Film 12 jours : pas de violation du secret médical à filmer les audiences de contrôle des soins psychiatriques sans consentement

26.10.2022

Droit public

L’hôpital dans lequel a été tourné 12 jours, film consacré aux audiences de contrôle de légalité des soins psychiatriques sans consentement, n’engage pas sa responsabilité pour avoir autorisé le tournage et la diffusion des audiences dans ses locaux car ceux-ci ont été effectués dans le respect de la volonté du malade.

Le film 12 jours, du photographe et documentariste Raymond Depardon, avait été tourné dans les locaux de l’hôpital Le Vinatier à Lyon, en 2016. L’auteur avait reçu l’autorisation de planter sa caméra au sein même de la salle d’audience de l’établissement afin de filmer les débats devant le juge des libertés et de la détention pour le contrôle de légalité des mesures de soins psychiatriques sans consentement. Les protagonistes de ces audiences, malades y inclus, étaient filmés sans floutage du visage mais sans que leur nom ne soit jamais mentionné.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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L’un des malades filmés à l’occasion de ce film avait, quelque temps après la sortie de celui-ci, engagé une procédure au plein contentieux contre l’établissement hospitalier. En première instance, la demande avait été rejetée par le tribunal administratif de Lyon comme portée devant une juridiction incompétente. En cause d’appel, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé cette décision et s’est reconnue compétente. Elle a néanmoins rejeté les demandes d’indemnisation présentées par le malade.

Un tournage réalisé dans le respect de la volonté du malade

Le malade recherchait la responsabilité pour faute du centre hospitalier. Il soutenait que le directeur de l'hôpital avait commis une telle faute en autorisant que des séquences soient filmées et diffusées et en ne s'assurant pas que son anonymat soit préservé, ni que le secret médical ne soit pas méconnu à l'occasion du documentaire ainsi réalisé. A ses arguments, la cour administrative d’appel répondait que « le directeur du centre hospitalier n'a autorisé […] à réaliser le documentaire dans les locaux de l'hôpital, que sous réserve de l'obtention des autorisations individuelles de chaque personne devant être filmée, photographiée ou interviewée, ainsi que de l'absence de mention de leur nom, sauf autorisation expresse des intéressés ». Elle estimait ainsi que « l'hôpital a pris les mesures suffisantes pour s'assurer de la sauvegarde de son anonymat, dans le respect de sa volonté » car le malade avait lui-même donné son autorisation écrite expresse à être filmé pour le documentaire et à la diffusion de celui-ci. Elle ajoute, enfin, qu’il n’apparaît pas qu’une « atteinte au secret médical aurait été commise lors de l'enregistrement de l'audience devant le juge des libertés et de la détention, alors que le tournage a été réalisé avec l'accord du patient, spécialement assisté d'un conseil, mais également des équipes médicales de l'établissement ».

Cette décision est intéressante à un double titre. D’une part, elle rappelle que la loi du 5 juillet 2011, tout en dotant le juge judiciaire de compétences étendues pour contrôler la légalité des mesures de soins psychiatriques sans consentement et pour indemniser les préjudices résultant de celles-ci, n’a pas pour autant complètement évincé le juge administratif de tout le contentieux relatif au fonctionnement des établissements accueillant des malades pris en charge dans le cadre de ces dispositifs. Comme le souligne cet arrêt, le fait pour un directeur d’établissement d’autoriser à filmer des audiences judiciaires se déroulant dans le cadre d’un établissement demeure une décision administrative ressortissant à la compétence du juge administratif. D’autre part, l’arrêt est intéressant pour certaines questions qu’il soulève tout en laissant la réponse en suspens. Cette décision justifie essentiellement le rejet des demandes d’indemnisation présentées par le malade par le fait que celui-ci avait autorisé les prises de vue et leur diffusion dans le cadre du film, raison pour laquelle il n’y aurait pas d’atteinte au droit au secret médical à son égard. Il est resté durant longtemps incertain que l’autorisation d’un malade puisse légitimer une révélation du secret médical. A l’heure actuelle, notamment depuis la loi du 4 mars 2002 qui a clairement fait de lui le maître du secret, cela fait beaucoup moins de doutes en jurisprudence. On donnera l’exemple de celle qui fait de l’autorisation du patient une condition de la légalité de l’accès à son dossier médical dans le contentieux de la fausse déclaration pour la souscription d’un contrat d’assurance de personnes (Cass. 1e civ., 15 juin 2004, 15 juin 2004, 01-02.338 ; Cass. 1e civ., 7 décembre 2004, n° 02-12.539).

Un malade soigné sans son consentement mais apte à consentir à une atteinte au secret médical ?

C’est, en revanche, du côté de la qualité de l’autorisation donnée par le malade à ce que son cas soit filmé et diffusé que la critique peut se tourner. Les personnes prises en charge en établissement psychiatrique sont, par nature, atteintes de troubles mentaux. Ceux-ci peuvent être de nature à altérer la qualité de la capacité des personnes qui en sont atteintes à comprendre ce qui relèvera véritablement ou non de leur intérêt. En l’espèce, l’arrêt avait souligné, pour valider l’effet normatif du consentement donné par le malade à être filmé, que ce dernier n’était pas placé sous mesure de protection et que les opérations de tournage et de diffusion avaient été réalisées « dans le respect de sa volonté ». Sans nullement remettre en cause l’intérêt ou la qualité du film 12 jours (qui, comme le soulignait aussi l’arrêt, n’avait aucun but « récréatif » mais seulement documentaire), il n’empêche qu’on peut s’interroger quant au fait qu’il soit éthiquement – voire juridiquement – admissible de se fonder sur la capacité à consentir d’un malade placé en soins psychiatriques sans consentement pour légitimer une atteinte au secret médical le concernant.

Par ailleurs, notons que ce malade avait été admis en soins sur décision du préfet. L’arrêt aurait-il pu adopter la même solution si la personne ayant introduit la requête avait fait l’objet d’une admission sur décision du directeur d’établissement suite à la demande d’un tiers ou pour péril imminent ? Le film 12 jours présentait également des malades admis dans ce cadre. Car si l’admission sur décision du préfet ne fait pas de l’inaptitude à consentir aux soins un critère légal du prononcé de la mesure de soins, il en va différemment de l’admission sur directeur d’établissement qui, comme le prévoit l’article L. 3212-1 du code de la santé publique, ne peut être prononcée que lorsque les troubles mentaux dont souffre la personne « rendent impossible son consentement ». On ne manquerait pas de relever, en ce cas, l’étrange paradoxe selon lequel la personne serait placée en hospitalisation contre son gré car son état rendrait impossible son consentement aux soins, tout considérant dans le même temps qu’elle serait à même de consentir à une atteinte à son intimité médicale. Bref, cet arrêt est représentatif des ambiguïtés voire des contradictions, visibles sur bien d’autres points au sein même du code de la santé publique, que le droit entretient avec la portée normative des manifestations de volonté des personnes impliquées dans le cadre de ces procédures où, on le rappellera, elles sont pourtant dites en « soins psychiatriques sans consentement ».

Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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