Procès France Télécom : "On a mis les gens dans la nasse pour les faire partir"

Procès France Télécom : "On a mis les gens dans la nasse pour les faire partir"

23.05.2022

HSE

À la barre, difficile pour les parties civiles du procès France Télécom de dépasser le ressenti et les impressions générales pour dire le harcèlement moral caractérisé.

“Le changement de comportement des managers, ce n’est pas une infraction pénale. Là, nous sommes dans une qualification de harcèlement moral [...] Comment en avez-vous senti un préjudice ? En quoi est-il caractérisé ?”. Ce recadrage de Pascaline Chamboncel-Saligue résume bien l’audience du 20 mai 2022 du procès dit des suicides de France Télécom. La présidente n’a eu cesse de réclamer des éléments constitutifs de harcèlement moral aux syndicalistes parties civiles.

C’est bien de cela que sont accusés les anciens dirigeants de France Télécom. On leur reproche d’avoir poussé à bout des salariés pour les inciter à quitter l’entreprise. Condamnés (comme auteurs des faits ou complicité) en 2019, ils ont tous fait appel, hormis l’ancien DRH groupe qui s’est désisté. Ce second procès a débuté le 11 mai et se clôturera début juillet.

 

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Mais difficile pour les syndicalistes appelés à la barre de ne pas évoquer le contexte et l’ambiance générale à l’époque des faits. Alors que l’entreprise venait d’être privatisée et mise en concurrence, les salariés “voulaient faire de la qualité et on leur demandait de faire de la quantité”, raconte par exemple Pierre Vars, secrétaire général de l’Unsa France Télécom. Selon lui, les dispositifs de départ et de mobilité ne correspondaient pas aux besoins, n’étaient pas suffisants. Par exemple : “Quand vous quittez une entreprise, vous partez ailleurs mais mieux payé. En Corrèze c’est impossible, il n’y a pas d’autres opérateurs. Si vous n'avez pas de raison de partir, il faut donc qu’on vous y pousse”.

Alors, “On nous disait qu’on coûtait cher”, “Le discours était : si ça ne te va pas casse-toi”, rapporte-t-il. Il évoque les réunions d’équipe, auparavant hebdomadaires pour faire remonter les besoins qui deviennent quotidiennes et ont pour but de “mettre sous pression” les salariés. “Est-ce que je suis vraiment volontaire [la défense parle de départs volontaires, ndlr] quand on ne me donne plus de boulot, que mon poste est supprimé et que je n’ai plus rien à faire ? C’est bien caractéristique de harcèlement moral”, dénonce également Isabel Lejeune-Tô, déléguée syndicale CFDT, lors d’un passage très calme et clair à la barre. “Quand nous interpellions les N+2 du comportement des N+1, on nous disait que c’était normal, qu’on n’était pas chez les bisounours”, se rappelle Pierre Vars.

“Cela m’a pourri la vie”

Selon Patrick Ackermann, ancien délégué syndical central Sud, dès lors que l’annonce des 22 000 départs est faite : “On est face à une équipe qui a mis en place une machine bien huilée qui, du sommet au cadre de proximité, a mis les gens dans la nasse pour les faire partir pour des licenciements boursiers”. Et la présidente de rappeler que la mise en place d’objectifs chiffrés, tout comme des problèmes de relations individuelles, ne sont pas “suffisants” ici. Le procès doit permettre de savoir s’il y a eu harcèlement moral, basé sur une politique d’entreprise, ou “juste” l’exercice normal d’un pouvoir de direction.

Lors de sa très longue audition, le désormais retraité a tenté de démontrer que la direction était au courant des méfaits de sa politique sur la santé mentale de ses salariés, que lui-même l’avait alertée. D’ailleurs, “je vous ai rencontré” dit-il à l’adresse de Didier Lombard, ex-PDG. “Ne vous retournez pas vers les prévenus”, demande la présidente de la cour à Patrick Ackermann. Quand il est à la barre, le premier à avoir porté plainte, s’adresse régulièrement aux ex-dirigeants, se tourne parfois vers eux, les interpelle. Entrecoupé de trémolos, il témoigne : “J’ai fait ce que vous n’avez pas fait : le geste élémentaire de téléphoner aux familles de victimes”.

Les parties civiles doivent montrer en quoi elles ont été victimes à titre personnel (même s’il s’agit d’un syndicat en tant que personne morale), ce que leur demande systématiquement Pascaline Chamboncel-Saligue. Patrick Ackermann évoque Anne-Marie, déléguée syndicale qui reçoit un appel de Jean-Michel Laurent quelques minutes avant qu’il ne se jette sous un train. SUD et la CFE-CGC mettent en place l’observatoire des suicides et des mobilités forcées. A chaque suicide une expertise CHSCT est demandée. “Il y en avait tous les mois, cela nous prenait un temps fou. Cela m’a pourri ma vie”. Il raconte avoir dû “gérer à la fois des salariés en grande détresse et des militants à ramasser à la petite cuillère”. “Nous sommes syndicalistes, pas psychologues. Nous ne sommes pas armés. On sentait bien les limites de nos capacités à agir. Nous étions impuissants”, abonde Isabel Lejeune-Tô.

 

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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