Face à la crise sanitaire, les soignants ont "tenu, tenu, tenu... puis ont laissé émerger stress et souffrance"

Face à la crise sanitaire, les soignants ont "tenu, tenu, tenu... puis ont laissé émerger stress et souffrance"

20.07.2020

HSE

La crise sanitaire a eu des conséquences sur la santé mentale du personnel hospitalier. En cause : le stress et la fatigue dus à la désorganisation, l'anxiété liée à la peur de contracter le virus, ou encore la souffrance de mal faire son travail. L'activité dégradée a aussi parfois accentué des risques psychosociaux préexistants.

Le 8 juin 2020, l'Académie de médecine a alerté sur les troubles psychologiques dont souffrent certains soignants à la sortie de la crise sanitaire. Elle évoque de l'hyperémotivité, un niveau d’anxiété élevé, ou encore des insomnies. Alain Comte, médecin du travail du centre hospitalier gériatrique du Mont d'Or, à Lyon, confirme observer, sans grande surprise, stress et fatigue parmi le personnel. Il analyse : "les conditions de travail se sont dégradées parce que certains agents étaient atteints de covid ou fragiles, donc il y avait moins de personnel, alors même qu'il y a avait un rebond d'activité. Les agents ont donc dû faire face à une surcharge de travail et au surmenage".

À cela s'ajoute de l'anxiété, mais aussi une situation qui "heurte l'éthique". "Ils ont l'habitude d'être confrontés à la mort, puisqu'ils travaillent dans un hôpital gériatrique, explique Alain Comte. Mais là, que les familles ne puissent pas voir leurs proches les a beaucoup choqués". Des salariés titulaires ont aussi beaucoup souffert d'une dégradation de la qualité des soins due à l'embauche rapide de personnes pour remplacer les absents, observe Stéphanie Jérôme, infirmière du service de santé au travail du même hôpital.

De son côté, l'Académie de médecine fait même état de syndromes de stress post-traumatique, avec une incoercible répétition diurne et nocturne (cauchemars) des souvenirs les plus pénibles et une angoisse de mort. "Certains ont vécu des événements très précis de manière traumatique, mais il serait exagéré de parler de stress post traumatique", nuance Frédérique Warembourg, psychiatre au CHU de Lille interrogée par la Voix du Nord. La notion de stress post traumatique, qui est précisément caractérisée (voir encadré), "est un peu utilisée à tort et à travers", met en garde Alain Comte. Il n'en a pas encore observé parmi les 600 salariés de l'établissement où il exerce. Mais "c'est peut-être trop tôt pour le dire", modère-t-il en précisant qu'il "n'a pas encore vu tout le monde". 

Décompensation 

En général, les maux ne se sont pas manifestés pendant la crise, mais après. Une sorte de décompensation, relate Stéphanie Jérôme, qui a reçu énormément d'appels. Pendant la crise, les questions qui lui étaient adressées portaient surtout sur les équipements de protection et la peur de contracter le virus ou de le transmettre aux proches. "Ils ont eu très peur. Ce ne sont pas des héros. Je crois que beaucoup se seraient arrêtés s'ils avaient pu, mais ils n'avaient pas le choix", raconte l'infirmière.

"Ils ont tenu, tenu, tenu, la majorité jusqu'au bout de la crise… puis, ensuite, ont laissé émerger le stress et la souffrance". Les appels dans ce sens ne sont donc arrivés qu'après, parce que "ils se penchent sur eux une fois qu'ils ont fait le taf", résume l'infirmière. "Quand le rideau se ferme, il n'y a plus rien. C'est le grand vide", image Eric Henry, médecin généraliste président de l'association SPS (Soins aux professionnels en santé) au micro d'Europe 1. Un calendrier dont fait également état l'Académie de médecine, qui évoque des troubles psychologiques au moment de la décompression. 

Hors des radars

L'Académie de médecine parle de "nombre de soignants" concernés. Quelle est la proportion d'agents touchés ? Difficile à dire, beaucoup sortent du radar de leur service de santé au travail, préfèrent se tourner vers leur médecin traitant. "Il y a une espèce de non-dit, de scrupule. Beaucoup ont réussi à verbaliser leurs problèmes auprès de moi, mais pour cela il faut une relation de confiance, alors que nous sommes pour beaucoup estampillés "RH"", observe Stéphanie Jérôme. Une ligne d'écoute est aussi à disposition des agents de l'hôpital, mais le service de santé au travail n'a pas connaissance du nombre d'appels émis. À titre d'exemple, l'association SPS a reçu entre la mi-mars et la mi-mai 60 appels par jour en moyenne, contre 5 habituellement. 

Dans une dizaine de cas, Stéphanie Jérôme a conseillé aux salariés de prendre contact avec leur médecin généraliste pour un arrêt de travail leur permettant de prendre du recul. Au CHU de Brest, Romain Da Rocha, interne en médecine du travail, a lui aussi renvoyé vers ses confrères généralistes : "Certaines personnes pouvaient sans doute travailler sans grand danger, mais continuer était très dur pour elles émotionnellement". Le risque est d'augmenter la charge de travail de ceux qui restent. D'ailleurs, dans son dernier avis du 17 juillet, l'Académie de médecine recommande de recruter des personnels soignants pour diminuer le risque de "burn out" et les tensions psychologiques liées à un travail excessif.

Groupes de parole

"Méconnaître cette complication ferait le lit de troubles psychiques ultérieurs, entraînant l’incapacité à rester dans une profession de soins, jusqu’à des troubles dépressifs et addictifs avec leur contingent de conduites suicidaires", alerte l'Académie de médecine. Elle recommande un examen médical systématique par les médecins de prévention, à renouveler pendant trois ans, la prescription, aussi souvent que justifié, de mesures thérapeutiques telles que "des aménagements transitoires des conditions de travail", que l’employeur mette en place des outils de promotion de la santé mentale tels que les groupes de paroles et les activités physiques, ou encore, que l’organisation et les conditions de travail dans les structures de soins intensifs soient réévaluées et améliorées. 

"Pour le moment, on pose plus des pansements sur leur mal être qu'on ne fait de l'anticipation", raconte Stéphanie Jérôme. Dans un deuxième temps, pour prévenir de tels dommages en cas de nouvelle crise, Alain Comte estime qu'il faudra "debriefer de ce qu'il s'est passé, voir ce qu'on a fait de bien et de moins bien, service par service".

Mais le médecin a déjà observé : "Des services ont été beaucoup plus touchés que d'autres, parce que le management a plus ou moins bien fonctionné. Quand le mode managerial convenait, on se serrait les coudes et on se rapprochait les uns des autres. Dans le cas contraire, il n'y avait pas de collaboration, et donc des problèmes". Bref, "l'activité dégradée peut accentuer des risques psychosociaux préexistants. La crise les a révélés".

 

Qu'est-ce-que le stress post-traumatique ?

Santé publique France explique que le trouble de stress post traumatique peut survenir après l’exposition à un événement potentiellement traumatique, "la personne ayant alors été confrontée à la mort ou au risque de perte d’intégrité physique/psychique, que ce soit la sienne ou celle d’autrui dans les suites par exemple d’une agression, de violences sexuelles, d’un accident (de la route, de travail, etc.), de maltraitances, d’un attentat, d’une catastrophe…."

Les symptômes peuvent débuter immédiatement, quelques jours après l’événement ou être beaucoup plus tardifs. Les symptômes perdurent au-delà d’un mois, et peuvent être présents des mois ou des années. Les symptômes typiques sont les reviviscences ou flash-backs (le sentiment de revivre la scène), les évitements ciblés de ce qui peut rappeler l’événement, un état d’alerte majeur, un hyperéveil, ou encore des émotions qui changent très vite d’un moment à l’autre avec des vécus négatifs (colère, tristesse, peur, honte, culpabilité…), des difficultés de la mémoire et de la concentration.

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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