Le projet de loi Travail va pouvoir commencer son périple parlementaire. Présenté hier en Conseil des ministres, il a pour ambition de reconfiguer totalement le code du travail, en commençant par la partie sur la durée du travail et les congés.
Le coeur de la réforme du projet de loi Travail - qu'on a parfois perdu de vue ces dernières semaines - est de modifier l'architecture du code du travail en donnant plus de place à la négociation surtout d'entreprise. Avec une nouvelle articulation des normes du droit du travail, le gouvernement espère rendre le code du travail plus "lisible". Le Conseil d’Etat le rappelle d'ailleurs dans son avis du 17 mars (en pièce jointe) : "L’objectif du gouvernement plusieurs fois souligné dans l’exposé des motifs de son projet de loi est de rendre le code du travail plus intelligible" et de lutter contre "l’instabilité juridique".
Des principes essentiels ramenés au rang de guide de réécriture
La remise du rapport de Jean-Denis Combrexelle en septembre dernier dessinant les grandes lignes de la réforme avait été suivie par la remise du rapport Badinter fixant les principes essentiels du droit du travail. Dévoilés fin janvier, les 61 principes dégagés par la mission Badinter devaient constituer un chapitre préliminaire du code du travail sans pour autant être gravés dans le marbre. Ils étaient définis à droit constant, mais pouvaient être amenés à évoluer dans le temps.
Depuis, cette ambition a été revue à la baisse puisque les principes essentiels serviront uniquement de" base à une réécriture du code du travail". Ils constituent toujours l’article 1er de la loi mais n’ont pas vocation à être codifiés. Ils seront juste un guide de réécriture. L'inscription dans le code du travail des principes essentiels n'était pas au goût de tous et l'idée de les transformer en "guide de réécriture" pour la commission de refondation a fait son chemin. Ce que le Conseil d’Etat approuve : leur attribuer un rôle supplémentaire aurait pu susciter des "incertitudes" ou "des divergences jurisprudentielles génératrices d’instabilité juridique". Le Conseil d'Etat souligne par ailleurs que tous les principes ne sont pas de même niveau ; certains sont de valeur constitutionnelle, d'autres sont issus de la CEDH, de conventions OIT ou du droit de l’Union européenne. Enfin certains n'ont qu'une valeur législative. La date de l'entrée en vigueur - prévue initialement le 1er septembre 2019 - aurait pu aussi poser problème puisqu'elle allait bien au-delà de la fin du quinquennat.
Ce revirement contentera le Medef qui n’en voulait pas, estimant que les rapports Combrexelle et Badinter étaient "orthogonaux" et ne pouvaient dès lors pas cohabiter au sein d’une même réforme. Le rapport Combrexelle donne "plus de pouvoirs à l’entreprise, tandis que le rapport Badinter organise "un transfert de pouvoir aux juges", soulignait-on ainsi dans l’entourage de Pierre Gattaz. Le Medef craignait ainsi le développement d'un contentieux fourni qui aurait mis 5 à 10 ans à se stabiliser.
Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.
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Une articulation des normes à trois étages
Comme annoncé par Manuel Valls en novembre dernier, la nouvelle architecture du droit du travail est une fusée à trois étage : les règles d'ordre public, le champ de la négociation collective et les normes supplétives applicables en l’absence d’accord collectif. Elle sera pour l'heure appliquée uniquement au temps de travail (lire notre article dans l'édition du jour) et aux licenciements pour motif économique.
Cette construction n’est toutefois pas si simple. S’agissant des normes d’ordre public par exemple, elles n’ont pas toutes la même valeur. Certaines sont d’ordre public absolu – y déroger est impossible que ce soit en faveur ou en d��faveur des salariés – mais d’autres demeurent d’ordre public social. C’est le cas pour les congés liés à des événements familiaux dont les normes légales ne peuvent qu’être améliorées mais pas réduites.
Les normes d’ordre public prévues dans le projet de loi posent souvent l’existence d’un droit, en laissant la possibilité aux négociateurs d’entreprise d'en fixer les modalités et la durée maximum s'agissant des congés. Si aujourd’hui, rien n’empêche déjà un accord de branche ou d’entreprise de modifier la durée des congés dès lors que c’est à la hausse, le texte ouvre la porte à des modifications à la baisse et marque un nouveau recul du principe de faveur par rapport aux dérogations qui existent déjà dans le code du travail.
L’étude d’impact (en pièce jointe) apporte une précision de taille sur cette nouvelle articulation : lorsque le texte le permettra, les accords d’entreprise qui seront conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi prévaudront sur les accords de branche, y compris sur ceux ayant été conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi même lorsqu’ils prévoient des clauses de verrouillage.
S’agissant des normes supplétives, il faut souligner que la plupart resteront finalement à droit constant, comme l’avait notamment demandé la CFDT.
La refondation complète du code du travail dans les deux ans
Si cette nouvelle articulation des normes s'appliquera pour l'instant à ces deux seules thématiques, le texte prévoit la poursuite de ce vaste travail de refondation du droit du travail dans les deux ans à venir. Une commission d’experts et de praticiens des relations sociales sera instituée afin de proposer au gouvernement une refondation de la partie législative du code du travail. La commission associe à ses travaux les organisations professionnelles d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national.
Un contrat de travail qui résiste moins bien à l'accord collectif
Le projet de loi modifie également l'articulation entre le contrat de travail et l'accord collectif lorsqu'il portera sur l'emploi, qu'il s'agisse de le préserver ou de le développer. Dans une telle hypothèse, en cas de refus du salarié de se voir appliquer l'accord, le licenciement sera fondé sur un motif personnel et non économique comme cela est le cas pour les accords de maintien dans l'emploi. On retrouve le même dispositif que celui qui avait été mis en oeuvre pour les accords d’aménagement du temps de travail des lois Aubry. Le licenciement est sui generis : la cause de la rupture est constituée par le refus même du salarié. Cette qualification est censée réduire fortement le nombre de contentieux ; elle évite aussi pour les entreprises l'obligation de prévoir des mesures de reclassement ou d'accompagnement.
Le Conseil d'Etat valide le dispositif soulignant que le salarié bénéficie de certaines garanties procédurales et du maintien d'une rémunération mensuelle strictement définie. Le Conseil d’Etat ferme par ailleurs la porte à tout recours sur le fondement de la violation de la convention OIT n° 158. Le gouvernement avait pris soin de faire valider cette disposition auprès de l’OIT, ce que rappelle l'étude d'impact. "Conformément au rapport de la commission des experts du Bureau international du travail (BIT), le motif qui fonde le licenciement est bien lié "aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise défini comme celui exigé par les besoins économiques, technologiques, structurels ou similaires" mais qui n’est pas inhérent à la personne du salarié, qui n’est donc ni lié à sa conduite ni à son aptitude".
S'il est une mesure qui satisfait le patronat, c'est bien celle-ci ; il la réclamait depuis de nombreuses années.