Projet de loi Travail : priorité aux accords d'entreprise... sauf accord de groupe !

Projet de loi Travail : priorité aux accords d'entreprise... sauf accord de groupe !

26.05.2016

Convention collective

Le ministère du travail insiste sur la priorité donnée à la négociation d'entreprise dans une logique de "proximité". Pourtant, dans les groupes, c'est un autre choix qui a été fait. En cas de conclusion d'un accord de groupe, ses dispositions pourront ainsi se substituer à celles des accords d'entreprises existants et à venir.

La part belle faite aux accords d'entreprise dans le projet de loi Travail est au coeur des débats. Inversion de la hiérarchie des normes dénoncée par certains, simple poursuite des réformes précédentes pour d'autres. Quelle que soit l'analyse, le gouvernement ne cesse de le répéter, l'objectif est de développer une logique "de proximité" et de conclure des accords au plus près des collectifs de travail. Le texte comporte pourtant des dispositions qui permettraient aux groupes de contourner cette logique.

Les négociations obligatoires pourront être engagées au niveau du groupe

Le projet de loi Travail prévoit que l’ensemble des négociations prévues par le code du travail au niveau de l’entreprise pourraient être engagées et conclues au niveau du groupe. A défaut d'accord, le fait d’avoir engagé des négociations au niveau du groupe ne dispenserait pas les entreprises appartenant à ce groupe d'engager les négociations obligatoires (rémunération, temps de travail, partage de la valeur ajoutée, égalité professionnelle et qualité de vie au travail et GPEC). Un accord pourrait par ailleurs être négocié et conclu au niveau de plusieurs entreprises avec les organisations syndicales représentatives à l’échelle de l’ensemble des entreprises concernées (accords inter-entreprises).

Les dispositions de l'accord de groupe se substitueront à celles des accords de niveau inférieur

La seconde mesure - de taille - est la capacité donnée aux accords de groupe de prévoir expressément que ses stipulations se substitueront à celles ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement ou postérieurement dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord.

L'article L. 2253-5 tel que modifié par le projet de loi El Khomri dispose : "Lorsqu'un accord conclu dans tout ou partie d'un groupe le prévoit expressément, ses stipulations se substituent aux stipulations ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement ou postérieurement dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord".

Une même articulation serait possible pour les accords conclus au niveau de l’entreprise à l'égard des accords des d'établissements compris dans le périmètre de cet accord.

L'article L. 2253-6 tel que modifié par le projet de loi El Khomri dispose : "Lorsqu'un accord conclu au niveau de l'entreprise le prévoit expressément, ses stipulations se substituent aux stipulations ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement ou postérieurement dans les établissements compris dans le périmètre de cet accord".

Enfin, des accords inter-entreprises pourraient décider que leurs stipulations se substituent à celles des accords conclus antérieurement ou postérieurement dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord, et ayant le même objet.

Le nouvel article L. 2253-7 prévu par le projet de loi El Khomri dispose : "Lorsqu'un accord conclu au niveau de plusieurs entreprises le prévoit expressément, ses stipulations se substituent aux stipulations ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement ou postérieurement dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord".

► Ce nouveau régime s’appliquerait uniquement aux accords de groupe négociés après l’entrée en vigueur de la loi. Cependant, les stipulations de ces accords prévaudront bien sur celles des accords d’entreprise ou d’établissement, antérieurs ou postérieurs à cette loi.

Objectif : renforcer la place des accords de groupe

Le but du gouvernement - comme l'explique l'étude d'impact du projet de loi - est de consolider et de renforcer la négociation de groupe. "La négociation au niveau du groupe s’est développée progressivement mais reste encore en retrait. [Les accords de groupe] sont toutefois passés de 440 en 2010 à 781 en 2014". Une faiblesse que le gouvernement explique par un encadrement a minima des accords de groupe. "Le droit ne prévoit pas l’articulation des accords de groupe avec les autres niveaux de négociation et ne précise pas comment la conclusion d’accords au niveau du groupe peut permettre aux entreprises de remplir leurs obligations de négocier. Il en résulte une incertitude qui entrave le dynamisme de la négociation à ce niveau et peut expliquer le faible nombre d’accords comparé au nombre de groupe existants en France".

Des mesures qui soulèvent un certain nombre de difficultés

Ces nouvelles mesures ne sont pas sans soulever un certain nombre de difficultés, dont certaines sont évoquées par Dirk Baugard, professeur de droit à l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis.

"Les accords de groupe le prévoyant expressément se substitueraient à tous les accords d’entreprise et d’établissement compris dans leur champ d’application, même plus favorables, et ayant le même objet ; si l’on comprend bien le texte, seraient ainsi concrètement neutralisées des négociations sur les mêmes thèmes à ces niveaux (entreprise et établissement) pour le futur, puisque les accords qui seraient éventuellement conclus s’inclineraient devant l’accord de groupe, quel que soit son contenu. Ce possible "blocage" de la négociation à ces niveaux et pour ces objets ne devrait pas poser de grands problèmes du côté "employeur", sauf désaccord possible entre l’employeur de l’entreprise dominante et d’autres employeurs du groupe concernés par l’accord quand c’est le premier qui négocie et conclut, mode envisagé par l’article L. 2232-31 du code du travail. Il ôte toutefois une marge de flexibilité aux employeurs ou chefs d’établissement concernés par l’accord qui voudraient s’adapter à une situation économique postérieurement déclinante en concluant à leur propre niveau des stipulations conventionnelles moins avantageuses que celles de l’accord de groupe. S’agissant des organisations syndicales, le dispositif envisagé est plus problématique. Il pourrait concrètement priver certains syndicats d’un accès réel à la négociation collective sur les sujets abordés par cet accord de groupe. Particulièrement, des syndicats peuvent être représentatifs dans une entreprise ou un établissement concernés et ne pas être représentatifs au niveau du champ d’application de l’accord de groupe (article L. 2122-4 du code du travail) ; dans un tel cas, ils n’auront même pas pu négocier l’accord à ce niveau et, en cas de stipulation de "blocage", ils ne pourront plus rien espérer de la négociation collective sur les sujets en cause dans le cadre où ils sont représentatifs".

Avec le principe de substitution d’un niveau à l’autre, c'est tout un ensemble de thèmes définis par l’accord de groupe de négociation qui pourraient ainsi être fermés à la négociation d'entreprise. "Quid, alors, de l’intérêt de la NAO dans les entreprises ? Y aura-t-il un déplacement de cette négociation obligatoire au niveau du groupe, comme semble l’admettre l’article L. 2232-33 projeté ?", s'interroge Dirk Baugard.

Ces dispositions pourraient se heurter à un certain nombre de principes, met en garde le professeur de droit : "le droit de mener des négociations collectives, analysé par la CEDH en 2008 comme un élément essentiel de la liberté syndicale ; la liberté contractuelle reconnue par le Conseil constitutionnel, avec l’inefficacité d’accords collectifs auxquels se substitueraient des accords de groupe conclus par d’autres co-contractants syndicaux.  Elles remettent partiellement en cause, en outre, la notion même d’établissement distinct en envisageant l’impossibilité d’adapter le statut collectif d’entreprise aux diverses communautés de travailleurs la composant par le biais d’accords d’établissement".

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Florence Mehrez
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