[interview] Vagues de chaleur : "Oui, il faut refaire l'évaluation des risques et anticiper des mesures de prévention"

[interview] Vagues de chaleur : "Oui, il faut refaire l'évaluation des risques et anticiper des mesures de prévention"

23.07.2025

HSE

Concrètement, comment respecter les nouvelles exigences du code du travail pour assurer l'eau fraîche à tous les travailleurs ? Faut-il refaire l'évaluation des risques dans le DUERP pour tous les postes de travail ? Une permanence estivale avec le responsable HSE est-elle indispensable ?... Les réponses des avocats Virgile et Camille Pradel, spécialisés en santé au travail et risques professionnels.

Le décret du 27 mai 2025 a introduit un nouveau chapitre dans le code du travail (articles R. 4463-1 à R. 4463-8), pour la "prévention des risques liés aux épisodes de chaleur intense". Il est couplé à un arrêté du même jour, qui définit les épisodes de chaleur intenses sur la base des seuils de vigilance météorologique de Météo-France : pic de chaleur (jaune), canicule (orange), canicule extrême (rouge).  

Ces modifications sont entrées en vigueur au 1er juillet. Depuis, tout employeur doit donc avoir mis à jour son DUERP (document unique d'évaluation des risques professionnels), et défini des mesures de prévention – via le Papripact (programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail) pour les entreprises de plus de 50 salariés.  

Camille et Virgile Pradel sont avocats, spécialisés en santé au travail. Ils conseillent et défendent les employeurs sur ces questions.  

 

Le code du travail demande désormais clairement que l'employeur fournisse à ses travailleurs "de l'eau potable et fraîche pour leur permettre de se désaltérer et de se rafraîchir" (article R. 4225-2). Et "lorsqu'il est impossible de mettre en place l'eau courante", il doit leur fournir "au moins 3 litres [d'eau potable et fraîche] par jour par travailleur" (R. 4534-143). Concrètement, comment fait-on ? 

Camille et Virgile Pradel : Déjà, il faut bien noter que même si le code du travail ne définit pas exactement ce qu'est l'eau fraîche, ce n'est pas de l'eau réfrigérée. Il faut rester dans le bon sens. Cela veut au moins dire que l'eau fournie n'est pas exposée au soleil. On fait en sorte qu'elle soit nettement plus fraîche que la température extérieure les jours de canicule. Une eau à 35°C, par exemple, c'est pas bon. L'eau du robinet va être considérée comme fraîche, sauf cas particulier. Lorsque ce n'est pas possible d'avoir de l'eau courante, il faut prévoir les 3 litres / jour / travailleur, que l'on met bien à l'ombre. Et pourquoi pas dans un bac isotherme, mais il n'est à notre avis pas question d'avoir du matériel qui permette de rafraîchir artificiellement.  

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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L'employeur doit évaluer les risques lors de ces épisodes de fortes chaleurs, tant pour ceux qui travaillent à l'extérieur qu'à l'intérieur. Est-ce que cela veut dire qu'il faut systématiquement refaire l'évaluation des risques pour tous les postes de travail qu'on a dans le DUERP, et ce quel que soit notre secteur d'activité ?  

Camille et Virgile Pradel : Oui, il faut refaire l'évaluation des risques avec les nouvelles exigences, qui s'adossent au dispositif de vigilance de Météo France, et anticiper des mesures de prévention. Là aussi, c'est à appliquer avec du bon sens. On ne va pas refaire tous les locaux. Pour des bureaux, le risque va dépendre, par exemple, de s'il y a bien des rideaux, intérieurs ou extérieurs, qui permettent de se mettre à l'ombre. On fait le tour avec le CSE, pour constater ça. S'il fait très chaud, pour les lieux les moins bien conçus, on propose d'adapter les horaires.  

Quid des télétravailleurs ?  

Camille et Virgile Pradel ​: On pense à envoyer des messages d'information et de vigilance, on leur conseille d'adapter leurs horaires, etc. Mais n'oublions pas que ce sont surtout les travaux physiques qui sont fortement exposés au risque. Même si le télétravailleur a très chaud chez lui, on ne sera jamais au niveau de ce que vivent les gens dans le BTP, dans des usines, ou sur des postes près de sources de chaleur, comme dans les blanchisseries. Bien sûr, on peut avoir un malaise à la maison un jour d'alerte rouge, et la responsabilité de l'employeur pourra être engagée. Donc il faut avoir prévu les choses, autant que possible. 

Les mesures et actions de prévention doivent être mises en œuvre lorsque débute un épisode de chaleur intense. Puis elles doivent être adaptées en cas d'intensification, notamment si on passe en alerte rouge, comme cela a déjà été le cas en juin dans plusieurs départements. Cela veut-il dire qu'il faut prévoir une permanence ?  

Camille et Virgile Pradel ​: Exactement, absolument. Il faut une permanence RH, avec un responsable HSE, parce qu'il va falloir réagir. Il y a pas mal de structures où il n'y a qu'un seul HSE, et il faut bien qu'il parte en congés, donc il faut prévoir qu'il transmette certaines compétences pour assurer la continuité pendant ses vacances. Il va falloir attentivement se tenir au courant. D'autant qu'on peut avoir des travailleurs dans différents départements, ou qui sont sur la route, et le niveau de vigilance ne va pas être le même sur tout le territoire.  

On conseille de faire une extraction PDF du bulletin de vigilance de Météo France, au moins toutes les 24 heures, pour garder une traçabilité. Comme les décisions sont prises sur cette base, c'est pas mal d'avoir une "photo" du jour. Il faudra avoir prévu une adaptation, qui consistera pour beaucoup à décaler les horaires. Il faut adapter au maximum, quitte à décider de payer les gens à rester chez eux : il faut tirer toute conclusion d'une impossibilité de travailler. Parce que l'important, c'est bien qu'il n'y ait pas de drame ces jours-là.  

L'employeur doit être particulièrement vigilant et prévoir des adaptations lorsqu'il est "informé" de la vulnérabilité particulière d'un travailleur (article R. 4463-5). Comment savoir qui est vulnérable ?  

Camille et Virgile Pradel ​: Comme le prévoit le texte, la première chose à faire est de se rapprocher du service de santé au travail. On ne va pas chercher à identifier des catégories de personnes vulnérables, cela aboutirait à une liste beaucoup trop dangereuse du point de vue des discriminations et des libertés fondamentales, en plus d'être inopérante. Vous aurez noté que l'employeur doit aussi organiser une remontée des signalements des personnes qui ne se sentent pas bien, font un malaise, avec un protocole pour porter secours. Là aussi, c'est à faire en lien avec le service de santé au travail. On lui demande conseil, on propose, et on met en œuvre ce qu'il valide. 

Élodie Touret
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