Les accords de performance collective, le couteau suisse de la négociation d'entreprise

Les accords de performance collective, le couteau suisse de la négociation d'entreprise

14.12.2018

Convention collective

Issu des ordonnances Travail du 22 septembre 2017, l'accord de performance collective constitue pour les entreprises un nouvel outil pour gérer des situations hétéroclites allant du déménagement à la durée du travail. Permettant de contourner l'accord du salarié en cas de modification du contrat de travail, il simplifie le recours à ce type d'accord emploi. Preuve en est son démarrage rapide avec près de 80 accords.

Les accords sur l'emploi n'avaient pas rencontré le succès escompté par le législateur jusqu'à présent, qu'il s'agisse des accords de maintien dans l'emploi et des accords mobilité de la loi du 14 juin 2013 ou bien des accords de développement et de préservation de l'emploi de la loi du 8 août 2016. En faisant notamment sauter le verrou de l'accord du salarié, il semblerait que les ordonnances du 22 septembre 2017 aient enfin trouvé la bonne recette pour faire décoller ce type d'accord. On observe ainsi déjà près de 80 accords de performance collective signés. Il faut dire que le cadre offert est vaste et permet à ces accords de traiter des situations assez hétérogènes qu'aucun dispositif ne permettait d'appréhender correctement jusqu'alors, à l'instar des déménagements d'entreprise.

Un champ d'application très large

Selon les termes du code du travail, cet accord permet, afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver ou de développer l'emploi :

  • d'aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition ;
  • d'aménager la rémunération dans le respect des salaires minima hiérarchiques ;
  • de déterminer les conditions de mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise.

Ces accords doivent répondre à des besoins liées aux nécessités de l'entreprise, mais sans nécessairement rencontrer de difficultés économiques. Ils ouvrent ainsi un large champ des possibles pour les entreprises.

"Il faut rappeler que ce type d'accord est issu de la pratique des entreprises qui recouraient alors aux accords de compétitivité - notamment dans l'automobile -et qui pouvaient déjà aborder plusieurs thèmes, avec des contreparties et ce, sans difficultés économiques, explique ainsi Déborah David, avocate associée au sein du cabinet d'avocats Jeantet. Les accords de maintien dans l'emploi étaient flous et le motif de recours trop clivant. Les entreprises préféraient alors conclure un accord de compétitivité. La grande différence tient au fait qu'il n'est plus nécessaire de solliciter chacun des salariés pour modifier le contrat de travail".

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Aménager la durée et l'organisation du travail

Les accords de performance collective que nous avons pu consulter [rappelons que les entreprises n'ont pas à les verser dans la base publique des accords collectifs même si certaines entreprises l'ont fait] permet de confirmer leur hétérogénéité.

La durée du travail et l'organisation du travail sont des sujets récurrents dans les accords consultés. Parmi ces derniers, une entreprise a recours à un tel accord afin d'adapter l'organisation du travail et d'aménager la durée du travail sur l'année dans l'objectif de renforcer sa performance et en contrepartie de promesse d'embauches. Une autre société de transports souhaite mieux s'armer face à la concurrence et assurer un certain niveau de compétitivité tout en sécurisant les acquis des salariés. Enfin, une troisième recourt à l'accord de performance collective afin de gérer les effets d'un projet de fusion en aménageant le temps de travail via la mise en place d'une organisation du travail au sein des deux établissements de l'entreprise issus de la fusion.

Le recours à l'accord de performance collective en matière de durée du travail doit toutefois être manipulé avec précaution lorsqu'il a également un impact sur les salaires, met en garde Déborah David. "L'entreprise qui recourt à un tel accord pour augmenter la durée du travail sans augmenter la rémunération devrait le faire seulement si elle rencontre des difficultés économiques". Elle reconnaît toutefois que l'accord de performance collective est une alternative bienvenue au PSE. "Il est dommage d'avoir à passer par des ruptures de contrats de travail dans ce cas".

Même prudence pour l'utilisation de l'accord de performance collective pour modifier le dispositif de forfait-jours. "Je ne préconise pas forcément le recours aux accords de performance collective dans ce cas. Toutefois, cela peut être nécessaire afin d'adresser le signal que les efforts sont partagés entre tous. Mais dans ce cas, cette modification doit s'intégrer dans un accord de performance collective plus global qui ne traite pas uniquement du forfait-jours".

Recourir à l'accord de performance collective en matière de durée du travail et non à un accord classique permet aussi de sécuriser les modifications du contrat de travail, le cas échéant. "Les entreprises peuvent continuer à procéder par accord classique lorsque la norme collective se substitue à une autre norme collective, estime Danièle Chanal, avocate associée au sein du cabinet Aguera et vice-présidente d'Avosial. Si l'entreprise veut descendre au niveau de la norme individuelle [le contrat de travail], il faut alors privilégier l'accord de performance collective ; il peut notamment être intéressant de coupler un accord sur la durée du travail avec une révision imposée du forfait-jours".

Gérer les déménagements d'entreprise

L'accord de performance collective représente l'outil qui manquait jusqu'alors pour gérer les déménagements d'entreprise, et leurs conséquences. "En cas de déménagement d'entreprise, l'accord de performance collective permet vraiment de simplifier la procédure, se félicite Déborah David. Ce nouveau dispositif évite la mise en place d'un PSE dès lors que 10 salariés au moins refusent le déménagement avec des risques sur la qualification du licenciement".

"Il n'est plus nécessaire d'invoquer un motif économique, poursuit Danièle Chanal. Auparavant, il fallait mettre sur pied un PSE si des salariés refusaient d'aller travailler sur le nouveau lieu quand bien même le déménagement était lié à la croissance et à la nécessité de se développer. Un PSE était donc risqué et coûtait cher (mesures de reclassement, obligation de revitalisation,...)".

Tel est le cas de cet accord d'entreprise consulté qui organise le déménagement d'un de ses services de l'entreprise au siège parisien. Il est prévu dans l'accord des mesures d'accompagnement pour les salariés et une réévaluation du salaire de base liée au différentiel pouvant exister avec les salariés parisiens. L'accord prévoit également des mesures en cas de refus de salariés.

L'accord de performance collective permet aussi d'éviter que des mesures incitatives conduisent au départ d'un trop grand nombre de salariés. "L'accord de performance collective empêche les effets d'opportunisme et l'appel d'air avec le risque de perdre les talents de l'entreprise", explique ainsi Déborah David. Ce que confirme Danièle Chanal. "Certaines mesures du PSE créaient une attractivité très forte pour certains salariés qui les incitaient plutôt à partir. Aujourd'hui, l'objectif n'est pas de refaire un PSE qui ne dit pas son nom. Il faut toutefois adapter la nature des mesures aux caractéristiques de la population (âge, ancienneté, distance,...). Un tel accord par rapport à un PSE permet de mieux travailler les mesures d'accompagnement. Il faut démontrer au contraire que le projet n'est véritablement pas de licencier".

Aménager les rémunérations

En revanche, Danièle Chanal pronostique un faible recours à l'accord de performance collective pour traiter des rémunérations, comme le permet l'article L.2254-2 du code du travail. "La question de la rémunération reste encore taboue, mais il ne faut pas forcément l'exclure. On peut l'imaginer par exemple sur une période courte mais intense où l'entreprise anticipe des difficultés. L'entreprise pourrait ainsi décider de baisser telle prime ou tel coefficient de majoration par le biais d'un accord de performance collective à durée déterminée".

La communication, une des conditions de la réussite

Le succès de l'application d'un accord de performance collective réside aussi dans la communication, insiste Déborah David. "Il faut faire accepter les mesures et leur donner du sens. Il est nécessaire de communiquer et de dialoguer avec les partenaires sociaux et les salariés. Il peut ainsi être utile d'ajouter une clause relative à l'information. Si l'accord n'est pas compris, il ne sera pas accepté".

C'est d'ailleurs aussi l'un des rôles du préambule qui est obligatoire quand bien même son absence n'est pas sanctionnée. Sa rédaction ne doit pas être négligée. "Il faut tenir un discours de vérité et expliquer les choses comme on les a présentées aux élus. Attention à ne pas être trop optimiste non plus car les salariés pourraient alors s'attendre à ce qu'il n'y ait pas de restructurations après. Il faut insister sur le fait qu'il s'agit de tester une nouvelle organisation pour faire face à des difficultés".

Pour l'heure, souligne Déborah David, ce sont surtout les grands groupes qui y ont recours. Les PME, elles, ne connaissent pas encore forcément le dispositif.

Florence Mehrez
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