Quelle prévention contre l'amiante naturel présent dans les granulats ?

Quelle prévention contre l'amiante naturel présent dans les granulats ?

07.07.2016

HSE

Depuis 2012, le rep��rage avant travaux est obligatoire pour détecter l'amiante industriel. Il a montré que les granulats utilisés pour fabriquer routes et bâtiments contiennent eux aussi de l'amiante naturel. Or on le connaît encore mal et la réglementation l'ignore.

Faudra-t-il bientôt classer "amiante" tous les chantiers routiers de France et de Navarre ? Depuis la parution du décret du 4 mai 2012 sur les risques d'exposition à l'amiante, il est obligatoire de procéder à des repérages avant travaux, y compris sur les enrobés routiers. Ces repérages ont mis en évidence la présence d’amiante industriel dans lesdits enrobés, et l’on s’y attendait. En revanche, on s’attendait moins à ce que les tests révèlent la présence d’amiante naturel, notamment de l’actinolite (voir encadré). Sollicité par des travaux de fraisage par exemple, cet amiante-là peut émettre des fragments de clivage potentiellement aussi nocifs que les fibres d’amiante industriel bien connues. Malgré les inquiétudes suscitées par cette découverte, les fragments de clivage ne sont toujours pas pris en compte par la réglementation. En attendant, comment prévenir le risque ?

Silice et amiante naturelle : "Même combat"

"Avec les fragments de clivage, c’est le même combat que contre la silice cristalline", répond Anita Romero-Hariot, spécialiste de l’amiante à l’INRS. La silice, comme l’actinolite non asbestiforme, se retrouve dans les granulats utilisés dans les enrobés routiers. "Si l’on prend bien en compte le risque silice – qui est le risque premier – on a résolu 90 % du problème", affirme-t-elle. Cela veut dire mettre en œuvre les moyens de prévention collective et individuelle permettant d’abaisser au maximum les niveaux d’empoussièrement, et mettre à la disposition des travailleurs les EPI adaptés. Guillaume Boulanger, de l'unité d'évaluation des risques liés à l'air de l’Anses nuance : "Les dispositifs de prévention de l’exposition aux particules d’amiante permettent également de limiter l'exposition à la silice cristalline et vice versa, il faut juste bien s’assurer qu’ils soient engagés sur tous les secteurs." Car les fragments de clivage d’actinolite non asbestiforme sont présents non seulement dans les enrobés routiers, mais aussi dans les remblais, les ballasts… "Dans tous les travaux publics", résume Anita Romero-Hariot.

Des "fragments de clivage ?"

Plusieurs minéraux sont désignés sous le terme d’amiante dans la réglementation. Sous leur forme "asbestiforme", ils dégagent des fibres amiantifères cancérogènes :

  • le chrysotile (le plus fréquemment utilisé pour produire de l'amiante "industriel") ;
  • l’actinolite-amiante ;
  • la crocidolite ;
  • la trémolite-amiante ;
  • l’amosite ;
  • l’antophyllite-amiante.

Ces minéraux existent aussi sous une forme "non asbestiforme" (ce qui leur confère parfois un autre nom). Depuis 2012 et les tests de repérage avant travaux, on sait qu’en cas d’érosion, cette forme de minéraux peut elle aussi émettre des particules ayant la même composition chimique et  la même taille que les fibres d’amiante dégagées par les minéraux à forme asbestiforme. Sont-elles aussi cancérigènes ? On les désigne par l’expression "fragments de clivage". Ils concerneraient surtout l’actinolite.

 

Appliquer les mêmes précautions qu’avec l’amiante industrielle

Quel que soit le type de chantier concerné, la DGT (direction générale du travail) recommande de son côté d’observer les mêmes précautions avec l’amiante naturelle qu’avec l’amiante industrielle. Les mesures de prévention ressemblent à celles utilisées pour parer au risque silice. Le recours à une entreprise certifiée et la formation des salariés sont préconisés en plus de l’abaissement des niveaux d’empoussièrement et de la fourniture d’EPI. Mais pas obligatoires. L’Anses, qui a rendu à son tour des recommandations fin 2015 suite à une saisine des pouvoirs publics – un an après la note de la DGT – va plus loin. Pour l’agence, les préconisations de la réglementation amiante doivent s’appliquer aux fragments de clivage d’actinolite non asbestiformes qui ont la même taille que les fibres d’amiante classiques et cancérigènes. Pour l’évaluation des risques, la DGT et l’Anses renvoient de concert les employeurs au guide sur les travaux en terrains amiantifères réalisés par l’INRS en 2013. De son côté, Anita Romero-Hariot rappelle aussi que le donneur d’ordre a le devoir de signaler la présence d’amiante non asbestiforme, "car cela représente un risque".

Des incertitudes sur le risque mais…

Quel risque, exactement ? L’Anses a recensé les quelques rares études qui se penchent sur les expositions humaines aux minéraux non asbestiformes tel l’actinolite. L’une d’entre elles montre que les travailleurs exposés développent des mésothéliomes. Mais dans la mesure où ils sont aussi souvent exposés à de l’amiante industriel, il est difficile de savoir à quel type d’amiante leur maladie est imputable. Une autre fait plus formellement le lien entre cancer et exposition aux fragments de clivage, mais chez le rat… Pour Guillaume Boulanger, si aucune certitude n’est possible, "il y a quand même un faisceau d’indices qui indiquent que les fragments de clivage pourraient induire des effets" sur la santé. "En tout cas, ils nous amènent à ne pas exclure un risque". D’autant que fibres d’amiante et fragments de clivage ont la même composition chimique, et parfois les mêmes dimensions. "Par analogie, on peut s’attendre à ce que les effets sur la santé soient les mêmes". Pas pire ni moins pire donc.

Mesurer l'exposition des travailleurs

La question de la distinction était celle posée par les pouvoirs publics lors de la première saisine de l’Anses. Aujourd’hui, l’agence travaille sur de nouvelles préconisations, qui devraient être connues "au premier trimestre 2017", d’après Guillaume Boulanger. Cette fois, les scientifiques planchent sur "le protocole d'une campagne de mesures" permettant d'évaluer "l’exposition des travailleurs et de la population générale". Quelles sont les filières concernées par l’utilisation de granulats contenant des particules d’amiante naturel ? Les matériaux construits à partir de ces granulats émettent ils des particules d’amiante lorsqu’ils sont sollicités pendant des travaux par exemple ? Quels sont les travailleurs potentiellement exposés et à quels niveaux ? "On a encore peu de données", reconnaît le spécialiste. Pour en récolter, il faut des méthodes de mesurage utilisables sur le terrain. Pas évident, explique Anita Romero Hariot : "On sait très bien échantillonner l’empoussièrement en intérieur, mais en milieu extérieur, la méthodologie change beaucoup. Aujourd’hui, on ne sait pas comment faire…" En attendant, les laboratoires risquent de continuer, pour certains à signaler les fragments de clivage qu’ils auront trouvé, d’autres non. "Il faut aspirer à une traçabilité", insiste l’experte de l’INRS. L’enjeu est important : les granulats sont aussi fréquemment recyclés et réutilisés signale Anita Romero-Hariot. "Dans ces cas là, le repérage des fragments devient vraiment très difficile, ils sont dispatchés partout…"

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Claire Branchereau
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