Les accords types de branche n'ont pas rencontré le succès escompté. Déjà existants en matière de participation et d'intéressement, ils étaient promis à une généralisation avec la loi Travail de 2016. Mais seule une branche s'en est emparée. Décryptage avec Michel Morand, avocat associé et membre du conseil scientifique au sein du cabinet Barthélémy Avocats, dans le cadre de notre partenariat avec le Club des branches fondé par le cabinet.

Comment permettre aux petites entreprises de se doter de règles collectives alors que - bien souvent - elles sont dépourvues de représentants du personnel ? La solution semblait pouvoir passer par l'essor des accords types de branche. Lancés par la loi Travail du 8 août 2016, ils n'ont pourtant pas rencontré le succès escompté et sont désormais concurrencés par d'autres modes de confection de la norme sociale dans les TPE.
Décryptage de cet échec avec Michel Morand, avocat associé au sein du cabinet Barthélemy Avocats et membre du comité scientifique.
Un dispositif pourtant simple
C'est dans son rapport remis à Manuel Valls, alors Premier ministre, qui devait préfigurer la réforme de la négociation collective, que l'ancien directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, a formulé cette idée. La proposition 38 de son rapport visait à "édicter des accords-types d'entreprise par les branches dans leur rôle de prestation de services à l'égard des TPE". L'actuel président de la section du contentieux du Conseil d'Etat estimait ainsi que la branche devait "être en capacité de proposer, via des accords, des solutions spécialement adaptées aux TPE". Qu'il s'agisse "d'accords d'entreprise types laissant au chef d'entreprise et à ses salariés des options claires de choix, des règles d'accès direct à des dispositifs dérogatoires aux salariés des TPE, des exemples de bonnes pratiques concernant notamment le contenu d'accords d'entreprise".
La loi El Khomri du 8 août 2016 a entériné cette proposition. L'article 63 de la loi prévoyait ainsi :
"Un accord de branche étendu peut comporter, le cas échéant sous forme d'accord type indiquant les différents choix laissés à l'employeur, des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés. Ces stipulations spécifiques peuvent porter sur l'ensemble des négociations prévues par le présent code. L'employeur peut appliquer cet accord type au moyen d'un document unilatéral indiquant les choix qu'il a retenus après en avoir informé les délégués du personnel, s'il en existe dans l'entreprise, ainsi que les salariés, par tout moyen".
Michel Morand souligne la simplicité des conditions d'application du dispositif. "Une décision unilatérale d'appliquer l'accord suffit ; l'entreprise doit seulement en informer le CSE ou les délégués du personnel, le cas échéant. L'entreprise peut appliquer tel quel l'accord type sans le modifier".
Pourtant, le dispositif a rencontré peu de succès. On dénombre un seul et unique accord type de branche dans la branche des entreprises du médicament (LEEM) qui portait sur la durée du travail. Après un premier accord signé en 2017, le LEEM en avait conclu un second, le 5 avril 2018. L'accord prévoyait des dispositions à compléter sur le temps de travail et un mode d’emploi sur ce que les entreprises de moins de 50 salariés pouvaient insérer. Il ouvrait notamment la possibilité du forfait en jours. Contacté, le LEEM nous a dit ne pas disposer de données sur les éventuelles entreprises qui auraient appliqué cet accord de branche en leur sein.
Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.
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Les raisons d'un échec
Comment expliquer cet échec sur le terrain d'une idée de bon sens simple à mettre en oeuvre ? "Les branches ne savent plus précisément quel est leur rôle en raison de la supplétivité des accords de branches", avance Michel Morand. Il regrette d'autant plus que le dispositif n'ait pas suscité plus d'engouement dans les négociations de branche que "les accords-types peuvent être utiles sur le terrain de la concurrence entre les grandes entreprises et les petites qui ne peuvent pas toujours signer d'accords d'entreprise ; la branche pourrait ainsi avoir plus d'efficacité et parfaitement remplir son rôle de prestataire de services".
Autre raison, et non des moindres, que souligne Michel Morand : "la plupart des thèmes qui pourraient donner lieu à accord type (en dehors de l'intéressement et de la participation) sont ceux qui portent plutôt des dispositions dérogatoires (durée du travail, forfait-jours,...). Or, les syndicats de salariés n'y sont pas forcément favorables". Il rappelle qu'auparavant, comme par exemple lors des lois Aubry sur la réduction du temps de travail, "les syndicats étaient moins hostiles à ce type d'acord car il existait des contreparties (celles concernant la détermination du salaire de base 35 heures)". "Maintenant il est plus difficile de trouver des contreparties suffisantes pour que les syndicats acceptent de négocier", constate-t-il.
Autre paramètre : les nouvelles règles issues des ordonnances du 22 septembre 2017. Pourquoi appliquer un accord type de branche alors que les petites entreprises peuvent désormais recourir au référendum d'entreprise pour faire adopter un projet d'accord élaboré par l'employeur ? Par ailleurs, souligne Michel Morand, "dans les entreprises de moins de 50 salariés, il est possible de négocier des accords ; la concurrence peut s'installer entre la branche et la négociation avec les salariés eux-mêmes, ou avec le CSE dans ces entreprises de moins de 50 salariés. L'entreprise peut ainsi faire différemment de l'accord de branche type".
La suppression de la condition d'extension
Autre élément qui a affaibli la portée de ces accords type : la suppression de la condition de l'extension par les ordonnances du 22 septembre 2017. La loi Travail prévoyait en effet qu'ils ne pouvaient entrer en vigueur qu'après extension par le ministère du travail. Ce n'est désormais plus nécessaire, ce que déplore Michel Morand. "L'un des avantages de proposer aux entreprise un accord type est de leur apporter en même temps une certaine sécurité. Or, l'accord de branche était plus sécurisé d'un point de vue juridique lorsqu'il y avait extension de l'accord, le ministère en contrôlant la légalité. Cette décision s'inscrit dans la tendance au reflux de la procédure d'extension". Mais ce n'est pas tout. En retirant la condition d'extension de l'accord, la loi limite le champ des accords types de branche. "Seules les entreprises adhérentes à une organisation professionnelle signataire pourront l'appliquer".
Michel Morand comprend d'autant moins cette décision que, désormais, "les accords de branche doivent comporter des clauses spécifiques aux PME afin de pouvoir être étendus".
Un précédent en matière d'intéressement et de participation
Pourtant, les accords types de branche ne sont pas si nouveaux que cela. Ils existent déjà en matière d'intéressement et de participation. Les branches devaient ainsi ouvrir des négociations portant sur l'intéressement et la participation avant le 31 décembre 2017, les entreprises de moins de 50 salariés pouvant y adhérer par décision unilatérale de l'employeur. "Pour les TPE, cela peut leur faciliter la tâche car il s'agit d'accords complexes. Ces accords représentent un réel intérêt pour les branches car il s'agit d'accords complexes. Cela contribue à donner le rôle qu'on souhaite donner aux branches par rapport aux petites entreprises", explique Michel Morand.
Cette obligation est en cours de renouvellement avec le projet de loi Pacte. Les branches auront désormais jusqu'au 31 décembre 2020 pour remplir leur obligation.
Peut-on sauver les accords types ?
Peut-on encore sauver le dispositif ? Pour redonner du souffle à ces accords, Michel Morand ne voit qu'une solution. "Le seul moyen de revivifier les accords types serait de leur appliquer le même régime que celui des accords de groupe. Ainsi, lorsque la branche s'emparerait d'un thème, cela interdirait aux entreprises de moins de 50 salariés de négocier sur ce même thème". En somme, les branches pourraient réintroduire dans le bloc 1 - s'agissant uniquement des entreprises de moins de 50 salariés - les thèmes sur lesquels elles concluent des accords types, sauf accord d'entreprise comportant des garanties au moins équivalentes. Reste que "cela va à l'encontre de l'idée de permettre à l'entreprise de se réapproprier la règle sociale", souligne Michel Morand.
Il n'est donc pas sûr qu'il y aura une volonté de redonner du souffle aux accords types de branche.