Fusion de l'INRS et l'Anact : "Ce n'est pas la peine de tout casser"

Fusion de l'INRS et l'Anact : "Ce n'est pas la peine de tout casser"

14.12.2020

HSE

Plusieurs rapports ont préconisé une fusion de l'INRS et de l'Anact, estimant que ces deux acteurs de la santé au travail faisaient doublon. Les deux institutions ont des statuts et des missions différents mais sont amenées à travailler sur des mêmes sujets, comme les risques psychosociaux.

L'accord national interprofessionnel sur la santé au travail trouvé la semaine dernière ne prévoit finalement pas la fusion de l'INRS (institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) et l'Anact (agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail), deux des nombreux acteurs de la santé au travail. C'était pourtant le souhait patronal. L'idée provenait du rapport Lecocq-Forest-Dupuis de 2018 et avait été reprise dans celui des sénateurs Pascale Gruny et Stéphane Artano.

Charlotte Lecocq, qui déposera une proposition de loi dans les prochains jours, promet qu'elle ne passera pas la réforme au forceps. La fusion semble donc enterrée pour le moment. Néanmoins, le débat actuel sur le rapprochement de l'INRS et de l'Anact, qu'il n'est pas question ici de trancher, est l'occasion de s'intéresser de plus près à ces deux organisations. Quelles sont leurs missions ? Comment fonctionnent-elles ? Quelles sont leurs relations avec les entreprises ? 

La mission de l'INRS est de développer et promouvoir une culture de prévention des accidents du travail et maladies professionnelles. Ses chercheurs identifient les risques et analysent leurs conséquences sur la santé et la sécurité. L'institut tente ensuite de diffuser ces connaissances dans les entreprises. Le rôle de l'Anact et des Aract en région est d'outiller techniquement les acteurs de l'entreprise de manière paritaire et participative pour développer des démarches d’amélioration des conditions de travail. On voit aisément que les deux structures peuvent être amenées à travailler sur des sujets identiques.

Doublon ou complémentarité ? 

Les deux organismes publient tous deux de la documentation sur les risques psychosociaux ou le document unique, par exemple. Alors, leurs travaux ne font-ils pas parfois doublons ? "A propos des doublons : c'était vrai il y a 10 ans, sur les RPS et TMS, mais cela a évolué", croit observer un représentant du personnel CFDT de l'INRS. "Il est vrai que, dans le cas des RPS, nous avons le même objet, mais les champs d'action et les types de connaissances sont totalement différents. Par exemple, le dialogue social est spécifique à l'Anact, l'INRS n'accompagne jamais la négociation", défend Marc Benoit, de la CGT INRS. "Il ne s'agit pas de doublon mais plutôt de complémentarité, indispensable par ailleurs. Nos pratiques sont totalement différentes", abonde une représentante CGT de l'Anact.

"Il y a eu en matière de santé au travail, historiquement, le développement d'une approche centrée sur les risques professionnels, qui reste légitime et qu'il convient de continuer à porter. La création de l'Anact visait à compléter cette approche en portant un regard plus large sur les conditions de travail. Notre angle d'approche n'est pas le risque mais le travail et ses conditions de réalisation", tente de résumer Richard Abadie, directeur général de l'Anact. Pour lui, cet angle d'approche est le mélange d'une méthodologie (l'un de ses modes d'action privilégié est l'expérimentation) et d'un champ bien spécifiques.  

Financements et indépendance

"Le mode de financement est en rapport avec qui nous sommes", assure Marc Benoit. Les deux structures ne sont en effet pas financées de la même manière. L'INRS est une association loi 1901 gérée par un conseil d'administration paritaire. Son budget d'environ 80 millions d'euros provient des cotisations AT-MP. L'institut, qui compte 570 salariés, est lié à la branche risques professionnels de l'assurance maladie par une convention d'objectifs et de gestion pluriannuelle.

L'Anact est quant à elle un établissement public administratif sous la tutelle du ministère du travail. Son conseil d'administration est tripartite (représentants des employeurs, des salariés et de l'Etat). L'agence est essentiellement financée par le ministère, avec lequel elle signe un contrat d'objectifs et de performance pluriannuel. "Il est donc normal que l'Etat ait un rôle décisif dans la gouvernance de l'Anact", note Marc Benoit. "Quelle marge de manœuvre avoir quand son directeur est nommé par le gouvernement ?, se demande carrément Christian Darne,  représentant CFDT à l'INRS, à propos de l'Anact. Nous, on a au moins un garde-fou".

Côté INRS, "cette indépendance et cette autonomie nous permettent de garder de l'agilité. Or, on en a besoin en prévention pour faire de la prospective et de l'anticipation, entamer des actions qui n'ont pas de sens sur le moment", défend Christian Darne, qui donne l'exemple des travaux de l'institut sur les nanomatériaux bien avant qu'ils ne soient identifiés comme risques émergents par les pouvoirs publics.

D'ailleurs, ce qui se passe actuellement à l'Anact montrerait bien, aussi, cette corrélation entre financement et activités, d'après la déléguée syndicale CGT citée précédemment. La baisse de la dotation provenant du ministère aurait contraint l'agence à rechercher d'autres financements, notamment privés, "qui ont potentiellement un impact sur nos missions de service public". "Le risque est que l'équidistance qui nous caractérise soit de plus en plus difficile à tenir'.

Autre différence entre les deux institutions : le territoire et les relations avec les entreprises. L'Anact s'appuie sur un réseau d'Aract, en région, des associations de droit privé administrées de manière paritaire et financées par l'agence nationale, les régions et des ressources propres. "Il manque à l'INRS la distillation de toutes ses connaissances. Bien sûr, il a les Carsat, mais elles n'interviennent que pour les situations les plus accidentogènes. L'Anact est un peu plus forte que nous sur ce point", concède Christian Darne. 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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"Réinventer l'eau chaude"

Cet interlocuteur met en avant le "flou" des propositions de fusion qui le laissent plutôt perplexe. Dans une version intermédiaire du projet d'ANI (accord national interprofessionnel), il était question d'intégrer l'Anact au sein de l'INRS mais la partie concernant les Aract n'était pas très claire. Or, l'Anact compte environ 80 salariés, les Aract 200. Le budget de l'Anact est de 13 millions d'euros, celui des Aract 21 millions d'euros (dont 4 millions apportés par l'Anact) (1). Bref, leur sort n'est pas à négliger non plus. 

"Pour peu qu'on travaille à budget constant, intégrer les salariés de l'Anact à l'INRS n'est pas déconnant ni insurmontable, même si cela prendrait du temps", estime Christian Darne, à la CFDT. Mais côté CGT, on a du mal à imaginer une fusion sans économie. Or, l'Anact enregistre déjà une baisse des effectifs depuis quelques années.

"Derrière l'idée de doublon, il y a l'idée qu'on serait trop, alors que nous ne sommes pas assez. Parler de doublon sur les RPS alors qu'on ne peut pas répondre à toutes les sollicitations des entreprises et institutions sur le sujet, cela n'a pas de sens", se désole la représentante CGT de l'Anact. Pour elle, en fusionnant, les deux structures risqueraient aussi de perdre leurs spécificités et de "ne pas donner suffisamment à voir chacune de leurs missions". 

Voilà pour le volet risques de la balance bénéfices/risques d'une potentielle fusion. Qu'en est-il de l'intérêt ? "La fusion ne simplifie rien. L'idée est d'avoir un seul lieu de pouvoir à la place de deux, mais ce sera tout autant difficile pour les employeurs et les salariés de savoir qui fait quoi, qui a le droit d'entrer en entreprise ou pas", pense Marc Benoit. "On pourrait certainement améliorer la coordination des deux. Mais ce n'est pas la peine de tout casser pour réinventer l'eau chaude quand quelque chose fonctionne plutôt bien. Tout dépend des moyens, mais avec un budget identique, on ne fera pas mieux", imagine Christian Darne. "S'il y a de multiples intervenants, c'est qu'il y a une logique à tout cela", estimait Serge Legagnoa, de Force ouvrière, lors des négociations de l'ANI. 

COG et accord cadre

Aujourd'hui, l'Anact et l'INRS sont liés par un accord cadre de partenariat. "Ce qui nous permet de travailler avec l'INRS n'est pas de se répartir des thèmes mais de veiller à ce que nous soyons bien complémentaires sur les thèmes sur lesquels nous co intervenons", explique alors Richard Abadie. Il donne l'exemple d'une collaboration sur les RPS : peut-être que l'Anact travaillera plus spécifiquement sur les relations de travail, l'INRS sur l'environnement de travail et les deux, conjointement, sur les facteurs organisationnels. 

Pour autant, la COG (convention d'objectifs et de gestion) 2018-2022 demande bien à la branche AT-MP de renforcer ses relations avec le réseau Anact/Aract. Elle fixe : "La branche AT/MP s’engage à travailler en partenariat avec l’Anact pour homogénéiser l'offre en matière de RPS sur l’ensemble du territoire". En matière de RPS toujours, la COG constate que les entreprises ont du mal à passer du diagnostic à l'action et demande à la branche de carrément "élaborer avec l'Anact un plan de travail définissant les dispositifs innovants à créer". 

Alors, la coopération entre les deux organismes est-elle satisfaisante aujourd'hui ? Interrogé sur la question, Richard Abadie ne préconise pas forcément d'aller plus loin encore. "Nous défendons l'articulation. S'informer de ce que nous faisons permet de ne pas travailler en doublon", assure-t-il. Ses homologues à l'INRS, contactés à plusieurs reprises pour parler des spécificités de l'institut et de ses points communs avec l'Anact, n'ont pas souhaité répondre. 

(1) chiffres 2017 cités par la Cour des comptes. 

Pauline Chambost
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