Le procès en appel des anciens dirigeants de France Télécom s'est achevé, le 1er juillet, avec les plaidoiries de la défense. Les avocats des six prévenus ont, sur quatre jours, plaidé systématiquement la relaxe. Ils reconnaissent la souffrance, mais défendent toujours le fait que la loi ne permet pas de condamner le harcèlement moral institutionnel. Délibéré le 30 septembre.
« Vos positionnements sont très opposés, pour ne pas dire radicalement opposés. Il y aura forcément des mécontents à la lecture de l'arrêt », a tenu à prévenir celle qui, tout au long des 37 audiences, égrainées durant 8 semaines, a présidé le procès France Télécom devant la cour d'appel de Paris. Désormais, il revient à Pascaline Chamboncel-Saligue et à la cour de délibérer. La dernière audience s'est tenue vendredi 1er juillet 2022. Après les plaidoiries des parties civiles, puis les réquisitions du ministère public, c’était au tour de la défense d’exposer ses arguments, sur les quatre derniers jours.
« La relaxe, ce n’est pas un manque de respect à la souffrance », tente de suggérer Frédérique Baulieu, avocate de Louis-Pierre Wenès. Les avocats ont tous demandé la relaxe pour les six prévenus qui ont fait appel de la décision du tribunal correctionnel de décembre 2019 – Didier Lombard (ex-PDG) et Louis-Pierre Wenès (ex-numéro 2), ainsi que Brigitte Dumont, Nathalie Boulanger, Guy-Patrick Cherouvrier et Jacques Moulin. Quelques jours plus tôt, les avocats généraux demandaient au contraire à la cour de confirmer les condamnations de 1ère instance. Ils estiment que les prévenus ont tous conçu et mis en œuvre une « stratégie industrielle raisonnée de harcèlement moral ».
« Ce harcèlement industriel dont nous parle le ministère public, je le qualifierais plutôt d’évanescent », démonte Sylvain Cormon, conseil de l’ex-numéro 2. Il n’est selon lui pas possible de reconstituer la « chaîne de harcèlement » qui permettrait d’inculper, puisque les prévenus n’étaient pas en contact direct avec les victimes. Trente-neuf cas sont versés au dossier, dont 19 suicides, et 12 tentatives. En 2019, le tribunal a décidé de la culpabilité des ex-dirigeants au titre de l'article 222-33-2 du code pénal tel qu'en vigueur au moment des faits. Or, pour la défense, le texte ne prévoit tout simplement pas le harcèlement institutionnel. « Nous n’avons jamais défendu que le texte ne permet pas le harcèlement moral collectif, mais le harcèlement moral collectif, c’est une personne qui harcèle, en lien direct, plusieurs autres personnes. Et ce n’est pas le HM institutionnel », plaide François Esclatine, avocat de Didier Lombard.
Frédérique Baulieu en veut pour preuve la faiblesse des peines prévues alors par la loi : au maximum un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende – des peines doublées depuis. Cela aurait mis dans l'embarras l’avocat général, contraint d'expliquer qu'il ne peut requérir autre chose que la peine maximale. « Si le législateur avait voulu ce qui est aujourd'hui soumis à la cour, il aurait prévu des peines plus importantes, argumente-elle. C'est un signe d'inadéquation entre ce qui est poursuivi et le texte de loi. »
« Donnez-nous les moyens des luttes à venir, vous demandent les syndicats. […] On vous demande de faire de la politique, et vous ne pouvez pas, vous devez faire du droit », réclame François Esclatine. Défendant aussi l'ancien PDG, Jean Veil prédit d’ailleurs de nombreuses affaires embarrassantes devant les tribunaux, si le jugement de 1ère instance était confirmé : « Vous allez vous retrouver, résultant de notre jurisprudence, avec tous les fabricants automobiles, les responsables de l’énergie, la SNCF, etc ».
Condamner pour harcèlement moral institutionnel revient à opérer, un « revirement de jurisprudence rétroactif », estime Alexis Gublin, avocat de Nathalie Boulanger. Il suggère une solution aux magistrats. Selon lui, la cour peut déclarer dans les « attendus » de sa décision qu’il y a bien eu du harcèlement moral institutionnel à France Télécom à cette période, « en en précisant les critères ». Et surtout, « en disant que cela ne s'appliquera que pour le futur ».
Comme il y a 3 ans, Jean Veil a plaidé la faute de l’État, qui aurait une « responsabilité majeure » dans la situation de France Télécom à la fin des années 2000, et qui aurait pu agir, en tant qu’« actionnaire de contrôle » mais aussi parce que « c’était le seul qui pouvait jouer, par exemple, sur les CFC (congés de fin de carrière) ». « La souffrance au travail, je ne la nie pas ; je dis qu’il n’en est pas responsable. Didier Lombard est prisonnier de cette affaire », tranche son avocat. « Les gens étaient déstabilisés par la privatisation. Il y a eu une souffrance, qui s’est potentialisée, agrégée. Et elle a explosé. C’est quelque chose qui vient de loin », estime Frédérique Baulieu, décrivant un « monstre juridique créé par l’État », avec des fonctionnaires et des salariés de droit privé.
Les prévenus auraient-ils dû faire davantage de prévention, dans ce cas ? Le harcèlement moral se caractérise, selon la loi par des « agissements répétés ». « Il doit s’agir d'actes positifs, pas d’omissions, pas d’abstention. Pas une simple absence de prévention », insiste Solange Doumic, plaidant pour Guy-Patrick Cherouvrier.
Tous les avocats ont tenté de démontrer cette absence d’« actes positifs ». Bérénice de Warren, conseil de Didier Lombard, estime que seuls « deux agissements » sont retenus contre son client : « l’annonce des 22.000 en février 2006 et l’Acsed en octobre ». « C’est simple : c’est hors période de prévention et c’est prescrit », tente-elle de statuer, disant qu’elle « pourrai[t] s’arrêter là ». La période de prévention, fixée par l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, va du 1er janvier 2007 à fin 2010. Elle vise à couvrir la période de forte dégradation des conditions de travail. Cette dégradation peut néanmoins, selon les magistrats instructeurs et comme l’ont aussi estimé les juges de première instance, s’expliquer par des faits antérieurs.
« Le plan Act n’a pas été mis en place ni mis en œuvre par Didier Lombard », déclare Bérénice de Warren, renvoyant la faute sur Olivier Barberot, ancien DRH groupe. Condamné lui aussi en première instance, il a renoncé à faire appel. « Seules certaines infos remontent au PDG », soutient François Esclatine, mettant en avant la « délégation de pouvoirs ». « On peut, peut-être, lui reprocher de ne pas s’être suffisamment intéressé aux RH – et je crois que lui-même le regrette, aujourd’hui, dit-il en se tournant vers Didier Lombard qui hoche la tête. Mais on est quand même devant un juge pénal, et ce désintérêt n’est pas un acte positif au sens pénal ».
L’ancien PDG, qui a aujourd’hui 80 ans, a pris la parole après ses avocats, pour « redire toute l’émotion qui [l’]a étreint devant le tribunal, et peut-être encore plus exacerbée devant la cour, en écoutant les témoignages ». Il s’est dit « marqué à vie ». Didier Lombard ajoute avoir « eu l’occasion d'entamer des discussions avec des parties civiles et des victimes », lors des suspensions d'audience. « J’ai eu le sentiment qu'il y avait de l'espoir, déclare-t-il, car plusieurs d'entre elles ont engagé un processus de reconstruction. » Louis-Pierre Wenès fait part de davantage d’amertume, ayant eu l’impression d’être pris dans des « enjeux politiques, de civilisation, de pouvoir » qui, dit-il, « vous empêchent de vous exprimer et c’est très difficilement supportable ».
« Les prévenus sont prévenus dans tous les sens du terme : maintenant, ils sont au moins sensibilisés aux risques psychosociaux », conclut la présidente Pascaline Chamboncel-Saligue. La lecture de la décision est annoncée pour le 30 septembre 2022.
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