Les "clauses Molière" sont "illégales" et ne peuvent pas "se réclamer de la volonté de protéger les travailleurs"

Les "clauses Molière" sont "illégales" et ne peuvent pas "se réclamer de la volonté de protéger les travailleurs"

10.05.2017

HSE

Dans une instruction interministérielle datée du 27 avril 2017, quatre ministres expliquent aux préfets comment ils doivent "traiter" les cas de collectivités territoriales qui adoptent des "clauses Molière", imposant le français sur les chantiers sous prétexte de sécurité.

Une telle clause "ne saurait se réclamer valablement de la volonté de protéger les travailleurs, compte tenu des garanties qui leur sont apportées par le droit européen et national", écrivent pas moins de quatre ministres – Myriam El Khomri, ministre du Travail, Michel Sapin à l'Économie, Matthias Fekl de la place Beauvau, et Jean-Michel Baylet pour les collectivités territoriales – aux préfets, dans une instruction envoyée le 27 avril 2017 concernant la "clause Molière". Il s'agit de rappeler à l'ordre les collectivités territoriales qui, depuis quelques mois, "s'abrit[ent] derrière des motifs de sécurité", selon les mots du président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, pour limiter le recours aux travailleurs détachés, en imposant l'usage du français sur les chantiers (voir notre article). L'Île-de-France et les Hauts-de-France ont aussi adopté l'insertion de "clauses Molière". Les ministres, dans cette instruction qui "décrit l'état du droit dont [ils] pourr[ont] se prévaloir", demandent aux préfets de traiter ces clauses comme "illégales" et de leur faire remonter les cas rencontrés et les suites données. Au pôle interrégional d'appui au contrôle de légalité (PIACL), qui exerce depuis 2002 une mission d’expertise juridique auprès des services déconcentrés de l'État, une cellule de "soutien renforcé" a été créée.

Dans le code du travail

Le code du travail prévoit que "l'étranger qui souhaite entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée et qui manifeste la volonté de s'y installer durablement atteste d'une connaissance suffisante de la langue française sanctionnée par une validation des acquis de l'expérience ou s'engage à l'acquérir après son installation en France". Une obligation de parler ou comprendre le français qui ne s'impose pas aux ressortissants de l'Union européenne (et les autres pays de l'UE ne peuvent pas davantage imposer leur langue aux ressortissants français), ni aux étrangers qui ne veulent pas s'installer durablement en France, ni aux salariés détachés. Le législateur a bien examiné, rappelle le gouvernement, des amendements tendant à imposer la maîtrise du français par les travailleurs détachés (voir notre article), lors du débat sur la loi El Khomri, mais ils n'ont pas été adoptés.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Affichage sur les grands chantiers

En revanche, la loi travail a abordé le problème de la langue pour la santé-sécurité des travailleurs détachés sur les chantiers. Sur les "grands chantiers du bâtiment", écrit le gouvernement en parlant de ceux qui ont l'obligation de mettre en place un collège inter-entreprises de santé et de sécurité au travail, le maître d'ouvrage "porte à la connaissance des salariés détachés, par voie d'affichage sur les lieux de travail, les informations sur la réglementation qui leur est applicable". Des informations qui doivent être "facilement accessibles et traduites dans l'une des langues officielles parlées dans chacun des États d'appartenance des salariés détachés" (voir notre article). Cette disposition de la loi travail doit cependant être précisée par un décret qui n'a pas encore été publié, ce que le gouvernement se garde bien de souligner dans son instruction aux préfets.

"Détournement de pouvoir"

Quoiqu'il en soit, les collectivités qui décident d'introduire une clause Molière dans les marchés publics vont "au-delà de ce que le législateur a prévu". De plus, il s'agit d'une "violation du principe de non-discrimination qui gouverne la passation desdits contrats, qu'une telle obligation [maîtriser la langue française, NDLR] figure dans une délibération ou dans les clauses contractuelles". Et cela pourrait même "caractériser un détournement de pouvoir si le but avéré de ces actes était d'accorder la priorité aux entreprises locales ou d'exclure des travailleurs étrangers et non la bonne exécution du marché public ou du contrat de concession". Seule exception relevée : lorsqu'il s'agit de marchés publics pour des prestations de formation.

Déclarer un accident du travail

Les quatre ministres signataires rappellent que plusieurs textes sont venus renforcer la lutte contre le travail détaché illégal, à commencer par la nouvelle "carte BTP" (voir notre article), mais aussi le "devoir de vigilance" qui incombe aux maîtres d'ouvrage et aux donneurs d'ordre. Si un travailleur détaché par un prestataire de service "co-contractant direct du maître d'ouvrage" est victime d'accident du travail, il revient ainsi au maître d'ouvrage et au donneur d'ordre d'effectuer la déclaration d'accident du travail. Laquelle est directement transmise à l'inspection du travail – alors qu'elle doit simplement être adressée à la CPAM pour un salarié affilié au régime général français. L'application de ces mesures doit elles aussi être précisée par un décret, que les ministres mentionnent bien dans leur instruction, indiquant qu'il est "en cours d'examen par le Conseil d'État". 

Élodie Touret
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