Prévention : le rôle des experts-comptables en question

23.03.2023

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Comme les experts-comptables accèdent aux TPE, certains plans régionaux de santé au travail prévoient de les mobiliser comme relais. Faut-il encore qu’ils soient formés et qu’ils restent à leur place.

Et si on utilisait les experts-comptables pour faire de la prévention ? C’est une petite musique que l’on entend de plus en plus dans le milieu de la santé au travail depuis quelques années. Pour le moment, il s’agit essentiellement d’initiatives individuelles. Mais certaines Dreets (services déconcentrés de l’État) tentent d’accompagner cette dynamique. Dans le cadre du PRST 3 (plan régional de santé au travail 2016-2020), celle d’Auvergne-Rhône-Alpes a essayé de sensibiliser les experts-comptables en intervenant lors de l’une de leurs rencontres et en diffusant dans leur revue professionnelle des fiches sur l’embauche et les accidents du travail. Son PRST 4 (2021-2025) prévoit de les mobiliser pour promouvoir une démarche de prévention des TMS. Pour l’administration, le raisonnement est simple : "L’une de nos principales cibles sont les TPE. Elles sont peu à avoir un préventeur en interne. En revanche, elles sont tout aussi peu nombreuses à ne pas avoir d’expert-comptable", résume une membre du département santé-sécurité au travail. Ces professionnels seraient donc un moyen de toucher des entreprises difficilement accessibles.

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Suivant la même logique, la Dreets Occitanie est aussi intervenue plusieurs fois lors des rencontres organisées par le conseil de l’ordre local, comme le prévoyait le PRST 3. "On leur donne les premiers outils pour qu’ils se repèrent dans le paysage de la prévention et qu’ainsi, ils renvoient les TPE souvent démunies vers les tiers compétents comme l’Agefiph, Cap Emploi etc.", nous explique Virginie Nègre, responsable du service santé-sécurité. L’idée est donc que les experts-comptables donnent un premier niveau d’information à leurs clients. Pour des sujets plus précis – comme la prévention de la désinsertion professionnelle par exemple – ils pourraient donner des renseignements sur les types d’outils et de dispositifs existants, précise notre interlocutrice. Le PRST 4 d’Occitanie prévoit de travailler avec un groupe de cabinets volontaires sur une méthodologie d’accompagnement des TPE. Celui de Normandie compte s’appuyer sur ces professionnels pour sensibiliser les acteurs de l’entreprise au risque radon.

Un coup d’avance

"Notre rôle n’est pas de toucher les experts-comptables qui ne sont pas convaincus", indique Virginie Nègre. Autrement dit : pas question de contraindre les récalcitrants. Nicole Carrion, élue au conseil national de l’ordre des experts-comptables, a, personnellement, envie de jouer un rôle en matière de santé au travail auprès de ses clients dans son exercice, mais elle rapporte que ce n’est pas le cas de tous ses confrères. De manière générale : "Nous n’avons pas encore exploré le champ des possibles du conseil client", pense-t-elle.

D’après la nouvellement ancienne présidente de la commission développement des compétences relationnelles de l’Ordre, sa profession pourrait notamment être utile dans la prévention des risques psychosociaux. "L’expert-comptable peut avoir un coup d’avance. Il sait analyser des indicateurs. Donc en diagnostiquant une instabilité de la masse salariale par exemple, il pourrait aider à la prise de conscience de l’employeur d’un certain malaise dans l’entreprise", suppose-t-elle.

Mais cela demande "beaucoup de courage". Nicole Carrion explique : "Le frein est que le client se sente jugé. Comment parler d’une situation de gestion du personnel difficile sans le vexer ? La clé sera là".  Elle imagine qu’à l’image de cabinets d’experts-comptables spécialisés dans le secteur agricole par exemple, des cabinets pourraient se spécialiser en gestion des ressources humaines, pour accompagner l’employeur sur le volet non seulement légal mais aussi relationnel. Bien sûr, elle admet que cela nécessite de nouvelles compétences.

Risque de dérive

Notre interlocutrice de la Dreets Auvergne-Rhône-Alpes met en garde. "L’expert-comptable peut être un bon relais, mais n’est pas un acteur de la prévention et il est important qu’il ne se pense pas comme tel". Elle identifie un risque de dérive. Par exemple, d’après elle, les experts-comptables sont souvent sollicités pour rédiger le DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels), perçu comme une obligation uniquement documentaire par des employeurs. Or, "certains experts-comptables se limitent dans leurs réponses alors que d’autres vont trop loin", dit-elle observer. Sur le site d’un cabinet, on lit par exemple : "L’employeur pourra se tourner vers son expert-comptable afin qu’il l’aide à réaliser son document unique d’évaluation des risques et qu’il le mette à jour chaque année". "Peut-être qu’une minorité va jusqu’à rédiger le document unique mais j’imagine que si c’est le cas, ils sont formés pour", nous répond Nicole Carrion.

Pauline Chambost
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