les niveaux en demandant à notre collègue de ne pas faire le référé, en allant même jusqu'à écrire au tribunal !".

"Des signalements de pressions nous remontent de toute la France", ajoute Gilles Gourc. Les pressions semblent pouvoir aller plus loin. Les syndicalistes rapportent le cas d'Antony Smith. Cet inspecteur de la Marne, par ailleurs militant CGT, a relevé des manquements dans une structure d'aide à domicile. Sa hiérarchie aurait tenté de le dissuader de saisir le juge des référés. Il l'a finalement fait… avant d'être informé de sa mise à pied quelques heures après.  

D'après le ministère, cet inspecteur "a méconnu de manière délibérée grave et répétée les instructions de l’autorité centrale". Il aurait imposé des conditions de maintien de l'activité non conformes aux prescriptions, serait intervenu hors de sa compétence territoriale et n'aurait pas respecté les règles déontologiques, liste l'administration de Muriel Pénicaud dans un communiqué. 

"Soutien de l'activité économique"

De manière plus générale, "tout se passe comme si l'inspection avait été débranchée, mise en veille", déplore Julien Boeldieu. Pour lui, le ministère cherche à les "enrôler au soutien de l'activité économique". Il fait notamment référence à la demande qui leur est faite de communiquer aux employeurs les fameuses fiches conseils mises à disposition par le ministère (et critiquées par certains préventeurs pour leurs recommandations trop minimales). Ces fiches n'ont pas de valeur normative. "Notre rôle n'est pas simplement de diffuser des informations mises au point par le ministère mais d'appliquer le code du travail". 

L'intersyndicale a saisi l'OIT (Organisation internationale du travail) le 16 avril. Dans son courrier, elle évoque le cas d'Antony Smith et liste les instructions de la DGT qui, selon elle, constituent des "pressions indues" sur les agents, pourtant interdites par les conventions de l'organisation internationale.

 

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HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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