Projet de loi Travail : le risque d'un fort contentieux sur l'interprétation des accords collectifs

Projet de loi Travail : le risque d'un fort contentieux sur l'interprétation des accords collectifs

12.04.2016

Convention collective

Le président de la chambre sociale de la Cour de cassation, Jean-Yves Frouin, s'exprimait jeudi devant les journalistes sociaux (Ajis) ; il craint que le développement de la négociation d'entreprise prévu par le projet de loi Travail ne s'accompagne d'une hausse des contentieux sur l'interprétation des accords collectifs. Il formule plusieurs pistes pour lever ce risque.

L'objectif premier du projet de loi port�� par Myriam El Khomri est de développer davantage la négociation d'entreprise, en matière de durée du travail dans un premier temps. Mais plus de souplesse rime-t-il avec plus de sécurité juridique ? Pas forcément. Le contentieux sur les accords collectifs de travail est important, et les juges butent souvent sur l'interprétation des normes conventionnelles.

La délicate interprétation des accords collectifs

C'est ce qu'a déploré Jean-Yves Frouin, le président de la chambre sociale de la Cour de cassation, lors d'une rencontre organisée par l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis). "Ce qui nous pose problème, à la chambre sociale, c'est l'interprétation des accords collectifs. La rédaction des accords est parfois ambiguë". Or, comme il le souligne, les enjeux sont d'autant plus importants aujourd'hui qu'il y a "beaucoup d'accords donnant-donnant qui ne donnent pas forcément que des avantages supplémentaires aux salariés".

Un exposé des motifs obligatoire

Afin de remédier à cette situation, Jean-Yves Frouin avait formulé deux propositions, préalablement à l'élaboration du texte. La première, que les accords collectifs contiennent un exposé des motifs. Si le projet de loi Travail prévoit que les accords collectifs devront comprendre un préambule, Jean-Yves Frouin déplore que ce préambule ne soit pas obligatoire. L'article L.2222-3-3 du code du travail, tel qu'il est rédigé dans le projet de loi El Khomri, prévoit que "la convention ou l’accord contient un préambule présentant de manière succincte ses objectifs et son contenu". Toutefois poursuit le texte, "l’absence de préambule n’est pas de nature à entraîner la nullité de la convention ou de l’accord".

► Notons toutefois que dans un cas au moins, le préambule devrait être obligatoire. En effet, s'agissant des accords de préservation et de développement de l'emploi, un amendement adopté en commission des affaires sociales prévoit que l'accord devra comporter obligatoirement un préambule afin de clarifier pour les salariés les objectifs poursuivis par l'accord. A défaut l'accord sera nul.

Une interprétation paritaire qui lie le juge

La seconde piste que le président de la chambre sociale avait suggérée est la mise en place d'une procédure d'interprétation par les partenaires sociaux. Ces derniers seraient tenus de la respecter et l'interprétation lierait le juge en cas de contentieux. Ces recommandations n'ont pour l'heure pas été suivies d'effet, ce qui fait redouter au président de la chambre sociale de la Cour de cassation que la hausse du nombre des accords collectifs s'accompagne d'un contentieux plus nourri. "Je crains que le volume du contentieux des accords collectifs se démultiplie avec le transfert de l'élaboration des normes aux partenaires sociaux et que la chambre sociale rencontre des difficultés en nombre sur le contentieux de l'interprétation".

Les pistes inexploitées du rapport Combrexelle

Pourtant le rapport Combrexelle était plus ambitieux sur le sujet. La proposition 14 du rapport visait à exiger que les signataires de l'accord établissent un document expliquant l’économie générale de l’accord et définissant les modalités d’interprétation de l’accord, même si l'actuel président de la section sociale du Conseil d'Etat reconnaissait "qu'une part d’ambiguïté dans la rédaction permet parfois d’aboutir à des signatures d’accords". L'interprétation aurait une valeur identique à celle de l’accord "qui s’imposerait au juge sous réserve de l’ordre public", suggérait-il.

Un pas a pourtant été fait en direction des juridictions du fond avec la loi Macron. Les juridictions de l'ordre judiciaires peuvent désormais solliciter l’avis de la Cour de cassation avant de statuer sur l’interprétation d’une convention ou d’un accord collectif qui présente une difficulté sérieuse et qui se pose dans de nombreux litiges". Un progrès pour l'harmonisation de la jurisprudence mais qui ne règle certes pas le travail d'interprétation de la Haute cour.

 
Respecter l'intention des signataires

En filigrane, dans les préconisations de Jean-Yves Frouin, se profile la volonté des juges de respecter l'autonomie des partenaires sociaux. Sans doute une des leçons tirées des réactions suscitées après la publication de l'arrêt du 1er juillet 2009 sur les avantages catégoriels. La Cour de cassation avait décidé que "la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'une avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage". Avec cet arrêt, c'est l'ensemble des avantages conventionnels catégoriels qui étaient sur la sellette. Le 8 juin 2011, la chambre sociale atténuait sa solution. Un revirement qu'elle a approfondi  dans un arrêt du 27 janvier 2015. Les avantages catégoriels institués par conventions ou accords collectifs sont désormais présumés justifiés. Il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'ils sont étrangers à toute considération de nature professionnelle.

Les recommandations de Jean-Yves Frouin permettraient sans nul doute de garantir davantage l'intention des signataires, parfois mal traduite dans la lettre de l'accord.

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Florence Mehrez
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