Prévention de la désinsertion professionnelle : qu’est-ce qui coince en France ?

Prévention de la désinsertion professionnelle : qu’est-ce qui coince en France ?

18.02.2021

HSE

La prévention de la désinsertion professionnelle est un travail d’équilibriste entre le respect de la période du soin et la mobilisation des dispositifs d’aménagement, voire de reconversion, le plus tôt possible. La proposition de loi sur la santé au travail compte sur une meilleure expertise des SST et une visite de mi-carrière. Est-ce que ce sera suffisant ?

"En prévention de la désinsertion professionnelle, nous sommes les plus mauvais sur la scène européenne", constate, en exagérant peut-être un peu, Frédéric Rambinaising, chargé de mission PDP et maintien en emploi à la Cramif. À court ou moyen terme, 5 à 10 % des salariés sont menacés par un risque de désinsertion professionnelle, estime l'Igas (inspection générale des affaires sociales).

Le sujet s’est imposé dans les débats sur la réforme de la santé au travail – et Édouard Phillippe avait demandé aux partenaires sociaux d'y travailler. Une partie de l’ANI (accord national interprofessionnel) trouvé en décembre 2020 y est consacrée. Même chose pour la proposition de loi débattue en ce moment à l’Assemblée nationale. "Avec cette PPL, on veut éviter les inaptitudes et les carrières qui s’arrêtent d’un coup", pose Carole Grandjean, députée LREM co-autrice du texte.

"L'arrêt maladie, c'est la trêve"

Le sujet relève aussi bien de la santé au travail (risque de désinsertion dû à l’usure professionnelle ou à un accident du travail) que de la santé publique (maintien en emploi rendu difficile par une maladie chronique). Temps partiel thérapeutique, essai encadré, bilan de compétences... Une fois que les personnes en risque de désinsertion professionnelle sont repérées, les dispositifs existent, même si certains critiquent leur rigidité.

Ces outils ne sont pas assez mobilisés. En cause : la méconnaissance, mais aussi, d’après Frédéric Rambinaising, l’idée que "pendant l’arrêt maladie, c’est la trêve". Or, le sujet doit être pensé, si ce n’est avant, au moins pendant l’arrêt de travail. "La position de l’assurance maladie a toujours été de dire : ‘reposez-vous et prenez vos médicaments’. Le virage a été pris il y a seulement dix ans. C’est un changement de mentalité qui prend du temps", constate le chargé de mission de la Cramif. "L’histoire du maintien en emploi est celle d’un chronomètre qui fait tic-tac. Mais quand l’employeur est mis dans la boucle assez tôt : on trouve un dispositif !", défend-il en se référant au modèle allemand.

"Un modèle artisanal"

Encore faut-il repérer les personnes risquant la désinsertion. Un recours accru aux visites de pré-reprise, prévu dans la PPL, va dans ce sens. Aujourd’hui, les mailles du filet sont encore trop grosses. Un courrier est envoyé par l’assurance maladie à toute personne en arrêt de travail de plus de 60 jours continus pour l’inviter à une réunion d’information. Mais seuls 30 % des concernés en profitent, d’après les chiffres franciliens. "Le gros problème de la PDP en France, c’est que nous sommes sur un modèle artisanal. Nous n’arrivons pas à gérer le flux", remarque Frédéric Rambinaising.

Il faut donc cibler, et si possible le plus précocement possible, avant même l’arrêt de travail, comme le soulignait la HAS (Haute autorité de santé) dans ses recommandations de 2019. "Il faut se rendre compte que pour un métier donné, il y a un risque de désinsertion qu’on ne peut empêcher, malgré les mesures de prévention. Un footballeur professionnel doit réfléchir, tant qu’il est joueur star, à ce qu’il fera ensuite. Ce devrait être la même chose pour un carreleur, qui aura forcément les genoux usés, et doit arrêter avant de ne plus pouvoir marcher", imagine Pierre-Yves Montéléon, négociateur de l’ANI pour la CFTC.

En Île-de-France, la Cramif s’apprête à expérimenter une détection de risque de désinsertion avant l’arrêt de travail auprès de certains publics et dans certains secteurs. La visite de mi-carrière imaginée dans l’ANI et reprise dans la PPL va dans le même sens.

 

► Lire aussi : Le maintien en emploi doit être pensé bien avant l'arrêt de travail

 

Points de blocage

Autre problème pointé de tous : le manque de coordination des acteurs, pourtant jugée "indispensable" par la HAS. Il faut dire qu’ils sont nombreux : service social de la Carsat, médecin conseil de l’assurance maladie, services de santé au travail, Cap Emploi, Comète, médecin traitant... "Fonctionnement en silo" et "éparpillement", reviennent souvent pour qualifier cet écosystème. Il existe bien les cellules locales de PDP de l’assurance maladie, créées il y a dix ans, qui rassemblent le médecin conseil, l’assistant social, le SST et Cap Emploi pour statuer sur des cas précis, mais cela ne déboucherait que sur peu d’actions de remobilisation pendant l’arrêt.

Localement, des acteurs décident quand même de se réunir régulièrement, pas tant pour traiter de cas spécifiques, que pour apprendre à se connaître. Pierre-Olivier Comin, de Dephie-Cap Emploi Landes Pays-Basque témoigne de l’initiative sur son territoire : une "cellule de maintien en emploi" montée il y a 2 ans et demi. "On ne connaissait pas les missions des uns et des autres. Désormais, nous identifions des points de blocage et menons des actions collectivement pour être plus efficaces, comme par exemple pour toucher les travailleurs non salariés ou sensibiliser les médecins traitants". L’ANI recommande un "dialogue renforcé" entre les acteurs, sans en définir les contours, préférant attendre de tirer les enseignements des plateformes pluridisciplinaires en cours de test dans certains départements. La PPL ne prévoit rien en la matière.

Acculturation

Il y aurait actuellement un "recentrage" du rôle de l’assurance maladie en matière de PDP, nous signale Frédéric Rambinaising. "Nous laissons davantage le champ aux services de santé au travail, qui sont, avec les Cap Emploi, les experts du maintien en emploi. L’assurance maladie a plutôt un rôle d’architecte pour construire les dispositifs et sécuriser". Concrètement, alors que se chevauchent parfois le service social des Carsat et les SST, la "primeur" est désormais donnée à ces derniers. L’avis de la Carsat n’est demandé que si le maintien n’est pas possible.

Les partenaires sociaux entérinent ce rôle majeur des services de santé au travail. Ils les obligent à se doter d’une cellule PDP, comme en possèdent déjà certains et le préconisaient la HAS et l’Igas. Pour Pierre-Olivier Comin, qui échange très souvent avec les services de santé au travail, formaliser cette activité est une bonne chose : "cela permet de poser le cadre, et participe d’une certaine acculturation".

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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