La dématérialisation du document unique : la mesure décidément inapplicable de la loi santé au travail

La dématérialisation du document unique : la mesure décidément inapplicable de la loi santé au travail

12.03.2025

HSE

Développer un portail numérique pour permettre à tous les travailleurs d'avoir accès aux différents DUERP qui couvrent leur carrière, cela coûterait beaucoup trop cher et pose de multiples problèmes. Très bien, disent en substance les députés, mais le gouvernement doit désormais mettre en œuvre une alternative.

"Alors que la conservation des versions successives du DUERP est dorénavant effective, il paraît maintenant essentiel et prioritaire de permettre aux personnes concernées d'y accéder facilement, que cet accès s'effectue par le biais d'un portail numérique ou selon d'autres modalités", écrivent la députée Nathalie Colin-Oesterlé (Horizons & Indépendants) et son collègue Sébastien Delogu (LFI – NFP), dans le rapport d'application de la loi santé au travail – rapport qu'ils ont présenté en commission des affaires sociales le 19 février 2025, qui n'est toujours pas publié sur le site de l'Assemblée nationale, mais que nous avons pu consulter.  

Observant "l'état d'application de quelques-unes des principales dispositions de la loi", ils pointent sans surprise avant tout les difficultés qu'a l'exécutif à mettre en œuvre l'accès dématérialisé au DUERP. Ils confirment que cette mesure sera sans doute abandonnée – ce qui impliquera d'abroger une partie de l'article L 4121-3-1 du code du travail –, mais voudraient que le ministère s'attèle rapidement à définir d'autres modalités pour permettre l'accès aux versions successives du document unique.  

Enjeux de traçabilité 

Rembobinons. Dans l'ANI (accord national interprofessionnel) du 10 décembre 2020, les partenaires sociaux investissent le document unique d'une nouvelle mission : faciliter la traçabilité des expositions professionnelles aux agents chimiques dangereux, notamment les CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques) qui provoquent des maladies (cancers) plusieurs décennies plus tard. La loi du 2 août 2021 vient transposer cet ANI et le traduire en dispositions législatives. C'est acté, les employeurs devront conserver les versions successives du DUERP durant au moins 40 ans, le transmettre au SPST à chaque mise à jour, et s'organiser pour que ces documents soient déposés sur un portail numérique.  

Il est alors demandé aux organisations patronales (Medef, CPME, U2P) de voir entre elles comment faire, en élaborant un cahier des charges pour le portail numérique et en définissant les statuts de l'organisme gestionnaire, le tout devant être présenté au ministère du travail qui délivrera (ou pas) l'agrément.  

Coût prohibitif 

En juin 2022, la DGT (direction générale du travail) reçoit la proposition de cahier des charges. Ça ne va pas. Cette proposition "ne permettait pas l'opérationnalité du dispositif, développent les députés, rapportant les explications de la DGT, et ne répondait pas entièrement aux critères fixés par la loi dans la mesure où elle ne prévoyait ni les statuts de l'organisme gestionnaire du portail, ni les modalités de déploiement du portail". Le ministère saisit l'Igas (inspection générale des affaires sociales).  

L'inspection rend ses conclusions près d'un an plus tard – et elles ne seront publiées qu'en décembre 2023 : elle suggère d'abandonner le dispositif. "Un coût prohibitif, des risques de communication non maîtrisés [d'informations relevant du secret des affaires, NDLR], des contraintes opérationnelles fortes, résume Nathalie Colin-Oesterlé. J'ajoute que le coût est estimé à 7,5 millions d'euros d'investissement initial et 4,4 millions d'euros annuels de fonctionnement, ce qui est particulièrement prohibitif au regard, semble-t-il, du faible bénéfice attendu."  

Entre les mains des SPST ?  

À la place, l'Igas proposait de confier aux SPST la responsabilité de mettre à disposition des anciens travailleurs d'une entreprise le DUERP, que cette entreprise soit toujours en activité ou non, laissant aux entreprises directement la charge de communiquer le document aux travailleurs actifs. "La DGT a indiqué avoir mené des consultations avec les partenaires sociaux [...] sur la base des scénarios esquissés par la mission de l'Igas", indiquent les députés. Et d'ajouter : "le gouvernement n'a toutefois pas encore rendu ses arbitrages".  

Avec le décret d'application du 18 mars 2022, il est prévu que le document unique soit envoyé au SPST à chaque mise à jour. Alors qu'il n'était auparavant accessible qu'au médecin du travail (ainsi qu'à l'infirmier en santé au travail, au collaborateur médecin et à l'interne en médecine du travail), le DUERP doit désormais pouvoir être consulté par l'ensemble de l'équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail (IPRP, ergonome, psychologue, etc). Malheureusement, cette obligation légale se heurte à la réalité des chiffres. En 2022, à peine 3 % des entreprises avaient transmis le DUERP à leur SPST. En 2023, selon les chiffres qui viennent d'être publiés, ce n'est guère plus brillant : elles ne sont toujours que 5,2 % à l'avoir communiqué.

 

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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