Les préventeurs face au covid-19 : "On doit partager ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas"

Les préventeurs face au covid-19 : "On doit partager ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas"

30.04.2020

HSE

Les préventeurs sont mobilisés depuis le début du confinement. Ils joueront aussi un rôle pour aider les entreprises qui se sont arrêtées à reprendre leur activité. Mais comment prévenir le risque de contamination quand on ne sait pas tout du virus ? Comment réaliser son travail quand les déplacements sur site sont limités ? Des professionnels témoignent de cette expérience professionnelle hors du commun.

"Depuis le 16 mars, on déborde d'activité", raconte Philippe Borie, consultant hygiène environnement et santé sécurité au travail, principalement dans l'industrie. Il égrène : "des entreprises nous ont demandé de protéger leurs salariés tout de suite pour poursuivre l'activité. Pour celles qui avaient tout fermé et étaient complètement perdues, nous les avons contactées et on aide en ce moment à leur redémarrage".  La chronologie varie d'un préventeur à l'autre selon son secteur d'activité et qu'il soit en entreprise, institutionnel ou consultant, mais une chose est sûre : à rebours des 9 millions de salariés en chômage partiel, pour beaucoup de préventeurs, l'activité bat son plein en ce moment. 

C'est le cas de Véronique [le prénom a été changé, NDLR], préventeure Carsat. Depuis le confinement, elle est très sollicitée, aussi bien par des directions que des élus du personnel. "Nous sommes en télétravail donc les interventions en entreprise ont disparu. Mais nous recevons beaucoup d'invitations aux réunions extraordinaires de CSSCT (commissions santé sécurité et conditions de travail) sur le covid19, qui se font à distance. Nous ne pouvons pas participer à toutes, alors nous faisons le tri en fonction des interpellations des élus, des activités à risque, et du manque de mesures de prévention perçu à la lecture des documents qui nous sont transmis ", raconte-t-elle. Elle intervient beaucoup dans la grande distribution, l'industrie agroalimentaire ou encore l'aide à domicile. 

 

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Urgence

Pour les secteurs dits essentiels, des mesures de prévention ont vite été imaginées puis améliorées petit à petit. "La première semaine, des employeurs avaient mis en place des mesures en urgence, mais qui n'allaient pas toujours au bout des choses, comme par exemple du plexiglas autour des caisses, certes, mais dont la taille était insuffisante. Ou alors les caisses étaient prises en compte, mais pas la mise en rayon", se rappelle Véronique. Ensuite, la situation s'est améliorée, notamment grâce aux échanges entre entreprises, avec des photos par exemple, incités par la Carsat. Dans l'industrie, Philippe Borie et ses collègues ont dû s'adapter, voire innover. Il cite par exemple le fait d'avoir placé des gants de manutention dans un endroit chauffé pendant une semaine avant de pouvoir les utiliser à nouveau. Il se déplace sur les sites pour regarder comment les mesures de prévention décidées sont appliquées.

Autre calendrier pour Pascal Florian, consultant en prévention des risques dans le BTP. Il n'a pas été sollicité en urgence par ses clients le 17 mars, puisque la plupart étaient à l'arrêt à la demande de leurs maîtres d'ouvrage, et attendaient les recommandations de l'OPPBTP. Depuis, il constate que "le travail reprend petit à petit pour préparer la reprise". Au cœur de son activité ces jours-ci : l'actualisation des modes opératoires et des PPSP (plans particuliers de sécurité et de protection de la santé). 

 

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Sérénité

La plupart des professionnels interrogés ne semblent pas affolés. "Je n'ai pas trouvé la situation particulièrement stressante et j'ai pu travailler avec relativement de sérénité grâce à la décision forte d'arrêter les chantiers", témoigne Olivier Stienne, responsable prévention et Lean management dans une entreprise du BTP qui a repris tout doucement son activité avec quelques chantiers pilotes. Il concède : "Cela aurait été différent si en parallèle de notre travail les chantiers se poursuivaient".

"Je n'ai pas senti cette crise comme un poids. Le plus compliqué était de rassurer les salariés", rapporte Audrey Brutel, référente sécurité. Pour elle, la crise sanitaire se révèle même être une "bonne expérience" professionnelle. L'activité de son entreprise, qui produit des granulés pour les poissons d'élevage, se poursuit parce que la distanciation est possible sur les postes de production. Alors, "j'apprends des choses, je vais pouvoir établir un plan de continuité d'activité, par exemple", tente de positiver celle qui est à son poste depuis à peine quelques mois.

"Revenez à la base"

Comment assurer de telles responsabilités alors que les informations sur le virus se construisent – parfois de façon semblant contradictoires – jour après jour ? "Nous restons très humbles. Nous apprenons tous ensemble et devons faire évoluer les mesures de prévention en fonction des connaissances, rapporte Véronique. Nous diffusons les connaissances sur le risque biologique en général, en précisant bien qu'on ne sait pas tout de ce virus". "On doit partager ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas", abonde Philippe Borie. "Comment faire ? De la veille, encore de la veille et toujours de la veille", raconte-t-il.

De son côté, Olivier Stienne relativise les conséquences de la crise sur le travail de préventeur. Il explique : "nous avons dû revoir nos mesures de prévention dans un contexte de travail à distance, certes, mais la méthode de fonds que nous utilisons d'habitude, qui consiste notamment à associer un maximum de parties prenantes, n'a pas changé". D'ailleurs, à tous les patrons, du BTP surtout, qui l'ont contactée au tout début du confinement parce qu'ils avaient peur de poursuivre leur activité, Véronique répondait "revenez à la base des principes généraux de prévention, de l'évaluation des risques et de l'obligation de sécurité. Si vous analysez ces éléments, vous saurez si vous pouvez reprendre ou pas". Ce qui change cependant, c'est le manque d'équipements de protection habituellement utilisés, auxquels tous nos témoins ont dû faire face. 

 

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Après 

On entend beaucoup parler d'un fameux "monde d'après". Pour le secteur de la prévention, la crise aura imprimé favorablement les consciences, espèrent les professionnels. Véronique imagine : "J'ai remarqué la capacité des employeurs à réagir, alors demain je pourrai leur dire : 'vous avez réussi à mettre en place en quelques semaines des mesures de prévention pour un risque que vous ne connaissiez pas, vous allez bien pouvoir faire pareil pour des risques connus'". Avec son patron, Audrey Brutel s'interroge déjà sur l'opportunité de porter des masques systématiquement quand on est malade.

Aussi, l'hygiène sera-t-elle peut-être davantage prise au sérieux sur les chantiers. "Cela fait 40 ans que j'entends parler du problème des toilettes sur les chantiers, et que je vois des baraques de chantier qui servent à tout en même temps, je serais heureux que ce virus fasse avancer les choses", reconnaît Pascal Florian. "Je pense qu'à l'avenir nous irons vers davantage de RSE", imagine Philippe Borie. Pour lui, l'importance, démontrée pendant cette crise, de sensibiliser et communiquer auprès des sous-traitants et de prendre en compte les travailleurs détachés permettra peut-être à des entreprises utilisatrices d'être plus responsables.

De manière plus générale, Véronique, qui travaille pourtant depuis une vingtaine d'années dans le domaine, reconnaît être agréablement surprise. "On se rend compte que des entreprises arrivent à mettre en place des choses qui leur ressemblent. Tout se met en route très rapidement, pas forcément avec les bonnes mesures tout de suite mais ce n'est pas grave, on avance", rapporte celle qui est plutôt contente d'entendre ces dernières semaines des patrons "qui préfèrent mettre en danger l'économie de leur entreprise que la santé de leurs salariés". 

 

Et la réforme ?

Au sujet des conséquences de la crise sanitaire, plusieurs préventeurs interrogés se quesionnent sur la future réforme de la santé au travail.

Désormais, le mot "prévention" est sur les lèvres de tous les dirigeants, nous fait remarquer l'un d'eux. La crise traversée influencera-t-elle le contenu de la réforme ?

Sans aller jusque là, Muriel Pénicaud, lors de son audition à l'Assemblée nationale le 22 avril 2020, a déclaré :

"Nous devions en 2020 faire une grande réforme de la SST. Je suis frappée de voir à quel point l'actualité nous a rattrapés et de voir à quel point c'est devenu – et je pense durablement – un sujet majeur dans le monde du travail, et non pas un sujet parfois considéré par certains comme périphérique. Nous allons vivre durablement avec un contexte de travail, des organisations du travail où la santé et la sécurité au travail vont devenir un sujet majeur dans la réflexion sur le travail."

 

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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