L'impact de la restructuration des branches professionnelles sur les entreprises

L'impact de la restructuration des branches professionnelles sur les entreprises

07.02.2021

Convention collective

La restructuration des branches est un long processus qui produit progressivement ses effets sur les entreprises. Dans le cadre de notre partenariat avec le Club des branches fondé par le cabinet Barthélémy, Mélanie Souterau et Bruno Denkiewicz, avocats associés au sein du cabinet, analysent les conséquences pour les entreprises d'un paysage conventionnel de branche reconfiguré.

Il n'est jamais trop tôt pour anticiper ! Il n’est surtout pas trop tard pour prendre en main la suite de l’histoire. Même si la restructuration des branches professionnelles est un chantier de longue haleine, les entreprises doivent commencer à avoir à l'esprit ce que cela pourrait changer pour elles au quotidien. D'autant que toutes ne sont pas logées à la même enseigne et qu'elles seront dès lors affectées à des degrés variés. "Pour l'instant, les entreprises ne mesurent pas l'impact car il n'y a pas de réels changements concrets", reconnait Bruno Denkiewicz, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy Avocats. Tant que les branches n'ont pas abouti à un accord commun, elles continuent d'appliquer leur propre convention collective". "Dans le cas où les branches sont déjà fusionnées par un arrêté ministériel, tant que les partenaires sociaux des branches concernées n'ont pas conclu un accord d'harmonisation, chacune des branches continue d'appliquer sa convention collective", poursuit-t-il.

Le scénario d’un rapprochement imposé ou d’un rapprochement négocié conduira naturellement à des incidences différentes en entreprise. Toutefois, si les changements et les questions émergeront lentement et au fur et à mesure, les entreprises doivent avoir dès à présent à l'esprit les points de vigilance qu'elles devront anticiper à court ou à moyen terme. 

Un chantier à l'arrêt ?

Le dossier de la restructuration des branches ne devrait pas connaitre une accélération dans les mois à venir, voire les années. D'une part, certes, l'on risque de ne jamais connaitre le contenu officiel du rapport Ramain, ce dernier ayant été nommé Directeur général du travail, en octobre dernier, en remplacement de Yves Struillou. D'autre part, en effet, le sujet n'entre pas dans les priorités de l'agenda social fixé par le gouvernement et les partenaires sociaux. 

Le chantier n'est pourtant pas à l’arrêt, bien au contraire. Il est lancé et les partenaires sociaux restent encouragés à entrer dans une voie volontariste.

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Les points de vigilance pour les entreprises

Mélanie Souterau, avocat au sein du cabinet Barthélémy Avocats, identifie trois niveaux de questionnement pour les entreprises.

"La première interrogation est de savoir à quel moment l'entreprise change de convention collective et bascule dans un schéma conventionnel nouveau. La seconde question qui se pose est de savoir ce que deviennent les accords d'entreprise, notamment ceux calqués sur des accords de branche, et ce avant les ordonnances Travail et la latitude laissée aux entreprises pour apporter des adaptations aux dispositions conventionnelles de branche. Enfin, il faut se demander quel sera l'impact en matière de relations individuelles de travail en s'interrogeant notamment sur les conséquences contractuelles ou simplement informatives".

Dans l’hypothèse d’un rapprochement imposé, la convention collective applicable à une entreprise pourrait tout simplement disparaître, pour rejoindre un socle conventionnel plus large. Dans l’hypothèse d’un rapprochement négocié, la convention collective dite de rattachement deviendrait, à terme, le socle conventionnel d’accueil, supposant une période suffisante d’acclimatation.

"Il faut informer chaque salarié du changement de classification", prévient ainsi Bruno Denkiewicz. S'agissant du bulletin de paie, Mélanie Souterau rappelle "qu'il mentionne à titre informatif l'IDCC ou l'intitulé de la convention collective et éventuellement les deux. L'affichage ou l’information par tout moyen de la convention collective est par ailleurs obligatoire". 

"Va aussi se poser la question des avantages acquis par les salariés en cas d'application d'un nouveau texte qui peut entraîner un changement dans la structure de la rémunération. Ce changement peut concerner la prime d'ancienneté et la prime de fin d'année qui disparaissent ou sont créés. Les partenaires sociaux doivent pouvoir organiser les modalités de la transition au niveau de la branche. Les employeurs aiment bien se reposer sur ce qui a été décidé au niveau de la branche".

Mélanie Souterau rappelle également que "certains accords d'entreprises, notamment sur l'aménagement du temps de travail, sont construits sur des accords de branche. Il existe ainsi des congés propres à certains secteurs d'activités, notamment dans le médico-social. Ils ont été négociés en tenant compte de ces congés conventionnels. Les accords d'entreprise pourraient être réfléchis différemment si la convention collective est modifiée".

Sans compter les effets d'une nouvelle grille de classification ou d'une nouvelle grille de salaire qui va impacter les salaires minima et le cas échéant les salaires réels.

Des annexes susceptibles d'amortir les changements

La possibilité de prévoir des annexes peut toutefois limiter les changements par rapport aux conventions collectives existantes. "Il est possible de prévoir des dispositions communes avec en dessous de ce "chapeau", des annexes sectorielles ce qui, alors, pourrait n'entraîner aucun changement sur le fond", souligne Bruno Denkiewicz. "Ces annexes sont d'autant plus nécessaires que les conventions collectives seront désormais élargies et rassembleront des métiers différents. Les restructurations seront ainsi parfois partielles avec une harmonisation sur des thématiques transversales, complète Mélanie Souterau. Des accords interbranches sur la prévoyance, la formation professionnelle, les IRP, l'aménagement du temps de travail seront également possibles. En revanche, sur les thématiques plus individuelles, comme les classifications et les rémunérations, il n'y pas d'harmonisation absolue sur ces sujets qui doivent être adaptés à chaque secteur d'activité". 

"Il y a aussi des dispositions qui n'ont aucune pas de portée pratique évidente comme les dispositions sur la liberté syndicale par exemple, contrairement à des conventions collectives qui ont organisé le fonctionnement du paritarisme, explique Bruno Denkewicz. Lorsque les métiers sont très différents on a recréé une commission paritaire spécifique à différents métiers".

Combler les vides conventionnels

Mélanie Souterau rappelle que l'un des enjeux de la restructuration des branches est aussi de couvrir davantage d'entreprises et de salariés. "S'agissant des entreprises hors champ, la priorité des pouvoirs publics est de mettre fin au vide conventionnel. L'enjeu pour ces entreprises est alors différent ; elles vont entrer dans le champ d'un statut conventionnel alors que, jusqu'à présent, seul le code du travail s'appliquait. Cela va constituer pour elles un outil de régulation économique et social qui limitera la concurrence". "Il y a aussi des secteurs qui ne sont plus couverts car les conventions collectives ont été dénoncées, comme celle des centres de gestion agréés, complète Bruno Denkiewicz. Des arrêtés d'élargissement procèdent au rattachement à une autre convention collective nationale. L'objectif est d'assurer une couverture conventionnelle en amont et d'éviter l'émiettement conventionnel". 

Un processus lent et progressif 

Bruno Denkiewicz rappelle qu'il faut distinguer la situation des entreprises adhérentes à un groupement patronal de celles qui ne le sont pas. "Leur calendrier est différent. L'accord signé est immédiatement applicable aux entreprises adhérentes". L'avocat nuance toutefois : "Bien souvent on attend l'extension pour que toutes les entreprises appliquent l'accord au même moment. C'est un processus très long et non une convention collective qui va, du jour au lendemain, se substituer à une autre. Il s'agit de la construction progressive d'une future convention collective. Les partenaires sociaux négocient des accords inter-branches, des stipulations communes jusqu'au jour où ils auront suffisamment avancé pour avoir une seule convention collective. L'impact sera dès lors progressif pour les entreprises".  

L’enjeu est de taille pour les organisations patronales signataires des futures conventions collectives et partenaires dans ce chantier de restructuration du paysage conventionnel.

Florence Mehrez
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