[Interview] Alexia Gardin, professeure de droit : "Certaines mesures prévues dans les accords d’entreprise traduisent une vraie compréhension des violences conjugales"

[Interview] Alexia Gardin, professeure de droit : "Certaines mesures prévues dans les accords d’entreprise traduisent une vraie compréhension des violences conjugales"

06.03.2025

HSE

De plus en plus d’entreprises prennent en compte la lutte contre les violences conjugales dans les accords, principalement dans ceux sur l’égalité professionnelle. Alexia Gardin a analysé de près ces textes. Résultats : une diversité de mesures, qui traduisent un engagement plus ou moins fort de l'entreprise. Certaines se contentent de relayer des ressources, d'autres accompagnent concrètement les victimes.

Le lien entre violences conjugales et droit social n’est a priori pas évident. Pourtant, des entreprises se mobilisent sur le sujet, de manière volontaire puisqu’aucune obligation légale n’existe. Les mesures prises s’inscrivent parfois dans des accords négociés.

Alexia Gardin, professeure de droit à l’université de Lorraine, s’est penchée sur ces textes.

Elle raconte : "En 2021, au moment de la ratification par la France de la convention 190 de l’OIT, les pouvoirs publics ont fait de grandes déclarations pour dire qu’ils n’allaient pas légiférer mais que c’est aux partenaires sociaux de se saisir de la question. Je me suis donc demandé s’ils l’avaient fait". Elle présente ici les premiers résultats de son étude, toujours en cours.

 

Vous avez étudié les accords d’entreprise évoquant le sujet des violences conjugales. De quels accords s’agit-il ?

Alexia Gardin : J’ai interrogé la base Légifrance via l’utilisation de l’expression "violences conjugales". On voit que 2019, année du Grenelle, est charnière : le nombre d’accords augmente clairement à partir de cette date. J’ai ensuite analysé les 129 accords conclus entre janvier et octobre 2024 qui évoquent le sujet. Près de la moitié sont des accords sur l’égalité professionnelle et la QVCT, des négociations périodiques obligatoires, donc, sur lesquelles on greffe un volet violences conjugales. 26 accords portent sur le compte épargne temps. Dans ces cas-là, les partenaires sociaux s’inspirent de ce que le législateur a déjà prévu pour le déblocage de l’épargne salariale en cas de violences conjugales. Les autres concernent le don de jours de congé.

Comment les partenaires sociaux justifient-ils de traiter le sujet ?

Alexia Gardin : La mobilisation rejoint l’action des pouvoirs publics. On cite souvent le nombre de féminicides, l’action gouvernementale en matière de lutte contre les violences conjugales… Je n’ai vu que deux accords mentionnant aussi la convention 190 de l’OIT. Parfois, les partenaires sociaux se justifient au titre de la responsabilité sociale de l’entreprise, et bien plus rarement, au titre de l’obligation de sécurité de l’employeur. On voit que dans un grand nombre d’accords, le sujet est porté par les organisations syndicales et que dans quelques-uns, il est traité parce que le problème s’est déjà posé dans l’entreprise.

Il n’est pourtant pas évident de faire un lien entre obligation de sécurité de l’employeur et violences conjugales, si ce n’est dans les cas de salariés conjoints ou d’une agression du conjoint ou de l’ex-conjoint sur le lieu de travail…

Alexia Gardin : L’évocation de l’obligation de sécurité fait partie du discours mais n’est en effet pas un argument juridique et n’est jamais explicitée. Cela arrive toujours de la même manière dans les accords : au titre de cette obligation, l’employeur doit lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail et, dans une démarche volontariste, il élargit son action aux violences conjugales.

On a l’impression que la légitimité de l’entreprise à traiter ce sujet est déjà actée, contrairement à celle d’agir en santé publique, qui fait davantage débat, y compris du côté des organisations syndicales. Est-ce le cas ?

Alexia Gardin : C’est vrai. On peut peut-être y voir un lien avec l’impulsion internationale. L’OIT est une organisation tripartite. Dans la convention 190, il est écrit que la "violence domestique" peut se répercuter sur l’emploi, la productivité et la santé et la sécurité et que les entreprises peuvent contribuer à y répondre. Remarquons qu’on ne parle pas, ici, de prévention des violences conjugales, mais d’accompagnement. On ne sait déjà pas les prévenir dans la société…

Quelles sont les mesures prévues dans les textes que vous avez analysés ?

Alexia Gardin : La diversité des mesures proposées m’a frappée. Elles sont plus ou moins engageantes. J’identifie trois niveaux. Dans le premier, l’entreprise est utilisée comme une caisse de résonance des dispositifs qui existent à l’extérieur (numéro vert, associations etc.). Les mesures se résument à une communication auprès des salariés.

Le deuxième stade est un peu plus engageant : on désigne un référent violences conjugales dans l’entreprise par exemple, et surtout, on prévoit des dispositifs pour libérer du temps à la victime afin qu’elle puisse faire des démarches, avec des autorisations exceptionnelles d’absence, des dons de jours de congé etc.

Enfin, dans le troisième niveau, beaucoup plus rare (14 %), en plus des deux précédents types de mesures, l’entreprise cherche à accompagner elle-même la victime. On trouve des actions pour la reloger, des droits à la mobilité, une assistance juridique ou médicale etc. J’ai même vu, dans le cas d’une banque, des facilités d’ouverture de compte et la mise à disposition d’un coffre-fort pour conserver les papiers. Les mesures prévues traduisent ici une vraie compréhension du sujet.

Quelles sont les preuves demandées pour bénéficier de ces mesures ?

Alexia Gardin : Ce n’est pas toujours précisé et quand cela l’est, c’est très variable. Certains accords, à l’approche très formaliste, exigent le dépôt d’une plainte ou d’une main courante, alors que d’autres réclament une simple déclaration de la victime.

Ces mesures dépendent du volontarisme des entreprises puisque la France a choisi de ne pas reprendre la recommandation de l’OIT qui accompagne la convention 190. Vos travaux montrent que cela conduit à une inégalité des salariés. Le législateur ne devrait-il pas contraindre les entreprises ? Une proposition de loi LFI va dans ce sens.

Alexia Gardin : Je trouve l’intervention législative prématurée. En matière d’égalité professionnelle, on a utilisé tous les leviers d’action possibles et inimaginables et on se demande si trop de mesures n’ont pas tué les mesures. Je trouve l’approche par l'entreprise plus adaptée dans un premier temps. Mais je fais partie de ceux qui croient au dialogue social ! S’il est mené de manière sérieuse, avec des acteurs bien formés, il peut produire des effets. Je pense que c’est une bonne chose de laisser le temps à l’expérimentation.

 

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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