Procès France Télécom : peines maximales requises par le parquet pour des "chauffards du travail"

Procès France Télécom : peines maximales requises par le parquet pour des "chauffards du travail"

08.07.2019

HSE

À l’issue d’un réquisitoire de plus de cinq heures présenté vendredi, les deux représentantes du parquet de Paris ont demandé au tribunal de prononcer le maximum des peines pour harcèlement moral à l’encontre des anciens dirigeants de France Télécom. Soulignant la stratégie "délibérée" au plus haut niveau de "déstabilisation" des collaborateurs, elles ont estimé que la responsabilité personnelle des prévenus est engagée.

"Quel dommage, Didier Lombard, qu’un esprit organisé comme le vôtre ait été mis au service d’un seul impératif économique au point de vous rendre sourd et aveugle. Quel dommage que, quoi qu’il arrive, vous ayez réponse à tout, au point d’éprouver de la tristesse mais pas de regret". C’est par ces mots que la procureure a donné le ton d’un réquisitoire accablant dans ce procès inédit de hauts dirigeants d’une grande entreprise jugés pour le délit de harcèlement moral.

"Il est incontestable qu’en programmant ces restructurations, la suppression de 22 000 postes et 10 000 mobilités, les dirigeants de France Télécom ont conscience qu’ils déstabilisent les salariés et dégradent leurs conditions de travail", a-t-elle continué. "Vous allez même plus loin, vous recherchez cette déstabilisation, vous la baptisez déstabilisation positive", a poursuivi Françoise Benezech en se tournant vers le banc des sept prévenus. 39 personnes salariés et agents de France Télécom, dont 19 se sont donné la mort, ont été retenues par l’instruction comme victimes de la stratégie mise en place par l’entreprise.  

 

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Des peines modestes prévues par la loi

À l’issue d’un réquisitoire à deux voix de plus de 5 heures dans la salle Victor Hugo du tribunal correctionnel de Paris, la procureure Brigitte Pesquié a requis 75 000 euros d’amende pour France Télécom, un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende contre l’ancien PDG Didier Lombard, l’ancien numéro 2 ex-directeur des opérations France Louis-Pierre Wenès, et l’ex-DRH Olivier Barberot. Contre les quatre responsables jugés pour "complicité" du délit de harcèlement moral, Nathalie Boulanger-Depommier, Jacques Moulin, Guy-Patrick Cherouvrier et Brigitte Dumont, le parquet a requis huit mois d'emprisonnement et 10.000 euros d'amende.

"Le tribunal va juger des personnes qui se comportent comme des chauffards du travail. Je n’ai pas trouvé de circonstances atténuantes, mais au contraire des circonstances aggravantes. C’est le dossier le plus grave de harcèlement moral que j’ai pu voir. Les peines prévues par la loi sont très faibles, il vous faut prononcer la peine maximale", a insisté la représentante du parquet de Paris. Brigitte Pesquié a également souhaité la publication des passages significatifs de la décision du tribunal afin que "les phrases des juges puissent rester dans la tête de tous".

 

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Responsabilité personnelle des dirigeants

Tout au long du procès débuté le 6 mai, les ex-dirigeants de France Télécom ont tenté de se dégager de toute responsabilité dans la vague de suicides et de dépressions qui a frappé les collaborateurs de l’entreprise. Pour eux, les départs programmés devaient être "naturels" ou "volontaires". Mais pour le parquet, les dirigeants ont bel et bien orchestré une "stratégie délibérée" visant à faire partir les salariés en dégradant leurs conditions de travail : mises sous pression permanente, mobilités imposés et éloignements du domicile, injonctions contradictoires, suppressions de postes, dispositifs d’incitation au départ, managers formés pour faire partir les collaborateurs…  "C’est trop facile 13 ans plus tard de refaire l’histoire car la vérité vous dérange. À quoi ça sert d’être un chef si vous n’assumez rien ?", a questionné à l’adresse des prévenus Françoise Benezech.

Rappelant les mots du psychiatre Christophe Dejours qui avait évoqué lors de son audition "la banalisation du mal", la procureure a souligné que cette "obsession" du départ en trois ans de 22.000 salariés et de mobilité de 10.000 personnes était devenue le "cœur du métier" des prévenus. Programmée dans une logique purement financière selon les mots de Françoise Benezech cette restructuration avait surtout pour objectif de "rassurer les actionnaires" en augmentant leurs dividendes. "Les dirigeants de France Télécom et leur quatre zélés complices peuvent qualifier leurs agissements ainsi, 'le harcèlement moral est mon métier'", a tranché la représentante du parquet à l’issue de son réquisitoire.

À la sortie de la salle d’audience, l'avocat de la défense Patrick Maisonneuve a déclaré sans surprise qu’il était en désaccord total avec les conclusions du parquet. "Encore faut-il que l’on puisse retenir une responsabilité pénale personnelle dans les agissements personnels des uns et des autres. Les procureures ont fait l’impasse sur cette démonstration-là", a-t-il estimé.

 

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Soulagement des parties civiles malgré la faiblesse des peines requises

Jean Perrin, frère de Robert Perrin suicidé en 2008

" 'Le harcèlement est votre métier', cela fait du bien d’entendre ces mots d’une procureure. Le parquet a mis les dirigeants de France Télécom face à leurs responsabilités alors que ceux-ci sont dans le déni depuis le début du procès. Ils ont choisi de tout donner aux actionnaires au détriment de la santé des agents qui aimaient leur métier".

Béatrice Pannier, agent France Télécom, victime 

"Les peines maximales demandées sont modestes, les dirigeants n’iront pas en prison, c’est dommage. Une amende de 75 000 euros ne représente rien pour une entreprise comme France Télécom. Je crains que ce procès n’arrête pas les entreprises qui continuent de manœuvrer de cette manière. J’attends avec impatience le verdict final, j’ai besoin de tourner la page et de me reconstruire après toutes ces années de souffrance".

Noël Rich, agent France Télécom et victime

"La procureure a démontré avec une précision chirurgicale l’existence d’un système organisé et institutionnalisé de harcèlement. Les lâches, ce ne sont pas ceux qui se sont suicidés, ce sont les prévenus. Il est intolérable que le mal-être et les suicides des agents n’aient pas pu les émouvoir".

Sylvie Topaloff, avocate de Sud PTT

"Avec ces réquisitions, nous avons eu une démonstration implacable d’une politique de déstabilisation conçue au plus haut niveau. Les peines requises sont maximales mais restent sans commune mesure avec les souffrances vécues par les agents".

 

 

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Joëlle Maraschin
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