L’Autorité environnementale épingle les études d’impact et l’insuffisante prise en compte de la transition énergétique dans les dossiers

L’Autorité environnementale épingle les études d’impact et l’insuffisante prise en compte de la transition énergétique dans les dossiers

22.05.2022

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L'Autorité environnementale vient de présenter son rapport d'activité 2021. Son président Philippe Ledenvic s'inquiète pour les moyens de l'instance, alors qu'on lui demande d'aller plus vite pour rendre ses avis. Parmi les autres points noirs : l'urgence climatique peu prise en compte, et des industriels qui actualisent a minima leurs études d'impact.

Un rapport d’activité 2021 en demi-teinte. Si le 5 mai 2022 devant la presse le président de l’Autorité environnementale Philippe Ledenvic a salué la meilleure qualité des dossiers de projet ainsi que l’intérêt croissant des médias, des services de l’État et de la justice, il a en revanche soulevé plusieurs points noirs, notamment en termes de fonctionnement.  

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Depuis le décret Asap de juillet 2021, l’Autorité doit rendre son avis en deux mois au lieu de trois. Un raccourcissement qui "rend plus difficile l’exercice démocratique environnemental" considère Philippe Ledenvic, posant au passage la question du risque de dégradation des avis. Pour l’éviter, le président de l’Autorité a expliqué toujours prendre le temps indispensable à l’analyse "et si cela doit nous prendre deux mois et demi, ou deux mois trois quart, nous les prenons", a-t-il déclaré. 

Des délais réduits alors même que la charge de travail a augmenté en 2021 et que l’Ae a subi une baisse "conjoncturelle" de ses moyens. Or "l’indépendance des autorités environnementales est indissociable des moyens dont elles disposent", défend Philippe Ledenvic. Du fait de la situation, l’Autorité a rendu pour la première fois de son existence 13 avis tacites, "faute de moyens suffisants pour instruire les dossiers". Par ailleurs, un décret du 31 mars 2022 a réduit l’indemnisation des membres associés de toutes les Ae. Une "surprise" pour le président, qui annonce que les membres ont décidé d’engager un recours contentieux. 

Le président de l’Autorité s’alarme aussi des conclusions du rapport Guillot de mars 2022. Ce document préconise, "pour renforcer la participation effective du public (...) tout en ramenant ses délais théoriques à six mois et demi, [d’]anticiper l’enquête publique". Un démarrage précoce qui induit que l’avis de l’Ae soit rendu en cours d’enquête. "L’avis a pour fonction d’éclairer le public", explique Philippe Levendic avant de préciser le risque encouru avec cette nouvelle disposition : une partie du public aurait accès à l’avis et pas l’autre. Et de conclure : "Cela réduit la place et la portée de l’avis environnemental". 

Industries  : les actualisations d’étude d’impact doivent se faire à l’échelle du projet 

En termes quantitatifs, l’Autorité a délibéré sur 159 avis en 2021, dont 91 ont concerné des projets et 68 des plans et programmes. L’Ae s’est en particulier prononcée sur 30 projets industriels, dont 10 dossiers nucléaires (la moitié en démantèlement), 11 projets "électriques" (6 lignes et postes électriques et 5 projets de production d’énergies renouvelables) et 9 dossiers d’ICPE (carrières, production d’hydrogène, centre de données, élevage avicole et fromagerie, usine d’assemblage d’éolienne).  

Sur ces projets, elle épingle la façon dont les industriels, en cas d’extension ou de modification de leurs installations, réalisent leurs actualisations d’études d’impact – soit souvent à l’échelle de l’installation. "Les évolutions législatives et réglementaires apportées par la loi (…) Asap et ses décrets d’application avaient probablement pour objectif d’exonérer certains projets (industriels notamment) d’une actualisation 'à l’échelle globale du projet'. Néanmoins, l’Ae a veillé à souligner, chaque fois que nécessaire, que les principes de la directive 'projets' sont intangibles quels que soient les écarts avec le droit national", peut-on lire dans le rapport d’activité.  

Sur cette question, Philippe Levendic a pris pour exemple l’actualisation de l’étude d’impact de l'EPR de Flamanville sur laquelle l’Ae a rendu un avis en décembre 2021. Une étude qui s’est focalisée sur la mise en service des réacteurs, délaissant la phase travaux ainsi que la mise en œuvre de la ligne électrique à très haute tension Cotentin-Maine – qui ne peut pourtant être séparée du reste du projet. Dans le même esprit, le rapport d’activité cite la production d’énergie renouvelable, dont l’étude d’impact doit inclure non seulement la production mais aussi le raccordement au réseau. 

La transition énergétique oubliée 

Sur le fond, l’Ae soulève enfin l’insuffisante prise en compte du changement climatique. "La sobriété énergétique est vraiment le plus souvent absente", remarque Philippe Ledenvic. Du côté des nouveaux projets industriels – qui conduisent forcément à une augmentation des consommations – les auteurs du rapport se disent "surpris" de les voir analysées "de façon minimale". Ils soulignent que les exigences de performance énergétique des bâtiments ne sont pas toujours précisées, tandis que, du côté des process, l’analyse de solutions alternatives sobres du point de vue énergétique reste souvent insuffisante. Ainsi, dans le cas de la création de deux centres de données aux Ulis (91), l’étude d’impact ne démontre pas "que l’efficacité énergétique du site ne peut pas être améliorée", selon l’avis rendu. Dans ce cas, l’Ae a recommandé en particulier d’étudier les possibilités de réutilisation de la chaleur fatale – "désormais une obligation légale" pour ce type d’industrie. 

Le rapport d’activité revient aussi sur la filière hydrogène puisqu’en 2021, l’Autorité a traité pour la première fois deux projets de ce type. Or, "l’intention de décarbonation ne se traduit pas toujours par la démonstration d’un bilan carbone complet et satisfaisant", note-t-elle. "On ne sait pas quel est le bilan carbone", traduit en quelques mots Philippe Ledenvic. Mais c’est surtout la filière nucléaire que l’Autorité a pu passer au crible, puisqu’elle a rendu en 2021 des avis sur l’EPR de Flamanville, sur le démantèlement, mais aussi sur les usines Cigeo et de La Hague. Elle constate "des rejets considérables d’azote, de nitrates, et de composés organohalogénés de certaines installations de la filière". "Nous avons presque été surpris de découvrir les niveaux des rejets chimiques de ces installations", pointe Philippe Ledenvic. Les futurs avis de l’Ae mériteront donc encore d’être scrutés avec attention.

Éva Thiébaud
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