Pesticides : l'Anses questionne sa propre "crédibilité scientifique" pour l'évaluation des risques

15.03.2023

HSE

"Le décalage entre science et expertise constitue l’un des facteurs les plus importants d’érosion de la crédibilité, et l’Anses ne parvient pas toujours à réduire cette tension", écrit le conseil scientifique de l'Anses dans un rapport sur la "crédibilité de l'expertise scientifique", issu d'un groupe de travail. Ce document, discrètement publié le 10 mars 2023, a été dévoilé par Le Monde le 14 mars.  

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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L'objectif du groupe de travail était de questionner la "crédibilité scientifique" de l'agence, qui correspond au "degré de confiance dont elle bénéficie". Ceci après que "les expertises produites par l’Anses (et dans certains cas les experts y ayant contribué) ont été contestées, voire violemment attaquées, directement ou par médias interposés", ces dernières années. Cela pourrait, "menacer la crédibilité de l’agence, notamment pour la gestion des dossiers pesticides et pour le transfert programmé de l’évaluation des organismes génétiquement modifiés (OGM), autre dossier très sensible", s'inquiète-elle.  

Le groupe de travail s'est appuyé sur l'étude de 3 exemples ayant fait l'objet de controverses et concernant tous des pesticides : le glyphosate, les néonicotinoïdes et les SDHI, fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase.  

Les scientifiques pointent plusieurs "tensions" c'est la première qui serait la plus préoccupante : le "décalage entre connaissances scientifiques et résultats de l’expertise", alors que la crédibilité scientifique sera d'autant plus forte qu'elle correspondra aux dernières connaissances scientifiques. Néanmoins, l'Anses est contrainte, rappelle-t-elle, par la nécessité de "prendre en compte les connaissances scientifiques les plus avancées tout en s’appuyant sur des règles claires et partagées par l’ensemble des acteurs concernés, pour la conduite d’une évaluation des risques transparente, robuste et reproductible". Et en matière de pesticides, elle doit en plus respecter "un cadre réglementaire européen ne permettant pas l’intégration rapide de nouvelles connaissances scientifiques, pourtant pertinentes pour l’évaluation des risques".  

Le groupe de travail pointe aussi une tension qui tient à l'organisation même de l'institution : le manque de séparation entre l'évaluation des risques liés, notamment, aux pesticides, et la régulation de ces produits réglementés (autorisations de mises sur le marché, obligation de retrait, encadrement des usages). "Un manque de lisibilité concernant les modalités de séparation de l’évaluation et de la gestion et un manque de transparence quant à la traduction des avis en mesures de gestion constituent une autre source d’érosion de la crédibilité de l’expertise", rapporte le groupe de travail – composé d’une trentaine de scientifiques, la plupart indépendants de l’agence.

Plusieurs recommandations sont formulées, parmi lesquelles :  

  • "Ne pas limiter l’évaluation des risques de produits soumis à des contraintes réglementaires à une expertise restreinte au cadre réglementaire […], et prévoir la possibilité pour les collectifs d’experts d’émettre des critiques et réserves sur les cadres réglementaires de l’évaluation"
  • "Dans les cas où la saisine impose de n’utiliser que les connaissances produites selon les lignes directrices en vigueur, intégrer les connaissances hors cadre dans une partie spécifique du corps du rapport et de l’avis",  
  • "Développer une méthode de criblage systématique des liens d’intérêt dans les revues bibliographiques mobilisées (conflits d’intérêt des auteurs et éditeurs, financements des études et des journaux scientifiques)",  
  • "Valider systématiquement avec les collectifs d'experts la sélection de la littérature prise en considération et veiller à prendre en compte les connaissances scientifiques nouvelles".
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