[Interview] Nicolas Catel (Anact) : "Il y a encore beaucoup de préventeurs qu'il faut convaincre que mener une évaluation différenciée, ce n'est pas discriminer"

[Interview] Nicolas Catel (Anact) : "Il y a encore beaucoup de préventeurs qu'il faut convaincre que mener une évaluation différenciée, ce n'est pas discriminer"

21.09.2025

HSE

L'Anact publie aujourd'hui un volumineux guide pour mener une évaluation différenciée des risques professionnels. à cette occasion, Nicolas Catel, chargé de mission à l'agence, répond à nos questions.

L'Anact publie aujourd'hui un guide méthodologique pour faire son DUERP en réalisant une "évaluation différenciée des risques professionnels pour les femmes et les hommes". Est-ce que cela veut dire que chaque responsable HSE doit reprendre son DU pour dédoubler chaque ligne ?

Nicolas Catel : Pas du tout, bien au contraire. Faire deux évaluations séparées est un des pièges dans lesquels il ne faut pas tomber. L'idée de l'évaluation différenciée est d’améliorer le travail pour toutes et tous en prenant en compte les spécificités de chacun.  

On entend souvent que pour réussir une analyse différenciée, il faut chausser les lunettes du genre. Quels sont les écueils à éviter ? 

Nicolas Catel : Il y a encore beaucoup de préventeurs et préventrices qu'il faut convaincre que mener une évaluation différenciée, ce n'est pas discriminer. Aujourd’hui, il est établi que dans les métiers et activités à prédominance féminine notamment (tertiaire, entretien, petite enfance, soin, etc.), les risques sont souvent sous-évalués parce que ces activités sont considérées, à tort, comme étant moins risquées. On peut aussi prendre l’exemple des postes administratifs qui font souvent l’objet d’évaluation des risques moins détaillée parce qu’ils sont perçus a priori comme moins exposés que les postes de production. L’évaluation des risques différenciée invite à accorder une attention particulière aux métiers à prédominance féminine mais aussi aux femmes dans des secteurs masculins. L’écueil, ce serait d’évaluer ces situations avec des idées préconçues. 

Les préventeurs.trices doivent-ils, pour y parvenir, se remettre en question et prendre conscience d'une vision parfois sexiste ? 

Nicolas Catel : L’invisibilisation des risques auxquels sont exposés les femmes n’est pas intentionnelle. Cela s’explique par des représentations culturelles et sociétales. Les méthodes de prévention accordent aujourd’hui encore une attention plus forte aux risques physiques, visibles, avec des effets immédiats – ce qui concerne plutôt des métiers occupés par les hommes. La prévention des risques est pour ces raisons encore majoritairement pensé pour "l’homme moyen". Cette standardisation est un obstacle pour mettre en place des mesures de prévention adaptées à toutes et tous et réduire les écarts de sinistralité entre les femmes et les hommes. 

Quelle est la différence entre les impacts différenciés et les expositions différenciées ?

Nicolas Catel : Lors de l'évaluation, les deux seront à explorer. Les expositions différenciées sont la conséquence de la réalité du travail : la plupart des métiers ne sont pas mixtes. Les femmes et les hommes n'occupent pas les mêmes postes de travail, ne sont pas exposés aux mêmes risques professionnels ni aux mêmes conditions de travail et n'ont pas les mêmes parcours professionnels. Les femmes sont plus exposées à des risques à effets différés, dont les impacts se ressentent à moyens et longs termes. Ils sont de fait moins visibles, moins identifiés que des risques à effets immédiats comme par exemple un risque de chute de hauteur. Pour évaluer l’impact différencié des risques, il faut en complément prendre en compte les spécificités des femmes et des hommes, tant sur le plan biologique (rythme cardiaque, thermorégulation, fonctionnement hormonal...), que social (temps partiel, conciliation vie privée vie professionnelle...). Une même situation de travail n'a pas toujours les mêmes effets selon qu’on est femme ou homme. 

Vous parliez d'expositions différenciées du fait de parcours professionnels différents...

Nicolas Catel : Non seulement les femmes sont exposées à des métiers qui usent, mais le plus souvent elles y restent. Lors qu’elles occupent des métiers moins qualifiés, elles bénéficient moins de mobilité et sont donc exposées plus longtemps aux pénibilités. Ce sont des dimensions à regarder dans l’évaluation.. Des collègues de l’Anact ont mené une étude dans une imprimerie, à la demande de l'employeur, qui ne comprenait pas pourquoi, sur le poste de finition [massicotage, pliage, reliure, etc, NDLR], les femmes étaient plus souvent en arrêt que les hommes, avec une sinistralité plus importante. Ils se sont aperçus que ce poste supposait beaucoup de petites manipulations. À la fin de la journée, la somme représentait un poids plus important que ce qui avait été manipulé sur les grosses chaînes par des hommes : certes de très grosses masses, mais avec des palans ou du matériel motorisé. Surtout, lorsqu'un homme était embauché sur le poste de finition, il passait rapidement conducteur de chaîne : des postes qui étaient considérés comme non adaptés aux femmes, qui donc restaient en finition. 

Dans le guide, vous détaillez la démarche d'élaboration du document unique, pourquoi ne pas avoir simplement indiqué ce qu'il faut ajouter pour parvenir à un DUERP avec une évaluation différenciée ? 

Nicolas Catel : Il nous semble important que ce guide ne soit pas uniquement le recensement de petits "tips" techniques pour prendre en compte, à la marge, les spécificités des situations de travail des femmes. L’approche différenciée doit inciter à enrichir la démarche d’évaluation dans son ensemble : cela concerne à la fois la phase de définition des unités de travail, la composition du comité de pilotage, le repérage des risques... La plupart de préventeurs devraient s'y retrouver.  

 

Lire aussi :

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

Découvrir tous les contenus liés
Élodie Touret
Vous aimerez aussi