Réformes en droit du travail : comment améliorer la concertation préalable ?

Réformes en droit du travail : comment améliorer la concertation préalable ?

31.05.2017

Convention collective

C'est un rapport qui tombe à pic ! Alors que la question du rôle des partenaires sociaux dans les réformes du travail nourrit actuellement de vifs débats, le Sénat s'est penché sur l'article L.1 du code du travail qui instaure une concertation préalable à toute r��forme sociale. Une méthode qui a fait ses preuves, estime la Haute chambre, mais qui pourrait être améliorée.

Dans un rapport rendu public la semaine dernière, le Sénat analyse les relations entre la démocratie sociale et la démocratie représentative (*). L'article L.1 du code du travail, qui prévoit une concertation préalable des partenaires sociaux à toute réforme sociale, pose en effet la question de cette articulation. La mission d'information qui a travaillé sur ce rapport délivre un satisfecit à la méthode de la loi Larcher qui a instauré cette procédure. Cette dernière a été mise en oeuvre 22 fois, donnant lieu à la conclusion de 5 accords nationaux interprofessionnels (ANI). La mission formule toutefois plusieurs pistes afin de rendre la méthode encore plus efficace.

L'éloge de la lenteur pour des réformes acceptées

Récemment, c'est la lenteur induite par l'article L.1 du code du travail qui a été point��e du doigt ; cette procédure serait incompatible avec l'urgence de certaines réformes. Une idée que dément le rapport du Sénat qui démontre, tout au contraire, qu'elle peut les faciliter. La procédure permet d'améliorer "l'acceptabilité sociale d'une réforme", insiste le rapport, le gouvernement pouvant ainsi "déminer les sujets conflictuels qui constituent des lignes rouges aux yeux de certains des partenaires sociaux, par la négociation informelle du document d'orientation puis pendant la négociation à proprement parler". Dès lors, conclut le Sénat : "la perte de temps avant la prise de décision permet d'assurer une meilleure chance de réussite par la suite".

Une méthode qui libère la créativité des partenaires sociaux

Le Sénat prête d'autres vertus à la loi Larcher : elle limiterait l'inflation législative en permettant "d'échapper à l'urgence de l'agenda politique, en imposant un temps de réflexion à froid". Elle permettrait aussi aux partenaires sociaux d'innover. "L'article L.1 permet l'émergence de constructions juridiques innovantes grâce à l'imagination des partenaires sociaux". Le document vise notamment la rupture conventionnelle ou bien encore la négociation des PSE.

Le Sénat constate par ailleurs que le non-respect de la  procédure n'entraîne pas de sanctions qui bloqueraient la réforme. "La violation des dispositions de l'article L.1, si elle affaiblirait certainement la légitimité de la réforme, ne constitue pas à elle seule un vice de forme justifiant une censure du Conseil constitutionnel ou l'annulation pour excès de pouvoir par le juge administratif des actes administratifs en découlant".

Enfin, s'agissant de l'articulation entre les partenaires sociaux et le rôle de l'exécutif, le rapport rappelle que le gouvernement n'est pas tenu de retranscrire tel quel l'accord.

Des partenaires sociaux sous pression du politique

Le rapport pointe toutefois certaines dérives de la procédure de l'article L.1. "Le gouvernement aurait parfois tendance à trop peser dans la négociation." Le rapport souligne que le gouvernement arrête parfois lui-même une durée de négociation "souvent jugée trop courte",  et qu'il "peut être tenté de prodiguer des conseils ou des analyses à une ou plusieurs parties".

Ensuite, le document estime que le rôle du Parlement est "singulièrement limité lors de l'examen des projets de loi transcrivant un ANI" et constate une attitude "d'auto-restriction" afin de ne pas remettre en cause l'équilibre de l'accord.

Le rapport formule d'ailleurs des propositions afin d'améliorer le rôle des parlementaires dans ce processus. Le Parlement pourrait ainsi être impliqué en amont dans la rédaction de la feuille de route. "Les parlementaires pourraient ainsi veiller à ce que le document d'orientation ne vise que les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical, conformément à l'article 34 de la Constitution". La commission des affaires sociales pourrait de son côté entendre, dans le cadre d'une audition, le ministre du travail et éventuellement les partenaires sociaux, postérieurement à la publication du projet de document d'orientation. Enfin, pourquoi ne pas envisager que le Parlement dépose une proposition de résolution sur le projet de document d'orientation, comme le suggère le rapport.

 

Le rapport estime enfin que "les partenaires sociaux ne sont pas toujours en mesure de remplir les missions qui leur sont attribuées", estimant que "l'orientation générale  d'une négociation est souvent fixée conjointement par le Medef et la CFDT, qui jouent un rôle moteur essentiel". Par ailleurs, constate la mission, "certaines délégations ont, en outre parfois, durci leurs positions lors des négociations nationales interprofessionnelles en raison de la proximité d'élections internes". Enfin, certaines personnes auditionnées ont mis en avant le fait que "le législateur confie volontairement des pans importants de sa compétence en matière sociale à des partenaires sociaux qui n'ont ni les moyens humains et techniques suffisants ni la légitimité pour les exercer, surtout s'il s'agit de concevoir des réformes de structure impopulaires mais indispensables pour réformer notre modèle économique et social".

Fixer une feuille de route unique pour tout le quinquennat

Afin de rendre la méthode plus efficiente, la mission d'information sénatoriale suggère, plutôt que des rendez-vous annuels (comme cela a été le cas avec les conférences sociales pendant le précédent quinquennat), une feuille de route des réformes sociales applicables pendant le quinquennat et qui pourrait comprendre :

  • un calendrier indicatif et non contraignant des réformes sociales à réaliser indiquant celles qui sont prioritaires ;
  • les réformes qui ne relèvent pas de l'article L.1, compte tenu de leur urgence et de la situation économique et sociale ;
  • les réformes relevant de l'article L.1, en indiquant le délai au-delà duquel le gouvernement compte légiférer sans accord des partenaires sociaux ;
  • les réformes qui ne relèvent pas de l'article L.1 mais qui feront l'objet d'une information, d'une consultation ou d'une négociation ;
  • le cas échéant, l'agenda social des partenaires sociaux ;
  • les modalités d'établissement des diagnostics partagés et du suivi des réformes engagées.

Un tel calendrier aurait l'avantage, souligne le rapport, d'éviter "une approche à court terme pour chaque réforme". Une telle feuille de route "aurait également comme avantage indirect de dissuader le gouvernement d'intégrer à un même projet de loi plusieurs réformes, et de tirer ainsi les enseignements de la loi Travail...".

Il semblerait que le nouveau gouvernement ait déjà fait sienne - en partie - cette recommandation, Emmanuel Macron s'étant engagé lors de la campagne présidentielle à lancer une série de réformes sociales et de ne plus y revenir pendant tout le reste du quinquennat.

 

(*) Rapport d'information fait au nom de la mission d'information sur la démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017", par Henri Cabanel (président), Philippe Bonnecarrère (rapporteur).

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Florence Mehrez
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