Les stipulations conventionnelles de branche face à la loi du 22 avril 2024

Les stipulations conventionnelles de branche face à la loi du 22 avril 2024

11.06.2024

Convention collective

Le Club des branches du cabinet Barthélémy Avocats a organisé le 30 mai dernier une conférence sur les nouvelles règles applicables en matière de maladie et congés payés. Quel impact ont-elles sur les règles conventionnelles existantes, notamment en matière d'acquisition, prise, report et congés conventionnels supplémentaires ? Premier volet par Hugues Lapalus, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy.

La loi du 22 avril 2024 présente la particularité d’avoir un effet rétroactif en remontant au 1er décembre 2009, date à laquelle le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 a conféré valeur de Traité à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et donc à son article 31 (ayant servi de fondement aux arrêts du 13 septembre 2023 de la Chambre sociale de la Cour de cassation).

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Ainsi, à compter de 2009, sont bouleversées les règles qui régissaient l’acquisition, la prise et l’éventuel report des droits à congés payés.

Or nombre de conventions collectives traitent de la question de l’acquisition et du report des droits à congés payés. Ces stipulations conventionnelles ont été prises sous l’empire d’un droit positif que les partenaires sociaux pensaient légitimement applicable ; l’effet rétroactif de la loi du 22 avril 2024 rend délicate l’appréciation de la portée de ces stipulations dont les interprétations sont sujettes à caution tant pour le passé que pour l’avenir.

Face à ce constat que doivent faire les branches professionnelles ?

Dans l’attente d’une éventuelle révision des dispositions conventionnelles, quelques règles juridiques de bon sens doivent être rappelées pour concilier stipulations conventionnelles et "dispositions légales nouvelles à effet rétroactif" principalement dans le champ des nouvelles règles légales relatives à l’acquisition.

La règle légale régissant l’articulation loi/accord collectif ainsi que la méthode dégagée par la jurisprudence en matière d’interprétation des accords collectifs ont l’une et l’autre vocation à s’appliquer.

L’articulation loi/accord collectif

L’article L.2251-1 du code du travail précise que "une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d'ordre public" et impose d’opérer une comparaison entre dispositions légales et stipulations conventionnelles.

Cette comparaison doit s’opérer selon les règles dégagées par la jurisprudence :

  • en premier lieu, la comparaison s’opère par groupe d’avantages c'est-à-dire des avantages ayant le même objet ou la même cause. A ce titre on peut raisonnablement penser que les règles conventionnelles qui régissent l’acquisition sont à comparer avec les règles légales régissant cette même acquisition. Il paraît délicat de considérer que acquisition et prise relèveraient du même groupe d’avantages puisqu’ils n’ont pas le même objet et/ou la même cause ;
  • en second lieu, une application cumulative ou distributive des dispositions légales et conventionnelles n’est pas envisageable. En effet, la comparaison doit s’opérer par bloc. Elle ne peut s’opérer distributivement en appliquant le plus favorable de chacun des paramètres légaux ou conventionnels de calcul. Rappelons à ce titre que la Cour de cassation avait jugé une telle application distributive impossible s’agissant des règles légales et conventionnelles applicables en matière de calcul de l’indemnité de licenciement (arrêt du 30 janvier 2008) ; 
  • en dernier lieu, la question de la méthode de comparaison peut se poser : faut-il avoir une approche en tenant compte de l’ensemble des intérêts des salariés ou salarié par salarié? La question n’est pas véritablement tranchée même s’il apparaît d’évidence que, pour le salarié concerné, s’agissant d’un droit qui lui est individuel, le droit à congés payés calculé selon les dispositions de la convention collective ne saurait être moins favorable que celui qu’il tient de la loi.

Comparer nécessite toutefois d’être certain de l’interprétation à donner aux stipulations conventionnelles ; exercice de très haute difficulté compte tenu notamment de l’effet rétroactif de la loi.

Les règles d’interprétation des stipulations conventionnelles

En cas d’imprécision de la stipulation conventionnelle, la Cour de cassation rappelle que la méthode d’interprétation d’un accord collectif se fait en plusieurs étapes : "une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est-à-dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte" (arrêt du 8 février 2023).

Un exemple illustre cette méthode : une convention collective conclue antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 22 avril 2024 assimile "à du temps de travail effectif", les absences pour cause de maladie. La question peut alors se poser de savoir si, pour l’avenir et pour le passé cette simple assimilation offre deux jours et demi ou deux jours ouvrables de congés payés au salarié absent.

Le texte conventionnel ne manque pas de clarté en ce qu’il assimile l’absence à du temps de travail effectif. Le texte ne précise toutefois pas le nombre de jours ouvrables de congés payés acquis par mois d’absence maladie. Or c’est ici qu’une difficulté se pose à partir du moment où la loi nouvelle, a effet rétroactif, considère que l’absence maladie génère deux jours ouvrables de congés payés.

L’interprétation par référence à un texte législatif ayant le même objet (L.3141-3) conduirait à retenir un quantum de droits à hauteur de deux jours et demi jours ouvrables pour le passé cette interprétation faisant de la stipulation conventionnelle une disposition plus favorable que la loi nouvelle (préservée par application des dispositions du II de l’article 37 de la loi du 22 avril 2024).

Pour l’avenir, la même difficulté d’interprétation existe (la stipulation conventionnelle ne définit pas le quantum de jours acquis) ; la méthode qui consiste à se référer à un texte législatif ayant le même objet conduit inévitablement à appliquer les dispositions nouvelles de l’article L.3141-5-1 lesquelles traitent spécifiquement du quantum des jours acquis en cas d’absence maladie et de déduire que pour l’avenir, en application des stipulations conventionnelles comme de la loi, le salarié acquière deux jours ouvrables de congés payés par mois d’absence maladie.

Dans les cas d’interprétation les plus difficiles et en dernier recours les partenaires sociaux, au travers de la CCPNI en ce qui concerne les branches, peuvent également recourir à l’avis ou l’avenant interprétatif dont l’intérêt est, sous conditions, de produire un effet "rétroactif" ; rappelons en effet que l'avis d'une commission d'interprétation, institué par un accord collectif s'impose au juge si l'accord lui donne la valeur d'un avenant et à la condition que l’avenant "se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse" (arrêt du 11 mai 2022). 

Hugues Lapalus
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