La "Prop 65", loi californienne sur les produits chimiques, à l’épreuve du "First amendment" américain

La "Prop 65", loi californienne sur les produits chimiques, à l’épreuve du "First amendment" américain

02.07.2025

HSE

C'est un peu la "Reach californienne", et même son ancêtre : depuis 1986, la Proposition 65 oblige les entreprises à avertir les consommateurs quand les produits vendus en Californie contiennent des substances cancérigènes ou reprotoxiques. 900 produits sont répertoriés, dont le BPA et quelques PFAS. Cette obligation, pour un produit chimique qui ne ferait pas l'objet d'études assez solides, viole-t-elle le premier amendement américain – la liberté d’expression ? Une question à laquelle est en train de répondre la justice américaine concernant l'acrylamide.

« La Proposition 65, c’est une loi du droit à savoir », explique à Actuel HSE Julia Dolloff, médiatrice au sein du California OEHHA (Office of Environmental Health Hazard Assessment), bureau californien pour l’évaluation des risques pour la santé environnementale). Votée en 1986, la « Prop 65 », comme la surnomment celles et ceux qui la pratiquent, oblige les entreprises à avertir les consommateurs quand les produits vendus en Californie contiennent des substances cancérigènes ou reprotoxiques.  

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Elles doivent dans ce cas rendre visible un pictogramme triangulaire figurant un point d’exclamation sur fond jaune. « C’est important de parler de cette loi, parce qu’un pourcentage significatif de nos clients extérieurs à la Californie ignore qu’elle existe et ils se retrouvent à payer de significatives mises en conformité », souligne Whitney Jones Roy, avocate au sein du cabinet spécialisé Sheppard Mullin. 

Les substances sont répertoriées sur une liste qui comprend aujourd’hui 900 produits chimiques – dont le bisphénol A (BPA) et quelques PFAS.  « Au-dessus d’un certain seuil, déterminé par nos toxicologues, les entreprises doivent apposer l’avertissement », reprend Julia Dolloff, expliquant encore que cette loi « du droit à savoir » vient compléter les interdictions de substances prises au niveau étatique ou fédéral.

Charge administrative et contrôles

« Elle induit une charge administrative très importante pour les entreprises », considère l’avocate Whitney Jones Roy. Néanmoins, elle permet la réduction de l’exposition des consommateurs. En février 2025, une étude conduite par des chercheuses du Silent Spring Institute à Newton (Massachussetts) et de l’université de Californie à Berkeley a démontré que les entreprises soumises à la Proposition 65 choisissait majoritairement d’éliminer de leur formulation les substances inscrites sur la liste. Des reformulations qui bénéficient aussi au marché national voire international. « Notre Proposition 65 bénéficie au monde entier », se félicite Allan Hirsch, porte-parole de l’OEHHA. 

Qui en contrôle l’application ? Les différents procureurs de l’État, mais en fait surtout les particuliers, associations de consommateurs ou associations environnementales. Ces acteurs privés peuvent acheter et tester des produits : s’ils constatent la présence des substances au-dessus des seuils, ils remplissent un « avis d’infraction ». Cette possibilité est très utilisée : en 2024, 5 398 avis ont été déposés auprès du bureau du procureur général de Californie. « Les amendes et les frais d’avocats représentent des coûts importants pour les entreprises », commente Whitney Jones Roy, pointant un effet d’aubaine que certains avocats spécialisés n’hésitent à saisir pour réclamer des honoraires importants sur des affaires faciles. 

La « liberté d’expression », un outil contre la science ? 

Au-delà de ces avis, la justice californienne doit aujourd’hui se prononcer sur une question plus large, posée par le glyphosate et l’acrylamide. Ce dernier composé classé probablement cancérigène par le CIRC est utilisé dans le ciment, les emballages alimentaires, les pesticides et les cosmétiques. Il se forme aussi spontanément lors de la cuisson d'aliments riches en glucides et en protéines – comme le pain ou le café. En 2019, la chambre de commerce de Californie a intenté une action en justice alléguant que contraindre les entreprises à fournir des avertissements relatifs à la présence d'acrylamide dans les aliments violerait le premier amendement américain – soit la liberté d’expression – au motif que les preuves scientifiques concernant cette molécule ne seraient pas assez solides. 

Le 2 mai 2025, le tribunal de district est de la Californie lui a donné raison. Ce jugement, dont le procureur a fait appel, va dans le sens d’une décision prise en 2020 pour le glyphosate. « Tous les régulateurs dont le tribunal a connaissance, à l'exception unique du CIRC, ont conclu que le glyphosate ne provoquait pas de cancer ou qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves », avaient alors écrit les juges – une décision validée en appel en 2023. « Le problème (...) c’est la remise en question par le tribunal de l’autorité des conclusions du CIRC (...). Or bon nombre, si ce n’est la majorité des décisions de l’OEHHA (...) reposent sur les déterminations de cancérogénicité du CIRC », écrivent alors sur leur blog les avocats du cabinet Taft. L'acrylamide sera une affaire à suivre, prochainement en appel.

Éva Thiébaud
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