Le manager de proximité, "toujours en souffrance d’un objectif à atteindre"

Le manager de proximité, "toujours en souffrance d’un objectif à atteindre"

19.01.2016

HSE

90 tâches par jour, jusqu’à 21 outils de gestion du travail... Sans sa capacité à résoudre les problèmes, une organisation ne pourrait fonctionner et pourtant, il est un des seuls à le savoir. Observé par Lambert Lanoë, le manager de proximité n’est pas très en forme.

DRLambert Lanoë est doctorant en sciences de gestion à l’université de Nantes. Ces deux dernières années, il s’est penché sur le cas des managers de proximité dans une grande entreprise française. Il a chronométré leurs tâches quotidiennes (voir encadré). Et il en a tiré trois constats. Le premier, c’est que la disponibilité de ces managers face à de multiples situations constitue l’essentiel de leur activité, par conséquent très fragmentée. Seconde observation, formulée par plusieurs des managers observés : "Il y a trop de logiciels". Qu’ils servent au reporting, ou à l’organisation du travail, l’utilisation de ces logiciels prend du temps et "peut générer pour les collaborateurs l’image d’un encadrant bloqué à son bureau", analyse le chercheur. Dernier constat, le travail du manager de proximité est entrecoupé de réunions, qui le tiennent éloigné de son rôle d’animateur du travail et de ses collaborateurs.

À l’issue de vos recherches, vous concluez à l’existence d’un triple "syndrome".

Lambert Lanoë : Le premier, celui de la gestionnite, vient isoler un collectif de travail dont le management est happé par d’autres exigences que celles de l’activité, de son soutien et de son animation. Le second syndrome, la quantophrénie, menace les entreprises où tout est chiffré, mesuré, où tout ce qui n’est pas quantifiable n’existe pas – c'est-à-dire les organisations qui privilégient l’imaginaire gestionnaire face au travail réel. Cela empêche bien souvent la prise en considération de l’activité de régulation du manager. Pourtant, sans cette régulation, il n’y aurait pas de fonctionnement possible. Enfin, il y a un manque de reconnaissance et de connaissance du travail réalisé qui impacte tout manager dont les directives sont en incohérence avec la représentation qu’il se fait de son rôle dans l’entreprise.

"Syndromes", "gestionnite"... Vous parlez du quotidien du manager de première ligne dans des termes pathologiques.

Lambert Lanoë : Ces termes proviennent d’autres recherches (Mathieu Detchessahar, Vincent de Gauléjac, Yves Clot). Effectivement on est dans le registre pathologique. Mais c’est l’entreprise, le travail, qui sont malades, plus que les managers de proximité. Souvent j’ai entendu le terme de "schizophrénie" lorsqu’ils évoquaient leurs missions. Beaucoup de leurs objectifs doivent être atteints simultanément alors qu’ils sont contradictoires. Par exemple répondre à des objectifs de productivité, de flexibilité, de coûts tout en améliorant la sécurité, la qualité, l’innovation. J’ai aussi eu affaire à des managers qui comparaient leur activité au mythe de Sisyphe. Une activité vaine, chaque jour recommencée avec à la fois le sentiment d’être très utile et en même temps que cette utilité n’est pas toujours reconnue par la hiérarchie et par les équipes. Il y a une réelle souffrance à finir la journée avec ce sentiment d’invisibilité.

Quel est le plus gros problème qui se pose à ces managers en terme de santé au travail ?

Lambert Lanoë : La charge de travail. Le caractère fragmenté de leur activité les conduit à allonger les plages horaires pour avoir un moment de calme et régler des missions parallèles. Ils font en moyenne 10h de présence, pour 8h de travail effectif. Beaucoup de personnes sont elles aussi soumises à ces 8h de travail quotidiennes. Mais dans le cas des managers de proximité, le travail étant fragmenté, il est très demandeur au niveau cognitif. Et peut vite devenir épuisant. Le manager n’est jamais complètement libre d’oublier son travail, car toujours submergé par ce qu’il lui reste à faire.

Ironiquement, les managers de première ligne sont considérées comme les chevilles ouvrières du bien-être au travail.

Lambert Lanoë : Ils doivent être acteurs de tous les changements, et en même temps ils les subissent. Le fait d’être toujours missionnés sur un ensemble de tâches grandissant participe de leur mal-être, dans la mesure où ils ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour assurer leur rôle.

Alors pourquoi ne sont-ils pas missionnés sur les espaces de discussion, dernier avatar de la qualité de vie au travail ? Observe-t-on une relégation de ces managers ?

Lambert Lanoë : Certaines entreprises ont pris le parti d’exclure les managers de ces espaces, leur présence pouvant empêcher la parole des équipes. On le voit par exemple dans les entreprises libérées (voir notre article). Pour moi, ces espaces de discussions nécessitent la présence du manager. Mais pour cela, il doit être "désempêché" d’animer la scène du travail. Dans le cadre des discussions collectives qu’il peut être amené à animer, il parle de l’actualité de l’entreprise, des objectifs à atteindre, des périphériques du travail… Il ne porte même plus les questions d’organisation du travail. Alors que dans les discussions face-à-face, qui constituent la plupart des cas où il discute avec ses collaborateurs, il est principalement question de travail. Sur ce sujet, à mon avis, il a un rôle indispensable.

Qu’ont apporté vos recherches sur le terrain ?

Lambert Lanoë : Une note redéfinissant le statut du manager de proximité a été publiée dans l’entreprise. C’est un premier pas qui reconnaît les difficultés liées à ce rôle et montre la nécessité de mettre en place des espaces de discussion pilotés par les managers. Ces recherches viennent également nourrir un groupe de travail avec l’Anact sur la régulation du travail du manager, le management et les espaces de discussion. Ce groupe s’inscrit dans le cadre plus large d’un dispositif d’accompagnement de la transformation de l’entreprise.

À quelles conditions le manager de proximité pourra-t-il être bien dans son travail ?

Lambert Lanoë : Il faut que son activité soit repositionnée sur la conduite et l’organisation du métier de ses équipes. Le manager de proximité a aussi besoin de moyens de réponses et donc d’être plus connecté aux autres strates hiérarchiques. Celles-ci doivent reconnaître son cœur de métier, à savoir la connaissance de l’activité. Il y a également un enjeu de subsidiarité : il faut que les marges de manœuvre soient attribuées au niveau d’autorité le plus compétent pour résoudre les difficultés. C’est un chantier complexe, car cela nécessite de réfléchir de façon précise à des problématiques locales, et en même temps de manière globale pour repenser le modèle organisationnel. Des sujets comme les espaces de discussion, la subsidiarité et le management du travail doivent être portés par les dirigeants des entreprises. Dans le cas contraire, cela donnera simplement une réunion de plus pour les managers de proximité.

Les managers de proximité observés par Lambert Lanoë exercent en moyenne plus de 90 tâches différentes chaque jour – contre 77 pour un encadrant intermédiaire –. Cela veut dire qu’il change de tâche environ toutes les 5 minutes 30. Il consacre en moyenne 36 % de son temps à utiliser des "outils de gestion" pour la planification, le reporting, la logistique, etc. "Ils peuvent utiliser jusqu’à 21 outils de ce type pour organiser le travail", pointe le chercheur. Conséquence, en moyenne un manager de proximité passe les trois quarts de son temps à son bureau. Se considérant comme extrêmement autonome, il n’a paradoxalement que peu de marges de manœuvre pour réaliser ses missions. Le baromètre interne de l’entreprise où est intervenu Lambert Lanoë a permis de constater un écart de satisfaction de 19 points entre ces deux éléments.

Toutes les 5 minutes : 1 nouvelle tâche

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Claire Branchereau
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