L'extension des accords collectifs : une procédure qui perd du terrain

L'extension des accords collectifs : une procédure qui perd du terrain

07.01.2019

Convention collective

La procédure d'extension serait-elle à la croisée des chemins ? Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont accrû le rôle du ministre du travail en la matière. Par ailleurs, les évolutions récentes de la négociation collective opèrent un recul mécanique de l'extension. Explications avec Michel Morand, avocat associé du cabinet Barthélémy Avocats et membre du conseil scientifique, dans le cadre de notre partenariat avec le Club des branches fondé par le cabinet.

Si la grande majorité des salariés sont aujourd'hui couverts par un accord de branche, c'est en partie grâce à la procédure d'extension administrative qui permet au ministre du travail de rendre obligatoires les dispositions d'un accord de branche à toutes les entreprises d'un secteur, même celles qui ne sont pas adhérentes à une organisation patronale signataire. Partant, ce sont des droits conventionnels et des garanties étendus à tous les salariés d'un secteur et un risque de dumping social amoindri. Certains en déplorent toutefois certains effets, notamment celui de rendre plus difficile l'entrée sur un marché des petites entreprises.

L'extension permet la protection des salariés les plus fragiles

Dans une étude publiée le 23 novembre 2018, la première sur le sujet, la Dares constate que la procédure d'extension permet d'offrir une couverture conventionnelle à des salariés dont les conditions de travail sont moins favorables. Mais cet avantage est contrebalancé par les risques qui pèsent sur les petites entreprises à qui sont étendues ces dispositions conventionnelles.

 

Michel Morand, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy avocats, observe les transformations du rôle de l'extension et s'interroge sur la nécessité de faire évoluer la procédure au regard des finalités distinctes des accords collectifs.

Recul de l'extension

Ce qui frappe l'avocat, c'est le recul progressif du champ de l'extension. C'est sans doute l'une des conséquences insuffisamment mise en avant de la priorité donnée à la négociation d'entreprise. "Jusqu'à la loi Travail du 8 août 2016, s'agissant des dérogations aux dispositions légales, celles-ci mettaient en oeuvre les deux niveaux de négociation et, au niveau de la branche, l'extension était exigée. En 2016, le législateur a retiré la condition de l'extension pour les accords de branche portant sur la durée du travail et les congés. Il demeure toutefois des exceptions, notamment pour la durée minimale de 24 heures pour les contrats de travail à temps partiel. Or, nous n'avons pas de grille de lecture pour comprendre pourquoi certaines exigences d'extension sont maintenues et d'autres pas, selon les sujets. Par ailleurs, il rest vrai que l'extension a aujourd'hui moins de sens car il ne s'agit plus uniquement d'accords qui créent des avantages au profit des salariés".

Selon Michel Morand, ces changements sont loin d'être neutres. "La suppression de l'extension implique que certaines dispositions sur l'aménagement du temps de travail, depuis la loi de 2016, sont réservées aux seules entreprises adhérentes à une organisation patronale signataire, ce qui n'est pas neutre en termes de concurrence, notamment sur la tri-annualisation du temps de travail. In fine, cela peut obliger les entreprises à adhérer à une organisation patronale, ce qui est contraire à la liberté syndicale". Par ailleurs, souligne-t-il, "l'organisation patronale a intérêt à ce que l'accord soit étendu car cela met toutes les entreprises de la branche sur un pied d'égalité".

Vers un contrôle renforcé de l'extension ?

Des modifications législatives récentes pourraient bien renforcer ce recul de l'extension. Ainsi, les ordonnances étendent les pouvoirs du ministre du travail en matière d'extension. Il pourra désormais exclure de l'extension les dispositions qui sont de nature à porter une atteinte excessive à la libre concurrence compte tenu des caractéristiques du marché concerné.

Le ministre peut déjà exclure des dispositions qui seraient en contradiction avec la loi ou qui ne répondent pas à la situation de la branche. Il peut désormais, en outre, étendre les clauses de l'accord incomplètes au regard des dispositions légales sous réserve soit de l'application de ces dispositions, soit lorsque la loi renvoie leur mise en oeuvre à la conclusion d'une convention de branche ou d'entreprise, que les compléments soient prévus par la convention d'entreprise.

Les ordonnances prévoient également que le ministre du travail pourra, de sa propre initiative ou à la demande écrite et motivée d'une organisation d'employeurs ou d'une organisation de salariés représentative dans le champ d'application d'une convention, d'un accord ou de leurs avenants, saisir un groupe d'experts chargé d'apprécier les effets économiques et sociaux susceptibles de résulter de leur extension. Pour l'heure, le groupe d'experts n'a pas encore été saisi.

Les ordonnances prévoient également que pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel devront comporter des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés ou justifier des motifs pour lesquels ils ne comportent pas de telles stipulations.

Enfin, les ordonnances apportent des modifications au droit d'opposition qui seront précisées par décret.

En juillet 2017 déjà, l'OCDE préconisait de limiter l'extension devenue presque systématique. Parmi les mesures proposées : une évaluation préalable des extensions notamment via un comité d'experts, une hausse des seuils de représentativité des organisations signataires, un dispositif d'exemptions pour certaines entreprises ou une différenciation selon les types d'entreprise.

 

Différencier l'extension-autorisation de l'extension-obligation

Les risques sont aussi sociaux et économiques, met en garde Michel Morand, surtout s'agissant des accords qui ouvrent le champ des dérogations. "Il est contradictoire avec l'aspect de régulation économique que de limiter l'extension conçue comme une autorisation de déroger". L'avocat estime ainsi nécessaire de dissocier deux types d'accord, leur extension n'emportant pas les mêmes conséquences. "Le régime de l'extension n'a pas été modifié en tenant compte des différentes finalités de la négociation collective. Il faudrait distinguer l'extension-obligation de l'extension-autorisation. Cette dernière vise à autoriser toutes les entreprises à faire application des dérogations prévues par l'accord de branche, ce qui n'est pas du tout la même finalité que l'extension qui vise à étendre l'obligation d'appliquer des droits en faveur des salariés. Pourtant, dans ces deux cas, le mécanisme d'extension est le même", regrette-t-il.

"Il est dommage de retirer cette capacité d'intervention de la branche lorsqu'il n'y a pas d'accord d'entreprise. Cela va avec l'idée que l'entreprise est désormais le lieu de la négociation et que l'extension a donc moins d'intérêt et moins de sens en matière de dérogations".

Des risques pour la licéité des accords et les petites entreprises

Limiter l'extension, c'est aussi limiter le contrôle des accords collectifs. "Retirer la condition de l'extension c'est ne pas permettre au ministre du travail de vérifier la légalité et l'opportunité de l'accord, ce qui peut lui permettre de refuser l'extension ou d'émettre des réserves", prévient Michel Morand.

Le risque existe aussi spécifiquement pour les TPE-PME. Auparavant, les accord-type de branche (créés par la loi du 8 août 2016) devaient être étendus. Il n'est désormais plus nécessaire qu'ils le soient. En lieu et place, les ordonnances prévoient que, pour pouvoir être étendu, un accord de branche doit comporter des dispositions spécifiques pour les TPE-PME. "Mais cela peut relever d'une simple clause de style, être très formel pour simplement dire qu'on n'applique les mêmes règles aux TPE-PME".

 

Lors de sa création, la procédure d'extension avait fait l'objet de vives critiques car elle représentait un surcoût pour les entreprises, rappelle Michel Morand. Les évolutions récentes peuvent témoigner d'un retour de cette opinion (cf. le rapport de l'OCDE précité). Mais il est difficile de s'en tenir à cela. La primauté donnée à l'accord d'entreprise se marie mal avec la procédure d'extension qui confère à la branche un véritable rôle normatif.

 

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Florence Mehrez
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