Réforme des retraites : le Sénat aura essayé d'amender le fonds de prévention de l'usure professionnelle

13.03.2023

HSE

En dépit de débats pour le moins animés et du recours au 44-3 au beau milieu de l'article 9 consacré à la pénibilité, plusieurs amendements du Sénat ont été retenus. Avant la limitation des débats, les sénateurs ont ajouté la prise en compte de l'exposition aux agents chimiques dangereux pour attribuer les financements du Fipu et le retour à la possibilité de partir en retraite anticipée à 60 ans en cas d'incapacité permanente.

Le Sénat a adopté, tard samedi 11 mars 2023, le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, qui porte la réforme des retraites, par 195 voix pour et 112 contre (voir le détail du scrutin ici). Plusieurs amendements ont été apportés à l'article 9, qui créé notamment un "fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle", le Fipu. C'est au beau milieu de l'examen de l'article 9 que le gouvernement a décidé, vendredi 10 mars, de recourir à l’article 44 alinéa 3 de la Constitution, déclenchant la procédure de "vote unique". À partir de ce moment, seuls des sénateurs favorables, les rapporteurs du texte et le ministre ont pu s'exprimer sur les amendements restants, qui sont ceux retenus par le gouvernement.  

Pour l'article 9, il y a donc un avant et un après 44-3. Avant, les sénateurs ont fait passer l'ajout des agents chimiques dangereux au Fipu, et le maintien du départ anticipé à 60 ans pour incapacité permanente en cas de maladie professionnelle. Après, il y a encore quelques amendements retenus par le gouvernement, avec des modifications. 

Agents chimiques dangereux ajoutés 

Le Fipu aura "pour mission de participer au financement par les employeurs d’actions de sensibilisation et de prévention, d’actions de formation […] et d’actions de reconversion et de prévention de la désinsertion professionnelle". Et ce à destination des salariés "particulièrement exposés" à certains facteurs de pénibilité. Lors de la présentation du texte, le gouvernement a indiqué vouloir le doter d'1 milliard d'euros jusqu'en 2027. Aux "contraintes physiques marquées", c'est-à-dire la manutention de charges, les postures pénibles et les vibrations (article L 4161-1 du code du travail), le Sénat a ajouté les "agents chimiques dangereux, y compris les poussières et fumées" (amendement 2132).  

"Le gouvernement partage pleinement la préoccupation de la commission [des affaires sociales du Sénat] sur la prévention des risques chimiques", a assuré Olivier Dussopt lors des débats le 9 mars. Pourtant, il a demandé le retrait de l'amendement, se disant "extrêmement réservé" sur l'extension aux agents chimiques. "La meilleure prévention, en la matière, ce sont les normes et les interdictions", déclare le ministre du travail, rappelant "l'obligation de protection individuelle et collective" des employeurs. Il estime que le fonds "ne doit pas financer des équipements individuels qui doivent être fournis par l'employeur", et admet du bout des lèvres qu'"éventuellement, il pourrait financer de la formation".  

Retour à 60 ans en cas d'incapacité permanente 

Les sénateurs ont inscrit dans le texte adopté le fait de toujours pouvoir partir à la retraite à taux plein à 60 ans – soit 4 ans avant l'âge légal si celui-ci est reporté à 64 ans, comme le veut le gouvernement – pour les victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle qui entraîne une incapacité permanente, sous certaines conditions. C'est un dispositif issu des ordonnances Macron de 2017. Comme pour l’âge légal de départ à la retraite, le gouvernement voulait repousser de 2 ans ces départs anticipés, les portant à 62 ans. Il comptait le faire par voie réglementaire. L'amendement, porté par la commission des affaires sociales du Sénat et adopté en dépit de l'avis défavorable du gouvernement, inscrit les 60 ans dans la loi.  

Le sénateur LR René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse, regrette de ne pas avoir réussi à convaincre Olivier Dussopt de la pertinence de cet amendement. "Un argument de plus, plaide-t-il lors des débats du 10 mars au matin : cette dépense relevant de la branche AT-MP, elle n'affectera pas l'équilibre de la réforme." Certes, reconnaît le ministre du travail, mais "le gouvernement a fait un choix différent : départ à 62 ans, mais élargissement des critères d'éligibilité au départ anticipé pour incapacité permanente". "Nous ramenons la durée d'exposition requise de 17 à 5 ans, et le départ serait de droit pour ceux dont le taux d'incapacité est égal ou supérieur à 20 %, sans passer par une autre procédure médicale. L'adoption de l'amendement de la commission supprimerait ces deux assouplissements", prévient-il, arguant du maintien de l'équilibre des dépenses. L'amendement a été adopté, et les "assouplissements" supprimés.  

Les Carsat actrices du Fipu 

Qui pourra bénéficier du Fipu ? Des entreprises, avant tout. Le Sénat a voulu préciser qu'il devait s'agir d'entreprises identifiées par les Carsat (caisses d'assurance retraite et de la santé au travail). Le gouvernement – qui avait alors activé le 44-3 – a retenu l'amendement 2136, mais en ajoutant un petit "notamment" à la formulation (sous-amendement 4761) pour "laisser la liberté aux partenaires sociaux de fixer les orientations des fonds, et ne […] pas restreindre de la sorte le périmètre des entreprises qui pourraient bénéficier de financements", explique-t-il.  

Les sénateurs voulaient que l'Anact et l'INRS puissent aussi bénéficier du Fipu. Le sous-amendement du gouvernement a revu cette ambition à la baisse et a seulement concédé que les organismes de branche sous convention avec la Cnam (l'OPPBTP, par exemple) puissent "faire appel à des organismes nationaux de prévention des risques professionnels". Le gouvernement ne voyait pas l'intérêt d'alimenter avec le Fipu "des institutions nationales de prévention qui sont déjà financées par ailleurs", rappelant que "l’INRS est essentiellement financé par le fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (FNPAT)"

Maintenant, la CMP 

Deux autres amendements de la commission des affaires sociales du Sénat ont été retenus par le gouvernement après l'activation du 44-3. Ils modifient le recours au C2P (compte professionnel de prévention) pour un projet de reconversion professionnelle vers un emploi moins pénible (amendement 2144) et pour passer à temps partiel à partir de 60 ans (amendement 2148).  

Aucune de ces évolutions n'est définitive, tout peut changer lors de la CMP (commission mixte paritaire) qui examinera le texte mercredi 15 mars. Si les parlementaires des deux chambres s'accordent sur un version, celle-ci devra encore être adoptée en séance publique par le Sénat (programmée le 16 mars à 9 heures), puis par l'Assemblée nationale (programmée le 16 mars à 15 heures). 

 

► Lire aussi :

Trois questions pour comprendre le volet pénibilité de la réforme des retraites

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

Découvrir tous les contenus liés
Élodie Touret
Vous aimerez aussi