C'est un rapport qui tombe à point nommé alors que les partenaires sociaux ont acté, hier en début d'après-midi, l'échec de la négociation sur l'assurance-chômage (lire dans notre édition). Claude Bartolone a reçu des mains du président de la mission, Arnaud Richard (UDI) et du rapporteur, Jean-Marc Germain (SRC), le rapport sur le paritarisme, fruit de 9 mois d'auditions. Leur conviction : le paritarisme doit être maintenu mais il doit être réformé. "Le paritarisme est le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres, juge Arnaud Richard (UDI), paraphrasant ainsi Winston Churchill (*). Il faut trouver les bons outils de régulation sociale et réaménager les équilibres", poursuit le président de la mission qui ne fait pas partie de ceux qui dénoncent "une crise du paritarisme".
Ce vaste rapport de près de 350 pages dresse ainsi un panorama complet du paritarisme qui représente aujourd'hui 100 milliards d'euros et plus de 700 000 mandats exercés par 600 000 personnes. Le sujet est conséquent - ils ont en bien conscience - mais essentiel comme en témoigne le climat actuel. "Je ne pensais pas que le rapport serait remis dans une telle actualité, a souligné hier le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone. "Il y a un an [lorsque la mission a débuté ses travaux] nous étions loin d'imaginer la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui", a renchéri Jean-Marc Germain.
Traiter du paritarisme, c'est embrasser une multitudes de sujets que le rapport n'esquive pas.
Mieux articuler démocratie sociale et démocratie politique
Parmi les sujets abordés, la place de la démocratie sociale dans notre système d'élaboration des normes et la délicate question de la frontière entre démocratie sociale et démocratie politique. "Il faut mieux articuler la démocratie sociale avec le Parlement, organiser ce dialogue. Beaucoup de problèmes auraient pu être évités si nous procédions ainsi", faisant ainsi référence aux nombreuses vicissitudes rencontrées par le projet de loi Travail.
Pour y remédier, Jean-Marc Germain propose de "parachever l'article 1 du code du travail" en créant un Haut Conseil de la Négociation Collective et du Paritarisme (HCNCP), "véritable Chambre Haute sociale" au sein duquel se dérouleraient les négociations interprofessionnelles sur saisine de l’État, du Parlement ou par autosaisine", explique le rapport. "Les projets et propositions de loi concernant le droit du travail feraient l’objet d’une concertation étroite entre les deux chambres du Parlement et le Haut conseil, tout au long de la procédure parlementaire, qui pourrait prendre la forme d’auditions réciproques entre les commissions concernées du Haut conseil et les commissions du Parlement saisies de ces projets ou propositions".
Ce Haut Conseil comprendrait quatre commissions permanentes : 1) Protection sociale et vie quotidienne (retraites complémentaires, prévoyance, logement,...), 2) Sécurité sociale professionnelle (emploi, chômage, formation, santé et qualité de vie au travail,...), 3) Nouvelle économie (numérique, plateformes collaboratives, écologie,...) et 4) Contrôle et évaluation (contrôle, évaluation, recherche, formation des acteurs, financement du paritarisme,...).
Sa mission serait triple :
- Etablir la liste de tous les thèmes relevant du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle pour lesquels une négociation pourrait être ouverte et définir un calendrier prévisionnel de négociation, lorsqu’un thème a été inscrit sur la liste ;
- Se prononcer formellement sur l’opportunité d’ouvrir une négociation nationale et interprofessionnelle lorsque le gouvernement formulerait une demande en ce sens ;
- Entretenir avec le Parlement une "navette" consultative pour l’analyse des textes (projets ou propositions de loi) concernant le droit du travail.
Le conseil pourrait être hébergé au sein du Conseil économique, social et environnemental, ce qui rejoint l'idée récurrente d'organiser les négociations interprofessionnelles au CESE et non plus au Medef.
Jean-Marc Germain avait déposé, en première lecture à l'Assemblée nationale, un amendement sur la création d'un tel conseil, non examiné avec le recours à l'article 49.3 ; un nouvel amendement pourrait être déposé en nouvelle lecture.
Obliger les salariés à voter aux élections professionnelles
La question du paritarisme soulève aussi de la question de la légitimité des partenaires sociaux, et - partant - celle du faible taux de syndicalisation en France. Pour y remédier, le rapport relance la piste du chèque syndical qui permet de financer l'organisation syndicale de son choix et - seconde piste plus osée - rendre obligatoire la participation des salariés aux élections professionnelles.
Etendre le champ de la négociation obligatoire
Le rapport ne fait pas l'impasse sur le paritarisme au sein de l'entreprise et s'invite dans les débats qui agitent l'examen du projet de loi El Khomri.
Modifier la hiérarchie des normes n'enthousiasme guère le rapporteur. Le rapport met ainsi l'accent sur un mécanisme qui "serait finalement peu utile pour les entreprises et risquerait de fragiliser les salariés, particulièrement dans les PME". "Nous soutenons la négociation de branche", insiste Jean-Marc Germain qui déplore que le projet de loi Travail n'ait pas repris à son compte la notion "d'ordre public professionnel" développée dans le rapport de Jean-Denis Combrexelle.
Pour autant, le rapport estime que la négociation d'entreprise a toute sa place, mais son renforcement doit passer par l'extension des obligations de négocier. Deux nouveaux domaines sont ainsi envisagés :
- Le plan de formation, qui est aujourd’hui élaboré par l’employeur et ne fait l’objet que d’un avis du comité d’entreprise (ou, à défaut, des délégués du personnel). Rappelons que la loi du 14 juin 2013 a déjà étendu le champ de la négociation triennale sur la GPEC aux grandes orientations à 3 ans de la formation professionnelle dans l'entreprise et les objectifs du plan de formation ;
- L'attribution de certaines aides comme le CICE.
Mettre sur pied une véritable sécurité sociale professionnelle
Le rapport s'invite aussi dans la construction du compte personnel d'activité (CPA) et, plus largement, dans l'idée d'une sécurité sociale professionnelle chère à la CGT.
Le rapport suggère de créer un régime d'assurance-formation qui serait géré par une "Agence nationale pour l'évolution professionnelle", et de créer une "Banque paritaire du temps" qui prendrait en charge la gestion et le transfert, d'une entreprise à l'autre, des droits à congé rémunéré.
Enfin, à terme, il s'agirait de mettre sur pied une Agence nationale de sécurité sociale professionnelle, régime unique accessibles aux salariés, aux autres actifs, aux demandeurs d'emploi qui prendrait la relève des deux premières institutions citées. Sa mission serait de gérer et d'adapter leurs droits, dont ceux attachés au CPA et d'accompagner l'accès à l'emploi et la progression professionnelle.
Clauses de recommandation |
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Inquiets de la disparition des clauses de désignation, les membres de la mission proposent d’introduire, en droit national, un nouvel instrument juridique, la convention collective de sécurité sociale complémentaire, qui permettrait aux branches professionnelles, au motif de la solidarité, d’établir un régime de prévoyance étendu à toutes les entreprises de leur secteur.
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La prise en compte de l'économie collaborative
Enfin, le rapport ne fait pas l'impasse sur les évolutions les plus récentes, dont la place grandissante de l'économie collaborative. "Le paritarisme doit bouger car la société bouge", estime ainsi Claude Bartolone. Le rapport propose d'ouvrir une négociation sur les droits et obligations des travailleurs des plateformes, notamment pour leur accès à la sécurité sociale professionnelle en identifiant les organisations syndicales et patronales représentatives des travailleurs des plateformes numériques et de leurs donneurs d’ordres qui devraient être associées à la négociation. Il ne faut pas faire de ces travailleurs "les esclaves des temps modernes", a mis en garde Jean-Marc Germain.
(*) "La démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres".
Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.
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