Retraites : que promet Édouard Philippe pour prendre en compte la pénibilité ?

Retraites : que promet Édouard Philippe pour prendre en compte la pénibilité ?

12.12.2019

HSE

"Le temps du système universel est venu", clame le premier ministre dans l'enceinte du Cese. Et avec lui l'extension du C2P à tous les travailleurs, y compris les personnels hospitaliers et les salariés des régimes spéciaux. Sauf qu'aujourd'hui le C2P n'est pas un système très avantageux, notamment concernant le travail de nuit, qu'Édouard Philippe propose donc de mettre sur la table de la concertation. Il refuse en revanche de rediscuter des critères exclus en 2017.

Il a prononcé le mot ; et même plusieurs fois. Pénibilité. Dans l'enceinte du Cese (conseil économique, social et environnemental), face notamment aux partenaires sociaux, Édouard Philippe est venu présenter le contenu et le calendrier de sa réforme des retraites, mercredi 11 décembre 2019.

"Nous allons étendre et améliorer la prise en compte de la pénibilité selon des critères qui seront les mêmes pour tous. Nous donnerons aussi la possibilité aux personnes qui exercent des métiers usants de partir deux années plus tôt que les autres. Le compte pénibilité sera ouvert à la fonction publique et en particulier à l'hôpital", déclare le premier ministre.

En dépit de l'effort sémantique – qui a dû faire mal aux oreilles d'Emmanuel Macron –, cela reste flou et le compte n'y est pas, pour les syndicats.

La CGT estime que la suppression des régimes spéciaux est "une négation de la reconnaissance de la pénibilité au travail". Pour la CFTC, "le peu de précisions apportées sur la prise en compte de la pénibilité" est un "point de crispation" : "rien, dans les propos du premier ministre, ne garantit que toutes les situations de travail réellement pénibles donneront lieu à compensation". Et pour la CFDT, cela fait partie des points de franchissement de la "ligne rouge" : "la reconnaissance de la pénibilité n’est aujourd’hui pas à la hauteur alors qu’elle est une condition de la justice sociale".

 

Le "compte pénibilité" est – depuis la suppression du mot pénibilité de tout texte de loi par le gouvernement actuel – en réalité le C2P, qui signifie compte professionnel de prévention et non "compte professionnel de pénibilité" comme indiqué dans le dossier de presse remis à l'issu de la présentation du premier ministre.

 

Compte pénibilité pour tous

Qu'annonce Édouard Philippe à propos de la pénibilité ? D'abord, il tire les conséquences de la suppression des régimes spéciaux, puisque "le temps du sytème universel est venu". Pour conserver une réparation en fin de carrière de la pénibilité associée à nombre des métiers bénéficiant aujourd'hui des régimes spéciaux, leur ouvrir l'accès au C2P est un minimum.

En plus des salariés des régimes spéciaux, tous les fonctionnaires – agents territoriaux, personnels hospitaliers et fonctionnaires d'État – basculeraient sous le dispositif du C2P. Seuls les "fonctionnaires qui exercent des fonctions dangereuses dans le cadre de leurs missions régaliennes" conserveront le principe d'un départ avant 62 ans, est-il précisé dans le dossier de presse. C'est ce que défend le Haut-commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye dans son rapport. Matignon n'indique pas à quel âge ils pourront partir.

Le C2P permet actuellement une compensation en cas d'exposition au-delà des seuils (assez élevés et restrictifs) pour le travail de nuit, le travail posté (équipes successives alternantes), le travail répétitif, les activités exercées en milieu hyperbare, les températures extrêmes, le bruit.

Édouard Philippe déclare aussi vouloir "donn[er] aussi la possibilité aux personnes qui exercent des métiers usants de partir deux années plus tôt que les autres". Là encore, cela devra être précisé. Fait-il référence à la retraite pour incapacité permanente qui permet aujourd'hui de liquider sa retraite à 60 ans sans décote ? Il est souligné dans le dossier de presse que cette mesure sera "étendue aux fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux".

Travail de nuit

Le premier ministre n’est pas revenu sur sa décision de ne pas réintégrer les quatre facteurs de pénibilité supprimés en 2017. En revanche, "nous abaisserons le seuil du travail de nuit", a-t-il annoncé, prenant l'exemple des infirmiers de catégorie A qui n'ont aujourd'hui aucune réparation s'ils travaillent de nuit. Les nouveaux seuils concerneraient aussi les salariés du privé.

Jusqu'à il y a moins d'un mois, le gouvernement comptait légiférer par ordonnance – via le projet de loi dit DMOS (différentes mesures d'ordre social) – pour assouplir la législation applicable en matière de travail de nuit dans les commerces de détail alimentaire. L'objectif était d'ajouter ces commerces à la liste des secteurs dérogatoires, de façon à permettre à ceux situés en dehors des zones touristiques internationales d’ouvrir plus tard en soirée, dès lors qu'ils signent un accord définissant les contreparties pour les salariés.

Mi-novembre, il a finalement été décidé de faire marche arrière et de passer par la concertation pour cet assouplissement. Le gouvernement a fait le choix de se garder cette contrepartie dans les discussions sur le travail de nuit qui se profilent avec les partenaires sociaux.

Et les autres facteurs de pénibilité ?

En 2017, une des premières décisions sociales de la nouvelle équipe gouvernementale a été de supprimer 4 des 10 facteurs de pénibilité. Exit la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l'exposition aux agents chimiques dangereux. Raison affichée : l'exposition était trop difficile à déterminer par les employeurs. 

Contrairement à ce que souhaite notamment la CFDT, et conformément à ce qu'exigeait le patronat, Édouard Philippe a refusé devant le Cese d'évoquer la possibilité de remettre dans la discussion les critères de pénibilité supprimés du C2P, ou de revenir sur les seuils pour tous les facteurs. Les discussions s'arrêteront au travail de nuit.

Concernant l'exposition aux agents chimiques dangereux, la ministre du travail Muriel Pénicaud avait pourtant reconnu dès 2017 qu'il fallait trouver un nouveau dispositif pour les prendre en compte et assurer une traçabilité. Une mission a alors été confiée à Paul Frimat, dont les conclusions ont été publiées en catimini à l'automne 2018, concurrencées par le rapport de Charlotte Lecocq. Et depuis, plus rien. Le rapport est resté lettre morte et la traçabilité des expositions aux risques chimiques n'existe réglementairement pas.

Pouvoir utiliser librement les points du C2P

"Je suis favorable à l'idée de déplafonner les droits liés à la pénibilité, pour qu'on puisse les utiliser sans limite, soit pour se former, soit pour effectuer la fin de sa carrière à temps partiel", annonce le premier ministre.

Aujourd'hui, les 20 premiers points cumulés sur le C2P – sachant que les salariés cumulent 4 points par année entière lorsqu'ils sont exposés à un facteur et 8 points lorsqu'ils sont soumis à plusieurs – sont obligatoirement utilisés pour la formation (sauf pour ceux nés avant 1960 qui n'ont aucune contrainte, et ceux entre 1960 et 1962 qui ne doivent réserver à la formation que les 10 premiers points).

"Il n'y aura plus de limite à l'acquisition de points pour faire du temps partiel ou de la formation", explique Matignon dans le dossier de presse, précisant que ceux qui exercent toute leur carrière avec l'exposition à un critère auront + 60 % de droits, et + 320 % de droits pour "les carrières complètes de salariés exposés à plusieurs critères". Ainsi, les travailleurs exposés pourraient avoir en fin de carrière "de plus de 3 années à mi-temps payé temps plein".

Ce bonus pour ceux qui restent toute leur vie à un travail pénible qui va à l'encontre de le philosophie initiale du compte pénibilité : le principe était justement d'éviter à un travailleur de rester exposer toute sa carrière en lui permettant de se former pour changer de poste, ou de réduire son exposition en deçà des seuils via un temps partiel. Et d'inciter l'entreprise à travailler sur la prévention pour réduire l'exposition des travailleurs.

Concertation et calendrier

Toutes les évolutions concernant la pénibilité feront l'objet d'une concertation avec les partenaires sociaux, est-il promis. Le projet de loi doit être prêt à la fin de l'année et soumis au conseil des ministres le 22 janvier 2020. Il sera discuté au Parlement à la fin du mois de février. Objectif du gouvernement : entrée en vigueur des nouveaux droits au 1er janvier 2022.

"Dans les deux années qui viennent, prévoit Édouard Philippe, il nous faudra voter le projet de loi, et continuer à négocier avec les partenaires sociaux, tous les points, et ils sont nombreux, qui restent ouverts : la question de la pénibilité, la prise en compte des carrières longues, la question du travail des seniors et de l’aménagement des fins de carrière, les modalités de conversion des droits, sur lesquelles la loi aura donné des garanties, mais qu’il faudra définir régime par régime."

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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