La restructuration des branches bousculée par le Conseil constitutionnel

La restructuration des branches bousculée par le Conseil constitutionnel

08.01.2020

Convention collective

Le Conseil constitutionnel a émis des réserves sur le processus de restructuration des branches professionnelles. Quel peut être l'impact de cette décision sur le processus en cours ? Décryptage de Michel Morand, avocat associé et membre du conseil scientifique au sein du cabinet Barthélémy Avocats, dans le cadre de notre partenariat avec le Club des branches fondé par le cabinet.

C’est un chantier qui n’en finit pas, celui de la restructuration des branches. Et pour cause, l’ambition affichée était de passer de plus de 700 branches existantes à une centaine. Si certaines branches ont réussi à se mettre d'accord pour une fusion ou un rattachement, tel n'est pas le cas de toutes, les partenaires sociaux de branche étant parfois rétifs à voir le paysage conventionnel se modifier. Le calendrier législatif et les outils évoluent eux aussi pour s'adapter aux difficultés rencontrées. Un (dernier ?) rapport est attendu, celui de Pierre Ramain, maître des requêtes au Conseil d'Etat, qui a été conseiller au ministère du travail. Le ministère l'a chargé de rechercher les voies pour faciliter la mise en oeuvre du processus de restructuration, notamment en trouvant les moyens méthodologiques et juridiques pour sécuriser le processus. Une sécurisation d'autant plus nécessaire après la décision que vient de rendre le Conseil constitutionnel, le 29 novembre dernier. Un grain de sable qui vient gripper la mécanique, Pierre Ramain et le gouvernement devant désormais intégrer l'exclusion et les réserves émises par les Sages sur le processus de restructuration des branches. 

La restructuration  des branches ne porte pas atteinte à la liberté contractuelle

Le Conseil constitutionnel a été saisi par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité de la CGT spectacles transmise par le Conseil d'Etat le 2 octobre dernier. Cette dernière demandait l'annulation de l'arrêté du ministère du travail du 9 avril 2019 relatif au rattachement de la convention collective des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision à la convention collective de la production audiovisuelle.

Selon la CGT, les articles L.2261-32, L.2261-33 et L.2261-34 du code du travail, qui fixent le cadre de la fusion des branches à l'initiative du ministère du travail, méconnaissent "les principes de la liberté contractuelle et du droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclus, de la liberté syndicale", garantis par la Constitution.

Le Conseil constitutionnel n'entend pas bouleverser tout l'échiquier. Il écarte ainsi le motif tiré de l'atteinte à la liberté contractuelle pour contester la procédure de restructuration en se plaçant sur le terrain de l'intérêt général. "C’est une argumentation similaire à celle développée devant le Conseil constitutionnel dans sa décision sur les clauses de désignation, constate Michel Morand, avocat associé et membre du conseil scientifique au sein du cabinet Barthélémy Avocats. Le Conseil constitutionnel s'est en revanche placé sur le terrain de l’intérêt général pour justifier le processus de restructuration, par la nécessité de donner des moyens supplémentaires aux branches en vue de renforcer le dialogue social afin que les branches aient les moyens d’exercer leurs attributions". 

Toutefois, le Conseil constitutionnel émet des réserves sur deux points et censure l'un des motifs permettant au ministère du travail de procéder à la fusion de branches professionnelles. 

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Fusionner pour "renforcer la cohérence des branches" reste trop imprécis

Le Conseil constitutionnel exclut ainsi la disposition de l'article L.2261-32 du code du travail permettant au ministre du travail d'engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives lorsqu'il s'agit de "renforcer la cohérence du champ d'application des conventions collectives". Selon les Sages, une telle disposition donne trop de pouvoir à l'administration. "Le législateur n'a pas déterminé au regard de quels critères cette cohérence pourrait être appréciée. Il a ainsi laissé à l'autorité ministérielle une latitude excessive dans l'appréciation des motifs susceptibles de justifier la fusion. Il a ce faisant méconnu l'étendu de sa compétence dans des conditions affectant la liberté contractuelle", indique le Conseil constitutionnel.

Une censure que n'avaient pas forcément envisagée les spécialistes. Surtout, cette exclusion soulève autant d'interrogations qu'elle n'en résout. "Qu’est-ce qu'une branche pour en déterminer la cohérence ?, s'interroge ainsi Michel Morand. Cette notion n'a pas de véritable définition" Une hypothèse avancée par l'avocat serait de s'inspirer de la notion d'unité économique et sociale (UES). "Il y aurait ainsi cohérence des champs au sein d'une branche dès lors que la mobilité des salariés qui ont des emplois similaires est possible d'une entreprise à l'autre et qu'existent des activités communes". 

Les conséquences de cette décision

Le Conseil constitutionnel met le législateur devant une alternative, résume Michel Morand, "faire disparaître totalement ce motif, ou effectuer le travail de précision demandé par les Sages". En attendant, que va-t-il se passer pour les branches déjà fusionnées sur la base de ce motif ? "Le Conseil constitutionnel a la faculté de moduler les effets dans le temps de ses décisions comme il l'a fait en matière de clauses de désignation. Il n'a toutefois pas fait ce choix en l'espèce, constate Michel Morand. Cette décision produit ses effets immédiatement et s'applique donc aux actions en cours qui ne sont pas définitivement jugées. Soit cette décision produit les effets d'une annulation, ce qui lui donne un caractère rétroactif, soit il ne s'agit que d'une abrogation, la décision ne produisant alors ses effets que pour l'avenir. En principe, le Conseil constitutionnel opte plutôt en faveur de la deuxième solution afin de donner une certaine stabilité aux situations passées. Cette décision n'aurait donc pas de conséquences pour les arrêtés de fusion antérieurs. Pour l'avenir en revanche, si des contentieux sont portés devant les juridictions administratives, l'administration devrait sans doute motiver sa décision de fusionner des champs conventionnels et conduira la doctrine administrative à motiver ses arrêtés de fusion". 

Aujourd'hui, il est difficile de savoir combien de branches sont concernées par la décision du Conseil constitutionnel. "Les arrêtés de fusion ne précisent pas le motif de la restructuration. Or, il existe huit motifs qui permettent à l’administration d’intervenir". 

Elargir le champ des participants à la négociation

Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel émet deux réserves relatives à la procédure de restructuration des branches. 

Première réserve : le Conseil constitutionnel estime que les organisations professionnelles qui auraient perdu leur représentativité entre le début de la négociation et son issue doivent pouvoir continuer à participer aux discussions relatives à l'accord de remplacement, quand bien même elles ne peuvent pas signer l'accord, s'y opposer ou s'opposer à son éventuelle extension.

"Le Conseil constitutionnel se place sur le terrain de la liberté contractuelle. Les syndicats représentatifs dans les différentes conventions collectives rattachées et dans la convention collective de rattachement peuvent négocier dans le nouveau champ conventionnel, même si elles ne sont pas représentatives dans toutes les conventions collectives et ce, jusqu'à la prochaine mesure de représentativité, explique Michel Morand. Lorsqu'il existe un accord de champ, la représentativité syndicales et patronale sera calculée dans le nouveau champ ; n'auraient vocation à participer que ceux qui sont représentatifs dans ce nouveau champ. Une telle mesure amènerait à faire disparaître du paysage des discussions les organisations syndicales et patronales qui étaient représentatives dans le champ des conventions collectives fusionnées ou rattachées, ce qui peut être contraire à la liberté contractuelle. Il faut laisser la capacité à tous les syndicats de participer à la négociation de transition jusqu'à la conclusion d'un accord ou jusqu'à l'échéance de la période de transition de cinq ou sept ans. Ils peuvent participer à la négociation même s'ils ne peuvent pas signer l'accord car ils ne sont plus représentatifs". 

Protéger les "situations spécifiques" de branche

La seconde réserve du Conseil constitutionnel porte sur l'article L.2261-33 du code du travail. Cette disposition prévoit que la branche de rattachement et celle rattachée négocient des stipulations communes dans un délai de cinq ans à compter de la date d'effet de la fusion ou du regroupement. A défaut d'accord conclu dans ce délai, les stipulations de la convention collective de branche s'appliquent. Le Conseil constitutionnel estime qu'il n'est pas possible de mettre fin de plein droit à l'application des stipulations de la convention collective de branche rattachée qui régissent des situations spécifiques à cette branche. Cela serait porter une atteinte excessive au droit au maintien des conventions légalement conclues. 

Mais les Sages se gardent bien de définir la notion de "situations spécifiques".  "Le Conseil constitutionnel souhaite qu'il n'y ait pas de disparition totale des conventions collectives rattachées au profit de la convention collective de rattachement ; les situations spécifiques doivent subsister et non disparaître totalement", analyse Michel Morand. Reste à savoir ce que peuvent être ces situations spécifiques. "Une chose est sûre, il ne s'agit pas seulement des contraintes spéciales liées à un secteur d'activité. On pourrait penser à un régime de prévoyance qui existe dans une convention collective rattachée mais non dans la convention collective de rattachement ; ou bien encore des dispositions relatives au forfait-jours par exemple".

"L'idée suggérée par le Conseil constitutionnel est que le dispositif conventionnel de rattachement soit complété", poursuit Michel Morand. Mais quels salariés seraient concernés par ce dispositif conventionnel enrichi ? "On peut penser que le champ d'application s'étende à ceux des salariés des conventions collectives rattachées", estime l'avocat. Se posera alors l'épineuse question du principe d'égalité. 

Florence Mehrez
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