Le projet de loi Asap autorise les services de santé au travail à utiliser le numéro de sécurité sociale

Le projet de loi Asap autorise les services de santé au travail à utiliser le numéro de sécurité sociale

29.10.2020

HSE

Depuis des années, la continuité du suivi médical des travailleurs bute sur une difficulté : avoir un identifiant unique pour suivre le salarié. Les services de santé au travail réclament de pouvoir utiliser le numéro de sécurité sociale, appuyés par plusieurs rapports. Cela devrait être bientôt possible. Un autre frein subsistera : les employeurs craignent la traçabilité.

Les députés ont définitivement adopté, mercredi 28 octobre 2020, le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dit Asap. Le texte comporte des dispositions touchant à des domaines très variés – dont le droit des installations classées. On y trouve aussi cette mesure concernant les services de santé au travail : ils pourront utiliser le numéro de sécurité sociale du salarié. Une demande récurrente depuis plusieurs années, formulée notamment par Présanse, l’association regroupant la majorité des services de santé au travail interentreprises.

La possibilité a été introduite dans le projet de loi par un amendement de la députée LREM du Jura Danielle Brulebois, voté en commission des affaires sociales après un avis favorable du rapporteur et du gouvernement. « C’est une mesure de bon sens », a estimé la ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher, présente ce jour-là en commission.

Motivant son amendement, Danielle Brulebois souligne que les services de santé au travail peuvent « uniquement stocker [le numéro de sécurité sociale] et ne peuvent pas l’utiliser ». Dans le contexte de crise sanitaire, elle estime qu’il est particulièrement « important de pouvoir lever les freins qui les ralentissent pour avoir une connaissance exhaustive des salariés qu’ils suivent ». 

Quelles modifications du code de la santé publique ?  

Le code de la santé publique (article L. 1111-8-1) sera modifié afin que les services de santé au travail, qu’ils soient autonomes ou interentreprises, puissent utiliser « l’identifiant de santé des personnes pour leur prise en charge ».

Les données de santé rattachées au numéro de sécurité sociale sont « collectées, transmises et conservées dans le respect du secret professionnel et des référentiels de sécurité et d’interopérabilité », prévoit le projet de loi Asap tel qu’adopté par les parlementaires. Au sens de l’article L. 1110-4-1 du code de la santé publique. 

Ils renvoient à un décret en Conseil d’État pour « fixer les modalités autorisant l’utilisation de cet identifiant et empêchant son utilisation à des fins autres que sanitaires et médicosociales ». Ce décret sera pris après avis de la Cnil (commission nationale de l’informatique et des libertés). 

Flashback en 2016

La question de l’utilisation du numéro de sécurité sociale dans le cadre de la santé au travail n’est pas nouvelle : la HAS (haute autorité de santé) recommande depuis 2009 de l’utiliser pour le DMST (dossier médical en santé au travail). Elle précisait alors déjà que cela devait se faire dans un cadre défini par la Cnil. 

La dernière fois que la question s’est posée avec acuité, c’était lors de la réforme du suivi médical embarquée dans la loi travail de 2016. Cette loi portée par la ministre Myriam El Khomri, prévoyait que les intérimaires et salariés en CDD bénéficient du même suivi individuel que ceux en CDI. Cela devait notamment reposer sur les DMST et un système d’information dans lequel les services de santé au travail parlent le même langage, et désignent de façon identique un même travailleur. Quoi de plus logique que d’utiliser le numéro de sécurité sociale ? 

« On aurait maintenant besoin d'être soutenus par les pouvoirs publics pour utiliser ce numéro, sinon nous serons obligés d'en créer un autre, peut-être moins efficace », défendait alors Martial Brun, directeur général de Présanse (qui s’appelait alors le Cisme). Ce travail d’interopérabilité n’a pas été mené, ni du côté des pouvoirs publics, ni du côté des services de santé au travail. 

À partir du 1er juillet 2021, le DMST sera un volet du DMP. Une modification apportée par la loi santé de 2019, et alors que les pouvoir publics décidaient de donner un nouveau souffle au DMP – sans grand succès pour l’instant. Autrement dit, le médecin du travail pourra déposer des informations dans le DMP, mais il ne pourra toujours pas le consulter (article L. 1111-18 du code de la santé publique).

La peur de la traçabilité ? 

En 2018, dans son rapport sur la prévention du risque chimique, le professeur Paul Frimat défendait la traçabilité des expositions, via un "cursus laboris" – selon lui incontournable, tant pour les travailleurs que pour protéger les employeurs vertueux. Il regrettait alors l’absence d’un « identifiant sécurisé » attaché au salarié, empêchant la transmission des données. Le DMST « ne suit pas le salarié, constatait-il, car il n'est pas lié à son numéro de sécurité sociale ». 

La plupart des derniers rapports en santé au travail pointent ce défaut d’utilisation du numéro de sécurité sociale. Y compris le rapport de l’Igas de juin dernier. « À la très grande hétérogénéité des systèmes d’information des SSTI s’ajoutent des difficultés techniques et politiques récurrentes. […] Si elle apparaît comme une nécessité, la mise en place de systèmes d’informations interopérables se heurte cependant à des obstacles de plusieurs types », épinglent les rapporteurs. 

Ils listent trois types d’obstacles. D’abord le fait que le médecin du travail n’ait pas pleinement accès au DMP, ainsi que l’impossibilité d’utiliser le numéro de sécurité sociale. Deux points qui seront peut-être réglés prochainement. La « troisième série d’obstacles » constatée par l’Igas risque de s’avérer plus compliquée à dépasser : elle est « liée à la très forte réticence des employeurs vis-à-vis d’une base de données sur les expositions des salariés aux risques professionnels, dont la traçabilité faciliterait leur mise en cause en cas de reconnaissance de maladie professionnelle »

 

Prochaines étapes du projet de loi Asap

Déposé au Sénat en février, le projet de loi Asap a fait l’objet d’une procédure accélérée – engagée par le gouvernement. Après une lecture par chaque chambre, sénateurs et députés se sont accordés sur une version de compromis en commission mixte paritaire (CMP) le 21 octobre 2020. Les sénateurs ont solennellement voté (et adopté) le texte issu de la CMP mardi 27 ; les députés le lendemain. Prochaines étapes : une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel, puis la publication de la loi au Journal officiel. 

Une fois la loi promulguée, pour l’utilisation du numéro de sécurité sociale, il faudra encore attendre l’avis de la Cnil et le décret d’application.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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