Réforme de la santé au travail : qu'attend le gouvernement des partenaires sociaux ?

Réforme de la santé au travail : qu'attend le gouvernement des partenaires sociaux ?

16.06.2020

HSE

La première réunion de la négociation interprofessionnelle sur la santé au travail a eu lieu hier. Finalement, le gouvernement a envoyé le document d'orientation pour ces discussions qu'il souhaite voir aboutir en fin d'année. Les demandes sont précises et nombreuses. Cela va de la définition d'une "offre-socle" pour les SSTI à la "force normative" des guides sectoriels, en passant par la rénovation de l'évaluation des risques, ou encore la prévention du risque d'exposition aux CMR. Décryptage.

Plus question de l'attendre ; après tout, ils pouvaient bien se débrouiller sans, clamaient plusieurs des partenaires sociaux en fin de semaine dernière à propos du document d'orientation du gouvernement – prévu par le code du travail, lorsque l'exécutif entend mener une réforme telle que celle sur la santé au travail et que s'ouvre une négociation interprofessionnelle. Depuis des mois qu'elle est soit-disant dans les tuyaux, la lettre est finalement arrivée samedi, à l'avant-veille de la première réunion de négociation interprofessionnelle qui a eu lieu comme prévu en fin d'après-midi, lundi 15 juin.

Le document que nous avons pu consulter fait 8 pages. Le gouvernement y demande une négociation sur un champ large – du développement de la culture de prévention à la qualité de vie au travail, en passant notamment par la réforme de la gouvernance de la santé au travail –, mais avec des éléments qui semblent déjà bien précis. Il attend "la finalisation de cette négociation" pour la fin de l'année 2020.

Objectifs ? Ils sont "clairement identifiés", écrit la lettre. Pour "amélior[er] la prévention au bénéfice des employeurs et des salariés", il s'agira d'"accompagner plus efficacement les entreprises […] pour qu'elles adoptent des mesures de prévention aux risques qui leur sont propres" et "d'améliorer l'efficacité de la gouvernance de la santé au travail". Au passage, dès ce préambule, le gouvernement souligne que "les entreprises qui mettent en place de bonne foi les mesures de prévention […] doivent être protégées".

Offre-socle pour les SSTI

La réorganisation de la gouvernance de la santé au travail est, depuis le rapport Lecocq-Dupuis-Forest de l'été 2018, un des points les plus sensibles des discussions, et a donné lieu à de nombreuses manœuvres, tant du côté des services de santé au travail interentreprises, que d'institutions publiques telles que la branche AT-MP de l'assurance-maladie ou l'INRS, personne ne voulant se retrouver sous le même toit.

Pour les SSTI, le Medef – qui a pris la main depuis novembre pour organiser la négociation – a à nouveau posé sa ligne rouge il y a quelques jours, Geoffroy Roux de Bézieux tonnant que "le France Santé-travail de Charlotte Lecocq, le Medef n'en veut pas".

Ainsi la messe semble-t-elle à peu près dite sur ce point : le document d'orientation demande essentiellement que la "rénovation de l'organisation des SSTI" passe par la "définition de normes de qualité" et d'une "offre-socle". Soit très exactement ce que défend Présanse (association qui rassemble la majorité des SSTI) ; avec un cahier des charges de l'offre de services des SSTI prêt à être dégainé.

Le gouvernement veut que l'offre de services s'appuie sur "des acteurs institutionnels rénovés dans leur structuration, leur fonctionnement, et leur implantation territoriale". Mais pour cela, un "mouvement de rationnalisation" suffira. Cela tombe bien, les fusions des SSTI se sont accélérées ces derniers mois : le Medef indique ainsi que fin 2019, une quarantaine de conseils d'administration de services avaient acté un rapprochement. La lettre ne ferme cependant pas tout à fait la porte à la possibilité d'aller plus loin, renvoyant au tout récent rapport de l'Igas.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Les partenaires sociaux sont cependant invités à revoir les missions des SSTI pour "définir le contenu de ce socle", notamment sur "l'accompagnement et l'appui" que les services de santé doivent apporter aux entreprises pour élaborer et mettre en œuvre leur politique de prévention, ainsi que pour la "prévention de l'inaptitude et de la désinsertion professionnelle". Sur ce point, un "suivi individualisé des salariés et des entreprises concernées" est évoqué.

Surprise, le gouvernement ouvre la possibilité de "réinterrog[er]" les modalités du suivi individuel de l'état de santé des salariés – qui ont fait l'objet d'une importante réforme entrée en vigueur en 2017. Ceci afin de tenir compte de la pénurie de médecins du travail, mais aussi pour "favoriser une meilleure articulation avec le médecin traitant". Une brèche a été ouverte l'an dernier, sous la forme d'une expérimentation concernant les apprentis.

Quid de l'Anact et de l'INRS ?

La réforme structurelle envisagée englobe aussi l'Anact et l'INRS – que le scénario Lecocq veut regrouper. C'est un des points les plus flous de la lettre de cadrage. Même s'il est indiqué que la réforme "devra prévoir une simplification de la gouvernance nationale et régionale" (ce passage concernant aussi les SSTI), le gouvernement n'affiche pas sa position sur l'avenir de l'INRS et de l'Anact dans le document. On peut simplement constater que l'OPPBTP n'est plus explicitement mentionné – c'était là une autre ligne rouge patronale –, et qu'il est précisé qu'il faudra "ten[ir] compte des obligations particulières des employeurs".

Le gouvernement souligne par ailleurs que le rôle de la sécurité sociale est de réparer les dommages AT-MP, mais aussi de faire de la prévention, alors qu'il fut un temps question de séparer les fonctions de contrôle et de conseil qu'ont aujourd'hui les agents des Carsat, ce qui avait suscité l'opposition ferme, entre autres, du directeur de la Cnam Nicolas Revel.

La lettre de cadrage suggère que les partenaires sociaux fassent des propositions pour utiliser le budget  de la branche AT-MP alloué à la prévention selon la COG, qui a été fortement augmenté fin 2018.

Revoir le document unique ?

"Renforcer la prévention primaire au sein des entreprises." C'est le premier point mis en avant dans le document d'orientation, qui répète tel un mantra que l'entreprise doit "internaliser la gestion du risque dans ses politiques globales" et assure que "tel est le sens de la récente réforme du CSE".

Une vision conceptuelle à partir de laquelle le gouvernement dit attendre des "propositions concrètes", en s'attaquant d'abord à la "manière dont l'évaluation des risques devrait être conduite et formalisée pour définir de manière plus efficiente les mesures de prévention et leur application dans le temps".

Entre les lignes, on lit les menaces qui pèsent sur le mal-aimé document unique. Le scénario Lecocq qui appelait à "desserrer la contrainte du formalisme du document unique exhaustif d’évaluation des risques". Sa déclinaison technique, élaborée par la mission Expert-Lanouzière-Seiller, proposait il y a quelques mois de le remplacer par l’obligation "d’élaborer ou d'adhérer à un plan d’action pluriannuel de prévention", le 3P.

Le risque chimique sur la table

"Un point particulier sera effectué sur la prévention du risque chimique le plus sensible, dit CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique), dont l’extrême complexité de la réglementation est unanimement reconnu", demande la lettre envoyée aux partenaires sociaux.

Les leitmotivs du gouvernement sont sur ce point tous soulignés : informer davantage les entreprises, les accompagner avec des "outils pratiques de prévention" mis à disposition, rendre la réglementation opérationnelle et accessible aux TPE-PME – "notamment dans ses aspects techniques comme le respect des valeurs limites d’exposition", est-il précisé.

La lettre de cadrage renvoit au rapport Frimat, mais est bien bordée. "Il conviendrait, demande le gouvernement, de rationaliser les dispositions relatives aux informations et documents concernant ce risque, pour que sa gestion interne à l’entreprise soit plus efficiente, et que les données collectives puissent être synthétisées afin d’améliorer le suivi de la santé au travail des salariés exposés, notamment en cas de mobilité professionnelle ou géographique."

Le rapport Frimat insistait notamment sur l'importance de la traçabilité, qu'il préconisait de confier aux services de santé au travail, avec l'idée de permettre, selon les cas, au salarié de prouver son exposition, ou à l'employeur de se dédouaner.

Quelle "force normative" pour les préconisations des branches ?

"Les branches professionnelles ont un rôle majeur à jouer en matière de prévention primaire", pose la lettre, rappelant que les branches peuvent "édicter des préconisations en matière de prévention des risques professionnels", comme l'on vient de le voir durant la crise sanitaire face au covid-19, et ce qui avait aussi été fait pour l'élaboration des référentiels pénibilité.

Le gouvernement fait l'éloge de ces préconisations venues des organisations professionnelles, puisqu'elles permettraient "d'engager une démarche vertueuse de prévention, reposant sur une évaluation complète et précise, menée le plus souvent de manière paritaire", et "constituent des guides utiles et facilement transposables au sein de toutes les entreprises, en particulier des plus petites". Un objectif est fixé aux partenaires sociaux : "multiplier ces initiatives" jusqu'à "couvrir l’ensemble des secteurs professionnels d’ici trois ans".

Le hic ? Le Conseil d'État vient de fragiliser la portée de ces guides de bonnes pratiques des branches professionnelles, dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de covid-19. Le gouvernement invite donc les partenaires sociaux à "engager une réflexion sur la force normative de ces outils, afin de sécuriser les entreprises qui mettent en œuvre de bonne foi les préconisations de leur secteur".

Travailleurs "vulnérables", désinsertion et QVT

Pour cette négociation, le gouvernement ajoute encore trois autres sujets, avec des objectifs moins précis. Il s'agit des travailleurs qualifiés de "vulnérables", du vaste chantier de la désinsertion professionnelle et de celui, non moins étendu, de la qualité de vie au travail.

"La forme de certains contrats de travail rend difficile le suivi médical de certains travailleurs, comme les travailleurs handicapés, les salariés intérimaires, les titulaires d’un contrat à durée déterminée ou les travailleurs indépendants", constate le gouvernement. Il voudrait que la négociation interprofessionnelle permette de déterminer un "suivi adapté" pour ces travailleurs "vulnérables", avec notamment le "partage des informations" entre les acteurs de la santé au travail. Pour les intérimaires, la possibilité d'un suivi par les services de santé au travail autonomes des entreprises utilisatrices pourrait être une piste.

Les organisations syndicales et patronales sont également invitées à discuter de la "lutte contre la désinsertion professionnelle", "par exemple sur l’articulation des différents acteurs médicaux" et en s'appuyant sur les travaux sur l’emploi des seniors (menés dans le cadre de la réforme des retraites).

La CFDT, notamment, tenait à ce que le sujet de la qualité de vie au travail soit dans la négociation. C'est chose faite : les partenaires sociaux sont invités à "faire le bilan" de l'ANI (accord national interprofessionnel) de 2013, alors que beaucoup d'entreprises ont signé des accords QVT au contenu "variable", dixit le document d'orientation, afin de "mettre au jour une méthodologie et des préconisations à disposition des entreprises et des salariés pour les aider, par le dialogue social, à trouver des propositions concrètes".

Un travail qui "interroge nécessairement les pratiques managériales" et pourra faire le lien avec la "raison d'être" de la loi Pacte. Voire même avec les JO de 2024 pour examiner "la question de la promotion du sport en entreprise". Sportif.

Élodie Touret
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