Retraites : "Admettre et reconnaître que notre métier est pénible, c'est du bon sens"

Retraites : "Admettre et reconnaître que notre métier est pénible, c'est du bon sens"

27.01.2020

HSE

Votre métier est-il pénible ? Qu'est-ce que c'est pour vous, la pénibilité ? Nous sommes allés poser la question aux manifestants, dans le cortège parisien de vendredi. Tous se sont mis à nous raconter leur travail.

Une question sous-tend la réforme des retraites voulue par le gouvernement : quid de la pénibilité ? Une note de l'Ifop et de la Fondation Jean Jaurès (think tank de gauche) a montré cette semaine que les actifs les plus exposés à des contraintes physiques sont aussi les plus réfractaires à une réforme qui rallonge la durée de cotisation, comme le propose le gouvernement. Dans le cortège parisien du vendredi 24 janvier, à part sur quelques gilets fluo de la CGT, la prise en compte de la pénibilité est pourtant très peu explicitement revendiquée. Mais il suffit de poser la question pour que les langues se délient, et que les manifestants se mettent à raconter leur travail, et à dire leur peur d'être usés.

Au 51e jour du mouvement, qui coïncidait avec la présentation des projets de loi portant la réforme en conseil des ministres, l’intersyndicale (CGT, FO, CFE-CGC, Solidaires, FSU et organisations de jeunesse) avait appelé à "une mobilisation maximale" pour cette 7e journée de manifestation. Selon le décompte du cabinet indépendant Occurence pour un collectif de 80 médias, quelque 39 000 personnes ont défilé à Paris. Dans le cortège, au-delà des syndiqués et grévistes de quelques grandes entreprises, ce sont surtout des cheminots, enseignants et fonctionnaires, qui marchent.

 

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Nicolas Joseph, égoutier de Paris, membre du CHSCT (CGT) 

"Le métier d'égoutier incarne la pénibilité, nous sommes au cœur de cette question. Notre lieu de travail, ce n'est pas un bureau, un camion ou un métro… mais les égouts, où l'on collecte et transporte l'eau de vos toilettes, des caniveaux... Nous sommes exposés aux hydrocarbures, aux métaux lourds, à des agents biologiques… Les études épidémiologiques de l'Inserm et de l'INRS n'ont fait que mettre des mots scientifiques sur ce que l'on savait déjà : il y a très peu de vieux égoutiers...

On essaie de demander des mesures de prévention collectives, c'est-à-dire la ventilation pour éviter le confinement, mais c'est compliqué à mettre en œuvre. Alors on a des EPI, mais ils ne sont pas utilisés car pas adaptés : le moteur placé à l'arrière empêche des mouvements nécessaires, et on ne peut plus communiquer entre nous alors que c'est indispensable pour des questions de sécurité. On devait changer de modèle, ça fait 4 ans que ça traîne.

Jusqu'à présent, comme nous sommes dans la catégorie active – que l'on appelle "insalubre", chez nous –, on peut partir à 57 ans, et cela nous convient bien. Quand on a signé, on savait qu'on partirait plus tôt. D'ailleurs, on ne s'est jamais plaint. Le gouvernement nous dit qu'avec le C2P, on va reconnaître notre pénibilité, mais c'est faux : la pénibilité est déjà reconnue, c'est notre catégorie "insalubre", et ce ne sont pas les critères de pénibilité qui vont nous permettre d'avoir une reconnaissance, ça ne colle pas, on ne rentrera pas dans les cases. Admettre et reconnaître que notre métier est pénible, c'est du bon sens."

 

Nadège Corbin, infirmière à l'hôpital Georges Pompidou (AP-HP), membre du CHSCT (Solidaires) 

"C'est vrai que le sujet de la pénibilité n'est pas écrit en gros sur les banderoles, mais on communique dessus depuis des années. Directions et gouvernement ne nous entendent pas, et cela provoque d'ailleurs une certaine lassitude.

La pénibilité, au-delà de la confrontation quotidienne à la souffrance et à la mort, c'est abord nos horaires atypiques. J'ai travaillé 14 ans de nuit. J'ai eu un cancer du sein avant 40 ans, sans antécédent familial ni autre facteur de risque que le travail de nuit. Le lien avec le cancer du sein est connu, mais je n'ai pas obtenu de reconnaissance de maladie professionnelle. Ensuite, la pénibilité se ressent dans les gestes et charges. Nous avons du matériel pour manutentionner les patients, mais il n'y en a pas forcément pour chaque malade, alors que je travaille dans un service où l'on soigne beaucoup de personnes en obésité. J'ai le dos en vrac. On me dit que c'est l'âge, mais je n'ai que 44 ans, pas 70 !

Je suis dans la catégorie sédentaire – par opposition à la catégorie dite "active", qui peut partir plus tôt à la retraite – NDLR. Je dois partir à la retraite à 60 ans, mais je suis déjà à bout physiquement. Nous sommes des êtres humains usés, bousillés par notre boulot. Mon métier me plaît, je n'ai pas envie de me reconvertir. D'ailleurs, les postes aménagés en fin de carrière sont de plus en plus difficiles à trouver puisque les effectifs administratifs ont baissé, tout comme les postes d'infirmières d'accueil. À partir de 50 ans, on a plein de personnes qui partent en inaptitude. J'ai envie de faire mon métier jusqu'à ma retraite. Mais pas dans ces conditions."

 

Ali Tolu, maçon-boiseur et aujourd'hui traceur chez Vinci Construction, membre CSE, à la commission SSCT (CGT)

"Nos métiers sont pénibles d'abord parce qu'ils sont dangereux, il n'y a qu'à voir le nombre d'accidents – notons au passage que dans plus de la moitié des cas, c'est la sous-traitance qui est en jeu, avec des problèmes d'organisation du travail ou l'absence d'accueil sécurité des intérimaires. La pénibilité, c'est aussi l'exposition aux produits chimiques : amiante, plomb, les terres polluées, la silice, les poussières, le travail en milieu confiné – sur le chantier d'Eole [prolongement du RER E vers l'ouest de Paris, NDLR] , les gars doivent porter des masques avec des cartouches à changer tous les jours, ils les gardent parfois toute la semaine… Et le droit de retrait, c'est du blabla, Combien de personnes ont le courage de le mettre en œuvre et savent seulement comment faire, comment remplir le registre ?

On est aussi très exposés à la chaleur et au froid, mais ce n'est pas vraiment pris en compte. Pour le froid, on nous donne des vêtements chauds, et on nous dit que c'est bon… En fait, je ne sais pas si l'employeur déclare une exposition au titre du compte pénibilité, ni même si l'on est considérés comme suffisamment exposés. Et pourtant, on y est ! Quant aux vibrations [facteur ne figurant plus dans le C2P, NDLR], il y a une prime pour ceux qui sont concernés, mais pour ne pas écrire qu'un gars qui tient un marteau-piqueur est exposé aux vibrations, sur sa feuille de paye, il est simplement écrit "prime 80 euros"...

Dans notre travail syndical, et au sein de la CSSCT, beaucoup de ce que nous revendiquons est en lien avec le fait que nos métiers sont pénibles, même si ce ne sont pas des critères qui sont dans le compte ou qui y ont été. Moi je ne regarde pas la loi, je regarde la légitimité, je regarde les effets sur la santé. Là, on voit bien les problèmes, il faut être malhonnête pour ne pas les voir."

 

Stéphane Maunoury, électricien à la centrale électrique de l'aéroport Charles de Gaulle (ADP), pas syndiqué ni de mandat

"Ce qui est pénible dans mon travail ce sont les horaires de nuit. Mon père faisait les trois huit, ce qui est le pire pour l'organisme. Nous, nous faisons des journées de 12 heures, soit de 7 heures à 19 heures, soit de 19 heures à 7 heures. Je ne sais pas si je vais continuer à travailler la nuit jusqu'à la fin de ma carrière. J'ai commencé en 1995 et j'ai de plus en plus de mal à récupérer. La pénibilité, c'est aussi l'inquiétude de prendre la route le matin après une nuit de travail, j'ai une heure de trajet et c'est compliqué. Nous avons demandé un lieu où faire la sieste avant de prendre le volant, mais cela n'a pas été accepté.

J'ai choisi de travailler la nuit pour l'avantage financier, et cela m'a permis de davantage profiter de mes enfants grâce aux jours de repos. Enchaîner 12 heures d'affilée permet aussi de faire moins souvent le trajet et donc de perdre moins de temps dans les transports. Attention, je ne me plains pas, j'aime beaucoup mon travail. Mais je vois une seule solution pour prendre en compte la pénibilité du travail de nuit : partir plus tôt en retraite".

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost et Élodie Touret
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