Tout le monde bénéficie-t-il du droit à l'erreur lorsqu'il s'agit de tirer les conclusions de l'analyse d'un incident et de décider d'éventuelles sanctions ? Ce n'est pas si sûr, à en croire cette histoire racontée par Michel Llory, qui a eu, en seconde main, à enquêter sur un incident qui a valu un blâme aux deux derniers maillons de la chaîne.
On s’efforce semble-t-il de séparer nettement l’analyse des incidents et accidents d’une part, et les aspects disciplinaires, les sanctions éventuellement décidées d’autre part, suite à ces événements. Mais dans la plupart des cas, les managers sont des gens pressés et les analyses parfois (souvent ?) trop hâtives et superficielles conduisent à des sanctions quasi immédiates et très discutables des opérateurs de terrain.
Ainsi ce cas vécu, qui mérite qu’on s’y arrête par les enseignements que l’on peut en tirer, ou du moins les réflexions qu’il suscite. Je ne peux citer de façon précise les détails techniques pour préserver l’anonymat de cette affaire…
Un ingénieur de service de nuit donne des instructions générales à un agent technique pour intervenir sur une installation extérieure relativement éloignée du poste de commandement. Les conditions météorologiques sont ce jour-là extrêmement éprouvantes et dangereuses sur place : l’agent doit effectuer une série d’interventions en s’aidant d’un ordinateur dans un local, qui lui indique les défauts spécifiques apparus et à corriger, et en suivant les directives générales de l’ingénieur de service.
Finalement, l’agent commettra une erreur de manipulation qui vaudra un blâme aux deux protagonistes : l’ingénieur de garde de nuit et l’opérateur sur place, ceux-ci étant en contact radio…
Au siège de l’entreprise, c’est l’émoi, d’autant plus qu’une nouvelle procédure venait d’être émise par des experts du siège et envoyé aux usines régionales. La procédure "new look" devait réduire fortement les possibilités d’erreur…
J’ai été chargé, après coup, de réexaminer cet incident, le responsable sécurité du siège soupçonnant malgré tout un piège, et pensant que l’incident était peut être moins simple que l’analyse qui avait été réalisée à chaud, promptement, et qui avait conduit aux sanctions.
Sur le terrain, nous nous sommes livrés à une analyse somme toute classique, réinterrogeant les protagonistes, des collègues qui effectuent le même travail que ces derniers, et leurs responsables hiérarchiques, examinant les conditions de travail en détail.
HSE
Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement.
La première surprise vint de l’examen de cette procédure concoctée par une poignée d’experts ad hoc. Sa lecture attentive révéla plusieurs erreurs et imprécisions, ou ambiguïtés, qui mirent le commanditaire de mon intervention dans tous ses états. Perplexe, il répéta : "Comment cela est-il possible ?".
La deuxième surprise vint de l’ingénieur de service qui me démontra aisément, manipulations à l’appui, que l’écran de pilotage qu’il devait utiliser était obsolète, particulièrement inadapté lors de ces conditions météo extrêmes qui toutefois n’étaient pas exceptionnelles ! La demande réitérée de modification de l’écran et de son ergonomie ne lui avait pas permis jusque-là d’obtenir gain de cause.
La nouvelle surprise qui m’attendait me plongea dans des abimes de perplexité. Le service informatique spécialisé du siège avait décidé de changer le dispositif de visualisation de l’état de l’installation à gérer pour l’agent technique. Un prototype avait été réalisé par une société respectable qui avait pignon sur rue. Les ingénieurs de celle-ci étaient venus installer le prototype chez notre agent technique, sans explication ni formation.
L’agent n’eut guère de difficulté à son tour pour me mettre en évidence les insuffisances ergonomiques du système. Entre autres : défilement trop rapide des données en cas de fortes perturbations et apparition de cascades de défauts, indications sensibles peu lisibles…
Bref la conception de l’écran était à revoir de fond en comble, en prévoyant cette fois la participation des agents concernés ! Par ailleurs, les contraintes imposées par les conditions d’intervention difficiles, nécessitant des allers-retours entre le local de l’ordinateur et les points de l’installation nécessitant une intervention technique manuelle n’étaient pas prises en compte.
L’exposé de ces conclusions laissa mon commanditaire sans voix. L’un des responsables de haut niveau auquel nous avions exposé nos résultats commenta sobrement, avec humilité : "Eh bien, nous avons du pain sur la planche…".
Un autre, halluciné, nous suspecta d’obédiences "néo-marxistes" ! Notre analyse souffrait selon lui d’un parti-pris total. Il afficha un déni remarquable vis-à-vis de nos constats pourtant assez simples ; j’oserais dire évidents.
Cet incident concernait au minimum 5 à 6 entités organisationnelles de l’entreprise et du prestataire, soit au bas mot une trentaine de personnes ! Et pourtant ce sont les deux derniers maillons de la chaîne organisationnelle qui avaient écopé d’un blâme… Et que dire de la hâte avec laquelle la première analyse avait été conduite, si superficiellement ?
Quelques jours plus tard, nous exposions les résultats de l’enquête à un panel de managers régionaux. Le responsable qui avait signé si promptement le blâme officiel, extrêmement rare dans cette entreprise, se trouvait malencontreusement (volontairement ?) absent de la réunion de synthèse. Son adjoint, présent, eut cette formule stupéfiante en réponse à mon commanditaire qui s’étonnait de ces sanctions si hâtivement décidées : "Que voulez-vous, les responsables, eux aussi, ont droit à l’erreur !"
Et honni soit qui mal y pense…
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