Pesticides : la justice reconnaît Monsanto "responsable du dommage causé" à l’agriculteur Paul François

Pesticides : la justice reconnaît Monsanto "responsable du dommage causé" à l’agriculteur Paul François

15.04.2019

HSE

Pour la 3e fois depuis 12 ans, la justice française retient la responsabilité du géant de l'agrochimie, attaqué par un céréalier victime d'une intoxication au Lasso, herbicide aujourd'hui interdit. Les juges épinglent l'étiquetage insuffisant du produit, qui ne mentionnait pas les risques liés à l’inhalation du chlorobenzène ni les EPI nécessaires. Ils estiment en revanche qu'il n'y a pas eu de négligence fautive de l'agriculteur.

L’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 11 avril 2019 estime que Monsanto est effectivement "responsable du dommage causé" à Paul François, intoxiqué en 2004 par le désherbant Lasso du géant de l’agrochimie. Si la firme a été condamnée à verser 50 000 euros à l’agriculteur en compensation de ses frais de justice, l’indemnisation du préjudice pour sa santé est renvoyée devant une autre juridiction.

C’est dans le cabinet parisien de son avocat François Lafforgue, que Paul François avait donné rendez-vous jeudi 11 avril aux journalistes pour commenter cette nouvelle décision de justice. "J’ai gagné, mais à quel prix ? Je suis soulagé mais fatigué, ce combat a été d’une telle violence. On a voulu me faire passer pour fou", a déploré Paul François, la voix étranglée par l’émotion. "Je pense à mon épouse décédée, à mes deux filles, à tous les scientifiques qui m’ont soutenu, à toutes les autres victimes des pesticides, ici ou ailleurs."

Céréalier en Charentes, Paul François est, en avril 2004, hospitalisé en urgence après avoir après avoir inhalé accidentellement les vapeurs du Lasso, un produit interdit en France depuis 2007 en raison de sa toxicité, lors du nettoyage d’une cuve. Depuis 12 ans, Paul François se bat contre Monsanto. Il dit toujours souffrir de graves troubles neurologiques à la suite de son empoisonnement.

Un étiquetage insuffisant

Jugé responsable de l’intoxication de l’agriculteur en 2012, puis de nouveau en appel en septembre 2015, Monsanto, depuis racheté par Bayer, avait obtenu l’annulation de cette décision par la Cour de cassation à l’été 2017. La haute juridiction avait alors renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Lyon, laquelle vient de retenir à nouveau la responsabilité du géant de l’agrochimie.

Dans un arrêt de 21 pages, la cour d’appel reproche notamment à Monsanto "de ne pas avoir sur l’étiquetage et/ou l’emballage du produit apposé une mention sur la dangerosité spécifique des travaux dans les cuves et réservoirs". Ni les risques liés à l’inhalation du chlorobenzène, un produit toxique pour l’homme présent en quantité importante dans le Lasso, ni les préconisations d’appareils de protection respiratoire n’ont été signalés par Monsanto en dépit de la règlementation sur les produits phytopharmaceutiques.

Pas de négligence fautive de l’agriculteur

L’INRS avait précisé dès 1997 dans une de ses fiches toxicologiques les précautions relatives à la manipulation du chlorobenzène. Les défenseurs de Monsanto avaient pointé la "négligence" de l'agriculteur, qui ne se serait pas suffisamment protégé des vapeurs du Lasso alors qu’il aurait dû connaître leur toxicité.

Dans l’arrêt du 11 avril, les juges estiment que l’agriculteur n’a pas commis de faute susceptible d’exonérer Monsanto de sa responsabilité, "les connaissances techniques de ce dernier, à les supposer avérées, ne pouvant pallier le manque d’information sur le produit et ses effets nocifs, un exploitant agricole n’étant pas un chimiste". En 2002, date de la commercialisation du produit en France, la firme avait, selon les juges, toute latitude pour connaître et remédier au manque d’étiquetage de son produit.

La bataille judiciaire se poursuit

Si François Lafforgue s’est réjoui de cette nouvelle victoire de son client, il a cependant dénoncé la stratégie de "harcèlement judiciaire" de la firme, laquelle utilise toutes les voies de recours possibles dans cette procédure. "Monsanto peut toujours se pourvoir en cassation, même si la Cour de cassation pourrait à mon avis refuser d’accepter ce nouveau pourvoi au regard de la décision motivée qui vient d’être rendue", a-t-il indiqué. La firme a deux mois pour former un nouveau pourvoi.

La cour d’appel n’a pas statué sur la demande d’indemnisation de Paul François, lequel demande 1 million d’euros en raison du grave préjudice pour sa santé. Cette question, que François Lafforgue espère pouvoir plaider dès septembre prochain, a été renvoyée devant le tribunal de grande instance de Lyon.

 

Colère

L’agriculteur, par ailleurs président de l’association Phyto-victimes, a fustigé l’inertie des membres du gouvernement dans la lutte contre les dangers des pesticides. "Honte à eux ! Ils seront jugés pour leur inaction", a-t-il prévenu.

Paul François a notamment dénoncé le nouveau report de la création du fonds d’indemnisation des victimes des pesticides, une proposition de loi adoptée en février 2018 par le Sénat mais qui n’a toujours pas pu être examinée par l’Assemblée nationale. La ministre de la santé a néanmoins proposé d’inscrire la création de ce fonds dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui sera discuté à l’automne prochain.

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HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Joëlle Maraschin
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