Négocier des accords c’est bien, les mettre en application c’est mieux !

Négocier des accords c’est bien, les mettre en application c’est mieux !

24.05.2016

Convention collective

Michèle Rescourio-Gilabert, directrice du développement d’Entreprise & Personnel Relations Sociales*, analyse les enjeux du projet de loi Travail sur la négociation collective et pointe une réalité que les rédacteurs du texte font semblant d’ignorer, à savoir les effets des accords collectifs pour les salariés.

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Négocier au plus proche des préoccupations des entreprises est l’argument majeur développé par les partisans de la loi Travail.  Avoir ses propres règles, trouver des compromis au plus proche des salariés, simplifier, mettre le code du travail à la diète, tous ces objectifs  avancés sont-ils fondés ? A bien y regarder, la réalité dans les entreprises  semble bien éloignée. On n’a jamais autant négocié d’accords collectifs depuis 1982 mais est- ce utile, efficace ? Les DRH et les négociateurs savent-ils, au préalable, comment déployer les mesures négociées ou improvisent-ils une fois l'accord signé?


► Que veut dire déployer un accord collectif ?


Les accords sont peu connus des salariés de l'entreprise, sans effets observables, alors que le temps passé pour négocier est considérable

S’agit-il de porter à la connaissance des salariés, des clients, des pouvoirs publics l’existence des dispositions négociées ? Ou est-ce mettre en place réellement  des mesures pour créer de nouvelles règles internes ?


A entendre les nombreuses insatisfactions exprimées par les acteurs des négociations ces dernières années, il semblerait que tous aient en tête la seconde définition : déployer un accord c’est faire en sorte que les mesures négociées soient appliquées. Pourtant le résultat est trop souvent décevant : les accords sont peu connus des salariés de l’entreprise, sans effets observables,  alors que le temps passé  pour négocier est considérable.


Paradoxe, la négociation d’entreprise ne s’est jamais autant développée que depuis ces dernières années. Les entreprises négocient parce que les obligations d’ouvrir des négociations sont de plus en plus nombreuses. Les lois Auroux de 1982 ont ouvert le bal par la négociation annuelle obligatoire sur les salaires (NAO). Trente ans déjà !


En reprenant ce seul exemple de la NAO, il est intéressant de comparer l’article du code du travail qui l’a institué en 1982 et les articles L 2242-1 et suivants d’aujourd’hui. Les salaires ne sont qu’un thème parmi de nombreux autres. Se retrouvent pêle-mêle la durée du travail, l’évolution de l’emploi, la prévoyance, l’égalité professionnelle… Le texte peut faire l’objet d’aménagements depuis peu pour en simplifier son application (loi Rebsamen) tellement il devient difficile de s’y retrouver ! Mais il ne suffit pas de vouloir simplifier pour le pouvoir, les acteurs de la négociation n’ont pas tous les mêmes enjeux derrière ces bonnes intentions !


Aussi ces 10 dernières années, des obligations d’ouverture de négociations ont été imposées aux entreprises par les pouvoirs publics, avec des conséquences financières, des pénalités en l’absence de démarches volontaires. Ces injonctions concernent des sujets comme la GPEC, le stress, l’égalité professionnelle, la pénibilité, les contrats génération…


Sur un grand nombre d'accords signés chaque année, seulement une poignée est déployée au sein des entreprises. 

D’autres entreprises vont plus loin. Dans le cadre d’une politique sociale dynamique, elles font de la négociation avec leurs partenaires sociaux, un pilier fort de leur politique ressources humaines.


Mais malgré un grand nombre d’accords signés chaque année, seulement une poignée d’entre eux est déployée au sein des entreprises. Pourquoi la phase de déploiement des accords semble-t-elle si difficile à mettre en place ? N’aurait-il pas fallu faire une évaluation des résultats de la négociation collective en général avant de mettre la négociation au centre de la création des normes ? Comment les entreprises non expérimentées vont-elles s’engager dans ces processus ?


Certes Jean-Denis Combrexelle en tire un bilan mitigé dans son rapport remis au Premier ministre en septembre 2015, mais pour autant, il préconise son développement. Négocier serait-elle la seule solution pour assurer le compromis au sein des entreprises ? Méconnaissance ou absence d’imagination ? Conservatisme ou  maintien d’un système à bout de souffle tout en le faisant passer pour la solution ?


Alors concrètement si nous restons dans le périmètre de la négociation collective en entreprise, comme nous l’imposera la loi dans quelques semaines, tentons de comprendre son absence de résultat concret aujourd’hui et qu’est ce qui permettrait de la rendre efficace d’un point de vue pratique.


►Pourquoi trop souvent la phase de déploiement de tous ces accords ne fonctionne-t-elle pas ?


Comprendre les difficultés rencontrées dans le déploiement de certains accords, c’est analyser les différences entre les uns et les autres 

Les questions liées au déploiement sont en fait différentes suivant la nature des accords. On peut relever deux grands types d’accords : des accords dits "normatifs", ceux qui créent de la norme, des règles, des standards et les accords dits de "promotion d’une politique" ou "accord-cadre". Les questions posées par le déploiement des uns et des autres ne sont pas de même nature, les  enjeux et les acteurs sont différents. Comprendre les difficultés rencontrées dans le déploiement de certains accords, c’est analyser les différences entre les uns et les autres. Tous ne posent pas les mêmes problèmes.


► Existe-t-il certaines pratiques dans  les entreprises qui orientent naturellement vers un déploiement réussi ou non ?


Les retours d’expériences sur de nombreuses pratiques de déploiement des accords permettent d’analyser les facteurs de réussite. Il ne s’agit pas de rechercher ce qui serait la vérité dans un domaine aussi complexe, mais d’identifier les éléments qui participent à l’efficacité du dialogue social, vu ici sous l’angle d’une traduction opérationnelle perçue positivement par les salariés, les managers et les négociateurs eux-mêmes.


La prise en compte du déploiement dans les différentes phases du processus classique de la négociation (avant, pendant, après) conditionne sa réussite ou non. Il est certain que se préoccuper du déploiement seulement après la signature de l’accord ne peut qu’engendrer des frustrations (par rapport aux attentes) et surtout une certaine inefficacité. La réflexion sur les acteurs du déploiement et la question des moyens en sont deux autres composantes.


► Et enfin, que faut-il en retenir ? Ne faudrait-il pas repenser totalement les processus de négociation ? Mais les acteurs souhaitent-ils vraiment se remettre en cause ?


Déployer les accords collectifs reste largement un processus à inventer aujourd’hui pour les entreprises 

Déployer les accords collectifs reste largement un processus à inventer aujourd’hui pour les entreprises. Cependant il est indispensable qu’elles s’y penchent rapidement pour éviter de se complaire dans le climat général de morosité sur le sujet, "vaste sujet" pour certains, "peine perdue" pour d’autres… Il est pourtant possible d’inverser la tendance. Ne serait-ce pas une opportunité extraordinaire pour véritablement créer une dynamique collective qui fait trop souvent défaut ? Les salariés ne sont pas indifférents à ce qui se passe dans leurs entreprises !


Certaines le découvrent en expérimentant de nouvelles formes de participation, mais craignent déjà de ne pas savoir que faire de toutes les bonnes idées remontées et craignent de susciter frustrations et déceptions.


Cependant les mois et années qui viennent vont ouvrir le champ de la négociation à des sujets nouveaux pour les entreprises. Le thème "emploi/compétitivité", tel qu’il est déjà discuté - tant au niveau interprofessionnel que dans certaines entreprises - engage tous les acteurs à penser le  "déploiement" dès l’ouverture de la négociation. L’enjeu même de la négociation est de définir les conditions opérationnelles de la mise en œuvre de mesures qui devront être "acceptables" par les salariés pour être efficaces.


Alors avant d’attendre les impacts de la loi Travail, il devient nécessaire de réfléchir entreprise par entreprise à son propre processus de négociation pour que chaque salarié puisse enfin se sentir concerné par les sujets et leur incarnation dans leur quotidien sinon les placards ou les ordinateurs continueront de se remplir….


 


* Egalement auteure d'une étude "Déployer les accords collectifs", Entreprise et Personnel, 2012.

Michèle Rescourio-Gilabert
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