Les pistes pour faciliter l'adaptation des accords collectifs aux restructurations

Les pistes pour faciliter l'adaptation des accords collectifs aux restructurations

25.01.2016

Convention collective

Faciliter la révision des accords collectifs, mieux gérer les transitions de statut collectif en cas de restructuration d'entreprise, sécuriser le maintien des avantages individuellement acquis : le rapport Cesaro remis vendredi à la ministre du travail propose des pistes de travail sur chacun de ces points dans l'objectif de rendre la négociation collective plus souple.

C'est un rapport court mais très technique qu'a remis vendredi le professeur de droit à l'université Paris II, Jean-François Cesaro à la ministre du travail. Et pour cause, les sujets abordés sont très complexes et soulèvent des questions juridiques ardues et récurrentes, comme les règles de révision des accords collectifs et le maintien des avantages individuellement acquis. Le ministère du travail lui a demandé de clarifier ces points. Jean-François Cesaro, pour chacun des thèmes abordés, lance plusieurs pistes d'évolutions dont certaines seront intégrées dans le projet de loi porté par Myriam El Khomri présenté en Conseil des ministres le 9 mars, dont l'un des objectifs est de développer la négociation d'entreprise.

La révision des accords  collectifs

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Qu'est-ce qu'un accord de révision ?

Le gouvernement souhaite des révisions plus souples des accords collectifs pour fluidifier le dialogue social. Un premier pas a été franchi avec la loi Rebsamen du 17 août 2015 qui a supprimé la consultation du comité d'entreprise. Le rapport Combrexelle a également formulé des propositions en ce sens.

L'un des enjeux est de savoir si toute modification du statut collectif est une révision qui doit respecter en tant que telle la procédure de révision. Dans le cas contraire, pourraient cohabiter des accords de révision avec des accords autonomes. L'articulation entre ces deux types d'accord pourrait prendre deux formes.

  • soit une articulation "thématique" : l’accord autonome ne pourrait pas valablement modifier un précédent accord. Seules s’appliqueraient alors les stipulations nouvelles et différentes de celles du précédent accord, avec le risque non négligeable d'insécurité juridique.
  • soit une articulation "de faveur" : en cas de dispositions incompatibles, ce serait la plus favorable qui s’appliquerait ; il n' y aurait pas de cumul des clauses ayant le même objet et la même cause. Jean-François Cesaro met en garde contre les difficultés de mise en œuvre d'une telle solution.
Revoir les modalités de révision pour une meilleure articulation avec les nouvelles règles de représentativité

Outre la définition de l'accord de révision, il est nécessaire de clarifier les règles applicables à la révision. Une difficulté se présente lorsque les signataires de l'accord à l'issue des élections professionnelles dans l'entreprise ou du cycle de représentativité dans la branche, n'atteignent plus le seuil de 30%, nécessaire pour pouvoir signer un accord. Deux options sont envisageables pour éviter la paralysie de la négociation :

1) Aligner le droit de la révision sur le droit de conclusion, ce qui serait le "plus simple", estime Jean-François Cesaro. Ainsi, l’accord pourrait être révisé par toute organisation syndicale représentative, peu important qu’elle soit, ou non, signataire de la convention ou de l’accord modifié. Seul bemol : le risque d'instabilité.

2) Distinguer le droit de la révision du droit de conclusion en distinguant deux étapes :

  • au moment de l'engagement de la révision, seuls les signataires de l’acte pourraient procéder à sa révision pendant les 4 ans qui suivent sa conclusion à condition de représenter au moins 30 % des suffrages exprimés. A l’issue de ce délai, ou lorsque les signataires sont passés sous le seuil des 30 %, toute organisation syndicale représentative pourrait déclencher une procédure de révision ;
  • au moment de la signature de l’avenant, on appliquerait les règles de conclusion des accords. L’avenant pourrait être signé par la ou les organisations syndicales représentatives qui satisfont à la condition d’audience d’engagement applicable.

L'avantage de cette solution est de "faciliter les révisions tout en permettant une plus grande stabilité des accords conclus", souligne le rapport même si cette option est plus complexe.

► En l'absence de syndicats représentatifs au moment de la révision de l'accord, le rapport suggère de prévoir le mandatement de salariés par un syndicat de la branche, accompagné d'un référendum.

► Toujours dans cette optique d'incitation à la négociation, Jean-François Cesaro propose de prévoir des clauses de rendez-vous, non pas obligatoires mais plutôt "comme une bonne pratique".

L'extinction des accords collectifs
La dénonciation d'un accord collectif

Jean-François Cesaro n'estime pas nécessaire de légiférer de nouveau sur les règles de dénonciation d'un accord collectif car le législateur est déjà intervenu pour prendre en compte le critère de l’audience dans le cadre de la loi du 20 août 2008 (article L. 2261-10 du code du travail). En revanche, il suggère d'introduire une motivation de l'acte de dénonciation qui pourrait prendre la forme d’une réunion (le cas échéant sous astreinte) permettant d'expliquer aux autres signataires de l’acte les motifs de la dénonciation.

La mise en cause d'un accord collectif

Un accord collectif peut être impacté par les changements qui affectent l'entreprise : restructuration, fusion-absorption, cession,...Dans ce cas, le code du travail prévoit la survie de l'accord collectif pendant 15 mois afin de laisser le temps aux parties concernées de conclure un accord de substitution. Le conflit entre les deux statuts collectifs est alors réglé par le principe de faveur : les clauses les plus favorables sont appliquées aux salariés concernés. Cette solution est néanmoins source d'insécurité juridique, estime Jean-François Cesaro.

Plusieurs pistes ont été évoquées au cours des auditions menées par le professeur de droit :

  •  éviter la superposition des statuts conventionnels : les salariés pourraient ainsi conserver le bénéfice de leur ancienne convention collective et elle seule, pendant le délai de négociation. Il serait possible aux salariés repris de bénéficier d’une option pour basculer de manière anticipée dans le champ d’application de la nouvelle convention collective ;
  • maintenir le régime de la mise en cause, mais décider que l’accord remis en cause serait celui qui s’applique au moins grand nombre de salariés. Les salariés de la société absorbée conserveraient leur convention collective jusqu’au moment de sa révision ou de sa dénonciation. Les deux conventions collectives auraient vocation à s’appliquer de manière séparée, chacune dans leur domaine.

 C'est cette seconde option qui a les faveurs de Jean-François Cesaro, permettant d'éviter "de susciter le trouble parmi les salariés notamment dans des hypothèses de fusion". Surtout, souligne le rapport, "cette règle n’interdirait pas de négocier des accords, soit avant, soit après l’opération, pour redéfinir le contenu de l’un ou de l’autre des accords distincts ou pour tenter une harmonisation des situations conventionnelles des salariés. Elle permet un délai plus important que les actuels 15 mois pour parvenir à une négociation d’harmonisation".

Le maintien des avantages individuellement acquis

En cas de dénonciation ou de mise en cause d'un accord collectif, à l'issue du délai de survie et si aucun accord de remplacement ou de substitution n'a été conclu, les salariés conservent les avantages individuellement acquis. Une notion dont la définition s'est construite au fil des arrêts de la Cour de cassation.

Jean-François Cesaro émet plusieurs critiques à l'égard des avantages individuellement acquis. Ils sont malgré tout "la conséquence de l’échec du dialogue", estime-t-il. Et "ce qui constitue une garantie pour les salariés, a un coût pour les entreprises". Enfin, il s'agit d'une "entorse au droit commun dans lequel un contrat valablement rompu ne peut plus produire d’obligations". Toutefois, certains estiment qu'il peut aussi s'agir d'un "levier nécessaire de négociation qui augmente les chances de parvenir à un accord ; la crainte des avantages acquis inciterait à conclure".

Le rapport isole plusieurs pistes d'évolution :

1) Permettre la conclusion d'accords anticipés de transition : avant la mise en oeuvre de la restructuration, une négociation tripartite s'engagerait entre l’entreprise cédante, l’entreprise cessionnaire (ou des représentants de celle-ci, s’il s’agit d’une société en formation) et les représentants des salariés du cédant ;

2) Permettre la conclusion d'accords anticipés d'adaptation : un accord harmoniserait la situation des salariés de toutes les sociétés concernées par l’opération de restructuration ou de réorganisation. En ce cas, un accord quadripartite pourrait être envisagé unissant le cédant, le cessionnaire, les organisations syndicales du cédant et celles du cessionnaire ;

3) Enfin, les partenaires sociaux pourraient être incités à conclure des clause de maintien des avantages acquis. Ils définiraient ainsi "les avantages qui auraient vocation à être maintenus en cas d’extinction de l’accord collectif et d’échec de la négociation de substitution ou d’adaptation". Mais attention, prévient Jean-François Cesaro, "la qualité rédactionnelle des clauses sera essentielle. Rien ne sera réglé si les partenaires sociaux se contentent d’affirmer que les avantages individuels acquis sont maintenus". La clause devra indiquer quelles sont les stipulations de la convention ou de l’accord qui demeureront applicables. Elle pourra être prévue à l’origine et insérée, en dehors de toute difficulté d’application, à tout moment, ou négociée "à chaud" au moment d’une dénonciation ou d’une restructuration. "Dans ce dernier cas, on peut concevoir un accord tripartite entre le cédant, les organisations syndicales de l’entreprise cédée et le cessionnaire. Cela réglerait la difficulté liée à l’effet relatif des conventions et pourrait constituer le succédané d’un véritable accord d’anticipation", analyse le rapport.

Florence Mehrez
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