Des chantiers arrêtés au début du confinement vont peut-être reprendre petit à petit. Est-ce bien raisonnable ? Les mesures de prévention sont très difficiles à appliquer. En plus, la reprise dépend de toute une chaîne d'activités, en amont et en aval. Artisans, chefs de chantier, préventeurs et responsables de fédération donnent leur avis.
"Toute la journée, mes salariés se passent des matériaux, des outils, portent des charges dans une grande proximité ", décrit Joseph Calvi, membre d'une petite entreprise du bâtiment dans l'Ariège et président du Fonds national de promotion et de communication de l'artisanat. Ils continueront donc de rester chez eux, malgré la publication du très attendu guide de l'OPPBTP. "On l'attendait, il est tombé, il a le mérite d'exister… mais les recommandations sont très complexes à mettre en œuvre", constate l'artisan.
Est-il bien raisonnable de reprendre l'activité sur les chantiers du BTP ? Les gestes barrières pour éviter la propagation du coronavirus sont difficilement applicables. En plus, la conduite des travaux dépend de toute une chaîne en amont et en aval (fabrication des matériaux, ouverture des magasins de négoce, évacuation des déchets…) qui risque aussi d'exposer ses salariés si elle poursuit son activité.
"Il ne s'agit pas d'un mot d'ordre à la reprise", tempère la FFB (Fédération française du bâtiment) le jour de la sortie du guide. "Les conditions de reprise sont draconiennes", reconnaît Patrick Liébus, président de la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment). D'après les estimations de l'organisation, 85 % des entreprises du bâtiment ont arrêté toute activité au début du confinement. Et même si les nouvelles recommandations sanitaires peuvent parfois être respectées, l'activité ne reprendra pas tout de suite, prévient Patrick Liébus. Première contrainte : l'autorisation d'accéder au chantier, alors que certains clients publics et privés ont demandé leur arrêt.
L'accès aux matériaux n'est pas non plus garantie parce que certains industriels ont arrêté leur production et que les négoces et distributeurs ouverts imposent des conditions d'achats particulières, avec un système de drive à horaires précis. Leur ouverture ou fermeture influence bien sûr la reprise ou non des chantiers, reconnaît le responsable d'un magasin de matériaux de construction.
"Il y a un sérieux problème de déplacements", observe aussi le président de la Capeb. Les employeurs ont-ils suffisamment de véhicules pour éviter que les salariés ne soient côte à côte lors des trajets ? Le nombre de points d'eau n'est pas toujours suffisant ; les employeurs doivent donc disposer de gel hydroalcoolique. Aussi, l'OPPBTP recommande-t-il de porter des masques a minima chirurgicaux quand la distanciation ne peut pas être respectée ou que le chantier a lieu chez un particulier malade ou à risque. Et pourtant, "toutes les entreprises ont des soucis d’approvisionnement, rapporte Vincent Giraudeaux, président de la FAP (Fédération des acteurs de la prévention), pour qui "il serait mal venu de fournir l’ensemble des chantiers alors que les hôpitaux en manquent encore".
Ce CSPS (coordinateur sécurité et protection de la santé) s'inquiète surtout du respect des règles, même si elles sont connues. "Durant les premières heures de la journée, bien sûr que tout le monde n’a la tête qu’au Covid. Mais ensuite, les habitudes reprennent le pas, il y a les impératifs de chaque tâche et l’accoutumance ", anticipe-t-il. Bref, des facteurs humains et organisationnels entrent en compte. Autre point sur lequel insiste l'OPPBTP : dans ces conditions dégradées, une attention particulière doit être portée sur tous les risques "traditionnels" des chantiers (chutes, produits chimiques...).
La Capeb "considère que la reprise d’activité ne doit concerner, dans un premier temps, que les seuls travaux d’urgence, de mise en sécurité et de dépannage", mais rappelle que la décision revient bien sûr à ses adhérents. Pour Joseph Calvi, c'est tout vu : "Deux clients ont eu des fuites de toiture, j'ai mis en sécurité et je les ai prévenus que la réparation ne se fera qu'à la sortie du confinement. Une toiture de 30 ans peut bien attendre deux ou trois mois de plus", raconte l'artisan.
"En tant que fédération, on se refuse le droit de dire 'vous arrêtez de travailler' ou pas, c'est au chef d'entreprise de décider avec ses salariés et en fonction de la réalité sur le terrain", nous explique-t-on du côté de la FFB. "C'est vraiment au cas par cas. Prenons l'exemple d'un peintre qui intervient seul dans une maison inoccupée : son activité n'est pas urgente, mais semble réalisable dans de bonnes conditions", imagine notre interlocuteur qui sent déjà "un frémissement" de reprise.
De son côté, la FNTP (Fédération nationale des travaux publics) imagine une "reprise progressive consacrée aux activités essentielles". "Ce sont toutes les activités essentielles à la vie économique de la nation", nous explicite-t-on vaguement. Et de citer l'énergie, des infrastructures de transport, le numérique ou encore les infrastructures hospitalières.
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Les chantiers où l'on intervient seul semblent moins problématiques. D'ailleurs, certains ne se sont jamais arrêtés. "Les petits artisans continuent leur activité seuls sans leurs apprentis, au ralenti", observait déjà la semaine dernière le responsable d'un magasin de matériaux de construction. L'OPPBTP demande d'ailleurs l'arrêt du travail pour les apprentis, les stagiaires et les mineurs.
Bâtiment et travaux publics ne connaissent pas les mêmes problématiques. Dans les travaux publics, les opérations se font encore davantage en coactivité : "la distanciation s’avère plus compliquée dans les bases vies, plus exiguës, et pour atteindre les postes de travail (transports en véhicules collectifs)", décrit ainsi Vincent Giraudeaux. Les gros chantiers se font sur le temps long, donc les arrêter quelques semaines chamboule peut-être moins les plannings que dans le bâtiment, remarque un autre préventeur du secteur. D'après une enquête que la FNTP a réalisée entre le 23 et le 26 mars, 80 % des entreprises avaient mis tous leurs chantiers à l'arrêt.
Roulette russe
Non seulement les recommandations de l'OPPBTP sont difficiles à mettre en œuvre, mais elles ne sont même pas suffisantes, estime Maxence Batoux, chef de chantier de la partie armature sur le Grand contournement ouest de Strasbourg. Cet ancien responsable QSE cite par exemple celle qui consiste à questionner tous les jours les salariés sur leur état de santé, alors que certaines personnes sont asymptomatiques. Aussi, "chaque personne envoyée sur le chantier dépend du comportement des autres ouvriers sur leur temps libre. Donc c'est la roulette russe", prévient-il. Il dénonce "une incohérence" à imposer des règles de sécurité très strictes toute l'année et prendre de tels risques en ce moment.
Bref, pour Vincent Giraudeaux, "la reprise n’est pas raisonnable à grande échelle. Tout le monde parle des fameux 'chantiers prioritaires' sans que personne n’ait clairement défini desquels il s'agit. Cela reste donc du cas par cas et soumis au bon sens de chacun". D'après lui toujours, "au lieu de dépenser un peu d’énergie, de moyens et de matériel sur l’ensemble des chantiers, nous serions plus efficaces en étant à 100 % sur les 10 % de chantiers prioritaires, et en gardant notre énergie pour préparer la reprise des autres".
Lors de la mise en place du confinement, les fédérations du secteur du BTP ont rapidement demandé l'arrêt provisoire des chantiers avant la mise en place de protocoles harmonisés. L'objectif était de protéger la santé des salariés et la responsabilité juridique des employeurs. En même temps, le ministre de l'intérieur écrivait aux préfets : "Il est bien évidemment admis que les personnes qui exercent une activité qui les oblige à travailler en extérieur (chantiers de bâtiment et travaux publics notamment) doivent la poursuivre" et "il est impératif que la vie économique de la nation soit la moins impactée possible". La ministre du travail avait même déclaré être "scandalisée" par une position des professionnels qu'elle a qualifiée de "défaitiste". Il y avait une contradiction entre l'appel d'Emmanuel Macron à rester chez soi et celui de certains membres du gouvernement à poursuivre l'activité. Après plusieurs jours de critiques de part et d'autre, fédérations et gouvernement se sont mis d'accord le 21 mars. Le guide est finalement sorti plus tard que prévu, après huit versions différentes, d'après Patrick Liébus, président de la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment). Le document doit être strictement respecté et à défaut, l'activité doit être stoppée, indique le gouvernement. |
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