Ordonnances Travail : la mise en oeuvre des réformes inquiète les syndicats

Ordonnances Travail : la mise en oeuvre des réformes inquiète les syndicats

02.07.2019

Convention collective

Dans le cadre du bilan de la négociation collective 2018, les partenaires sociaux ont été invités à dresser un bilan de l'année écoulée en matière de négociation collective. Un état des lieux en demi-teinte des réformes amorcées en 2017.

Le ministère du travail, comme chaque année, a dévoilé son bilan annuel de la négociation collective en fin de semaine dernière. Outre une photographie précise des accords signés au cours de l'année 2018, le document donne la parole aux partenaires sociaux afin qu'ils délivrent bons et mauvais points sur l'actualité sociale et conventionnelle de l'année passée. Ces derniers ont ainsi livrés leurs satisfecits, mais aussi leurs craintes, en matière de négociation collective alors que de profonds changements sont en cours avec les ordonnances Travail du 22 septembre 2017 et la restructuration des branches.

Des accords CSE qui manquent de créativité

La fusion des instances représentatives du personnel au sein du comité social et économique (CSE) est l'une des pierres angulaires des ordonnances Travail. L'objectif affiché est de redynamiser et de décentraliser le dialogue social. Pour certaines confédérations syndicales, le but est loin d'être atteint. "... Les remontées des équipes CFDT font ressortir que beaucoup d’entreprises ne font pas le pari du dialogue social. Au contraire, ces dernières saisissent l’opportunité de cette réforme pour réduire les moyens syndicaux. Cela a comme première incidence le recul de la qualité du dialogue social, mais aussi la fragilisation des entreprises qui ont dans la période à opérer de grandes transformations dans le cadre des transitions numériques et écologiques". La CFDT déplore par ailleurs le manque d'innovation dans les accords sur le CSE et la centralisation du dialogue social avec la mise sur pied - dans de nombreuses entreprises - d'un CSE unique. "D’une manière générale, on remarque une certaine frilosité des entreprises à aller plus loin que le minimum légal, voulant se laisser le temps d’un premier mandat d’observation plutôt que d’innovation pour adapter la représentation du personnel aux besoins de l’entreprise".

Les observations de FO sur le terrain ne diffèrent guère. "Les premières remontées de terrain témoignent d’une perte importante du nombre de mandats, avec notamment des découpages pas toujours négociés. Certaines entreprises profitent de l’occasion pour supprimer les institutions représentatives du personnel dans les établissements distincts au profit d’une instance unique centralisée. C’est la double peine".

Seul satisfecit dans ce concert de critiques : la contribution du Medef. Le CSE "contribue à replacer le dialogue social au bon niveau de compréhension des enjeux de l’entreprise en apportant aux représentants du personnel une vision globale, transverse, voire stratégique des sujets traités au CSE : la négociation des accords de mise en place ou de fonctionnement".

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Une restructuration des branches professionnelles qui inquiète encore

Le chantier de la restructuration des branches progresse à grand pas et une nouvelle étape devrait être franchie avec la remise du rapport de Pierre Ramain, maître des requêtes au Conseil d'Etat. Il faut espérer que ce rapport lèvera les craintes des organisations syndicales, qui sont nombreuses.

La CFE-CGC déplore ainsi le flou qui entoure la notion de branche professionnelle. "L’absence de définition claire de la branche crée un imbroglio et complique les travaux de la restructuration des branches". Selon elle, il conviendrait de distinguer deux niveaux :

- la loi commune de la branche où se détermine l’ensemble des dispositions communes à la branche en matière d’égalité professionnelle, de formation professionnelle, etc. ;
- un socle spécifique dans la branche où des accords professionnels autonomes fixent des dispositions spécifiques sur les classifications, les salaires minimas, les spécificités catégorielles, etc.

Même son de cloche du côté de la CFTC. "Bien que les différentes réformes ont permis de clarifier les missions de la branche, les contours de ce qu’est réellement une branche ne sont pas encore clairement définis. Ainsi, dans les textes de loi, on mentionne tantôt l’évolution de la restructuration du paysage conventionnel, tantôt la restructuration des branches professionnelles, ce qui à notre sens, ne revêt pas les mêmes réalités". Pour la CFTC, la notion de branche professionnelle ne peut pas se limiter à la convention collective.

La peur de la confédération syndicale est de voir surgir "des projets de « méga conventions collectives » ou des rapprochements d’opportunité, bien que les champs professionnels soient différents". Derrière cela se profile la crainte "que la branche s’éloigne de la réalité des entreprises, des salariés et de leur représentation réelle".

La CGT n'est pas tendre non plus pour le mouvement de rationalisation des branches. "En réduire encore le nombre, c’est prendre le risque demain de n’avoir plus que des conventions collectives génériques et généralistes avec une telle diversité de métiers, d’activités, de secteurs économiques couverts, qu’il sera impossible d’avoir des politiques de branches qui permettent l’établissement de grille de salaires et classification, impossible aussi d’avoir une véritable politique de formation qui permette de préserver et développer les savoirs et savoir-faire, cela vaut pour nombre de sujets faisant l’objet de négociation dans les branches professionnelles".

Les incertitudes liées à la nouvelle articulation des accords collectifs

Le Medef se félicite de la nouvelle articulation des normes conventionnelles issue des ordonnances du 22 septembre 2017. "Cette mesure est de nature à déplacer le dialogue social au niveau plus pertinent de l’entreprise, soit au plus près de ses besoins", tout en soulignant "le rôle de régulateur social et de la concurrence des accords et conventions de branche en verrouillant ces derniers dans des domaines essentiels (notamment en matière de fixation des rémunérations minimales hiérarchiques qui permettent d’éviter un effet dumping social)".

Les syndicats se montrent, eux, plus circonspects. C'est notamment le flou qui entoure la nouvelle articulation entre accords d'entreprise et accords de branche qui les inquiète. Telle est le cas de la CFE-CGC qui tire la sonnette d'alarme sur la notion de "garanties au moins équivalentes" et invite même les négociateurs au niveau de l’entreprise à ne pas traiter les sujets des blocs 1 et 2, "sauf à être totalement convaincus qu’ils négocient des garanties plus favorables que celles prévues dans l’accord de branche".

Autre source de désaccord : la notion de "salaire minimum hiérarchique" telle qu'inscrite dans le bloc 1 [qui regroupe les thèmes impératifs au niveau de la branche]. Le ministère du travail en a retenu une interprétation restrictive, ce que critiquent fortement les syndicats. "Dans de nombreuses branches, les minimas intègrent des éléments relatifs à l’ancienneté, les conditions de travail, un 13e mois, qu’elles ont conçus comme un bloc impératif minimal de rémunération, souligne la CFTC. Pour ces branches, l’application des dispositions issues des ordonnances faisant interférer le bloc de primauté de la branche et celui de l’entreprise est venue percuter le rôle de régulateur économique et social de la branche". Une position soutenue par la CGT. "C’est aux négociateurs de branches de décider de la définition qu’ils souhaitent lui donner. Leur définition est, de plus, le résultat d’une négociation collective. Elle ne peut être remise en cause par le ministère du travail à l’occasion de l’extension de ces accords".

Pas de note discordante du côté de FO. "Nous avons souligné qu’il appartient aux branches de définir la notion de salaires minima hiérarchiques (SMH) et que les réserves et exclusions faites par l’administration doivent être strictement encadrées pour ne pas remettre en cause les équilibres des accords".

Les syndicats dans l'expectative sur le fonctionnement du groupe d'experts en matière d'extension

S'agissant du nouveau groupe d'experts chargés d'émettre des recommandations sur l'extension d'accords collectifs, la CFE-CGC déplore que les membres de la sous-commission des conventions et accords "n’ont été informés ni de sa mise en place effective, ni de ses modalités concrètes de fonctionnement, et notamment de la grille d’analyse qui servira à l’examen des accords de branche qui lui seront prochainement soumis". La confédération des cadres demande que la sous-commission soit informée de toutes les demandes de saisine du groupe d’experts ainsi que des accords de branche qui y sont en cours d’examen. La CGT réaffirme à l'occasion du bilan de la négociation collective, son opposition à ce groupe d'experts "qui constitue une entrave supplémentaire au droit d’extension des conventions et accords collectifs". Elle déplore que les experts soient librement désignés par le ministre parmi les économistes de son choix et que seul le mandat irrévocable d’une durée de quatre ans constitue un gage de leur indépendance.

 

 

 

 

 

 

 

 

Florence Mehrez
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