Restructuration des branches : le jeu de chaises musicales

Restructuration des branches : le jeu de chaises musicales

23.01.2019

Convention collective

Le chantier de regroupement des branches professionnelles est entré dans sa phase d'accélération. Le point avec Paul-Henri Antonmattei, président délégué du cabinet Barthélémy Avocats, avocat associé, membre du conseil scientifique et professeur de droit à l'université de Montpellier, dans le cadre de notre partenariat avec le Club des branches fondé par le cabinet.

Le chantier ne date pas d'hier. C'est en 2014 que François Rebsamen, alors ministre du travail, lance l'opération de restructuration des branches visant à réduire drastiquement le nombre de branches professionnelles existantes. Une sous-commission dédiée est créée au sein de la Commission nationale de la négociation collective (CNNC). La réforme est impulsée par le rapport de Jean-Denis Combrexelle en 2013, alors DGT, qui visait une centaine de branches dès 2018. L'objectif trop ambitieux a été depuis révisé, mais la machine est bel et bien lancée.

C'est la loi Travail du 8 août 2016 qui a donné le mode d'emploi détaillé afin de réduire le nombre de branches professionnelles. Les ordonnances ont encore accéléré le processus en réduisant d'un an le délai laissé aux partenaires sociaux de branches pour se regrouper, jusqu'au 8 août dernier, permettant depuis cette date à la ministre du travail de reprendre la main.

Regroupement volontaire ou décidé par le ministère du travail

"L'objectif est désormais de passer à 200 branches en août 2019, puis, sans doute, à 100 un peu plus tard", rappelle Paul-Henri Antonmattei, président délégué du cabinet Barthélémy Avocats, avocat associé et membre du conseil scientifique et professeur de droit à l'université de Montpellier. "L'objectif sera réalisé s'il y a 200 nouveaux champs conventionnels, qui résulteront d'un regroupement décidé par le ministère du travail ou d'une procédure volontaire de regroupement". Alors que le chiffre de 700 branches existantes circulait, lors du recensement, le ministère en a finalement dénombré près de 900 !

"180 branches moribondes ont d'ores et déjà été regroupées. Des conventions territoriales sont en cours de regroupement comme dans la métallurgie, le bâtiment ou l'agriculture. Aujourd'hui, nous sommes entre 320 et 400 branches. La DGT opère le regroupement des moins de 5 000 qui n'existeront plus".

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Raisonner en termes de filières économiques

"Le plus dur reste à faire! admet toutefois Paul-Henri Antonmattei. Pour les branches, la question qui se pose est celle de savoir pourquoi elles se regroupent eu égard à leur activité conventionnelle ou leur identité professionnelle. Il ne faut pas se regrouper pour se regrouper, à marche forcée, sans un projet structuré et viable".

"Il existe des logique de branche différentes d'une branche à l'autre. Il convient de raisonner en termes de filière économique, de métier, d'activités présentant des conditions économiques et sociales analogues. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se faire avec la constitution des Opco. Ces derniers préemptent, en partie, la question de la restructuration".

Paul-Henri Antonmattei recommande aux négociateurs de branche, lorsqu'ils en sont à explorer un champ de regroupement, "de regarder d'où ils viennent, de comparer leur tissu conventionnel et d'essayer d'écrire une nouvelle histoire qui soit cohérente d'un point de vue économique et social".

La possibilité de prévoir des annexes

L'une des difficultés va être de gérer des situations malgré tout différentes au sein d'un seul texte conventionnel. "Il est toutefois possible de prévoir des annexes de filières plus ouvertes (par métiers, par activité). Une telle hypothèse permet ainsi à une convention collective nationale commune de fixer le cadre et de renvoyer à des annexes, pas nécessairement sur tous les sujets".

"Si cela peut préserver le jeu des acteurs, attention toutefois car la représentativité ne se mesure pas sur la base des annexes mais sur l'ensemble du champ conventionnel", avertit Paul-Henri Antonmattei. Si cinq organisations patronales représentatives se marient, une seule sera représentative. Même s'il existe des annexes, c'est l'organisation représentative qui sera engagée".

Les résistances côté patronal

Il ne faut pas non plus négliger les enjeux de pouvoir souterrains qui se jouent. "La principale résistance vient avant tout des organisations patronales, moins des fédérations syndicales qui négocient déjà pour plusieurs branches. Les organisations patronales, elles, sont calées sur une convention collective nationale (CCN), ce qui pose la question de l'existence même de leur propre organisation patronales et des emplois. Or, il ne sera pas possible de passer de 907 à 200 branches sans regroupement patronal", prévient Paul-Henri Antonmattei.

Les résistances sont d'autant plus grandes que des choix douloureux pour certains vont devoir être faits. Toutes les organisations patronales n'auront pas une représentativité sur un champ élargi". En somme, seules les plus grandes d'entre elles qui disposent de plus de pouvoir dans ce jeu de chaises musicales s'en sortiront bien.

Un possible renforcement du rôle des branches

Selon Paul-Henri Antonmattei, loin de révéler un affaiblissement de la branche, cette opération ne fait que confirmer leur rôle central. "On entre donc dans une démarche de regroupement justement car on croit dans la branche, même après les ordonnances Macron qui donnent la primauté à l'accord d'entreprise. Si on ne croyait plus aux branches on n'opèrerait pas ce regroupement, assure-t-il.

Les branches ont d'autant plus un rôle à conforter que la négociation d'entreprise est loin de couvrir toutes les entreprises. "1 200 000 entreprises ont accès à la négociation collective et 35 à 38 000 accords d'entreprise seulement sont signés par an. Les grandes entreprises concluent entre 5 et 10 % des accords par an. Dès lors, les entreprises qui n'ont pas recours aux nouvelles opportunités en matière de négociation d'entreprise continueront à appliquer les accords de branche".

Par ailleurs, rappelle-t-il, "pour favoriser le développement de la négociation collective dans les entreprises de moins de 50 salariés, les branches peuvent conclure des accords-types et des dispositions propres aux moins de 50 salariés".

De nouveaux enjeux pour les branches

Le mouvement de restructuration des branches présente par ailleurs un certain nombre d'opportunités pour ces dernières, opportunités qu'elles doivent impérativement saisir, estime Paul-Henri Antonmattei. Tel est le cas de la sécurisation des parcours professionnels. "Il faut que les branches négocient davantage sur ce sujet alors que leur périmètre va être élargi. La restructuration des branches peut donner encore plus de sens aux mobilités professionnelles ; il est ainsi possible d'imaginer des mécanismes qui favorisent les transitions professionnelles".

"Elles doivent aussi réfléchir à un droit du travail d'anticipation autour des questions de mobilité, de filières, d'intelligence artificielle, de GPEC. Ce sont les enjeux de demain pour une branche. C'est aussi la formation des acteurs qui se pose".

Reste à savoir comment va se traduire la réorganisation du tissu conventionnel. "La règle conventionnelle va changer : sera-t-elle plus efficace ? Nous n'en savons rien. Nous avons des textes conventionnels qui sont désuets. Nous aurons une actualisation et l'on peut s'attendre à des mécanismes mieux adaptés aux réalités économiques et sociales", conclut Paul-Henri Antonmattei.

Florence Mehrez
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