Risque chimique : vers la fin des mesurages de VLEP obligatoires ?

Risque chimique : vers la fin des mesurages de VLEP obligatoires ?

16.09.2021

HSE

La réforme de la prévention du risque chimique est l’un des gros dossiers de la rentrée. Le ministère du travail aimerait supprimer des mesurages obligatoires. L’idée : fonder davantage la prévention sur des données d’exposition collectées par tâches.

« Si l’on met la barre trop haut pour les préventeurs, alors, on ne fait plus rien. » Voilà comment Corinne Piron, cheffe de l’inspection médicale du travail, motive la réforme qui se prépare sur le mesurage du risque chimique. L’idée est de supprimer une partie des obligations de mesurage de valeurs limites d’exposition professionnelle qui incombent aux employeurs et de les remplacer par des matrices tâches-expositions.

Un changement qui s’inscrit dans une refonte plus large de la partie du code du travail sur le risque chimique. Celle-ci prévoit, par exemple, de revoir les critères de définition des VLEP. La fusion de la réglementation pour les ACD (agents chimiques dangereux) et les CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques) est également en discussion.

La DGT a lancé les travaux dès 2015, avant de les mettre en pause au moment des missions Frimat et Lecocq. Ils reprennent donc maintenant : une séance de la commission spécialisée risques physiques, chimiques et biologiques (dite CS2) du Coct y sera consacrée le 6 octobre 2021.

« Ingérable »

« Le mesurage n’aurait plus vocation à être systématique et obligatoire », explique Corinne Piron. Aujourd’hui, les articles R4412-27 et R4412-76 du code du travail contraignent les employeurs à réaliser, respectivement pour les ACD et les CMR, des mesurages réguliers pour vérifier si les VLEP sont respectées. Or, « les partenaires sociaux – notamment les employeurs – estiment que c’est ingérable pour une petite entreprise, et que les grandes y consacrent de l’énergie qu’elles ne mettent ensuite pas dans la prévention », rapporte la médecin.

Dans son rapport remis en 2018, Paul Frimat estimait lui aussi que le dispositif actuel est « très contraignant et coûteux pour les entreprises, pour un intérêt relatif en termes de prévention ».

Cette obligation de mesurage ne serait respectée que dans 6 % des établissements concernés, d’après la dernière campagne de contrôle de l’inspection du travail citée par Paul Frimat.

De plus, les mesurages ne seraient pas toujours représentatifs, selon Corinne Piron, qui cite l’exemple du BTP, où les chantiers évoluent beaucoup dans le temps. De son côté, l'INRS avait montré, lors de vérifications concernant les fibres d’amiante, que « des résultats extrêmes et des anomalies persistent pour certains laboratoires accrédités ».

Juste un moyen

Supprimer une obligation simplement parce qu’elle n’est pas respectée ou mal appliquée ? Corinne Piron défend le pragmatisme. D’ailleurs, Sylvain Métropolyt, représentant de la CFDT à la CS2, est d’accord pour pointer les limites du dispositif actuel et notamment son manque d'application dans les petites entreprises. « Il faut replacer la mesure où elle doit être », défend celui qui regrette que des employeurs paient des laboratoires qui réalisent parfois des mesures alors même qu’aucune politique de prévention des risques chimiques n’est pensée en amont par l'entreprise.

« La vérification du respect des VLEP ne doit être considérée que comme un des moyens de s’assurer de l’efficacité des mesures de prévention et non comme un but en soi », écrivait Paul Frimat dans son rapport. « Se contenter d’un mesurage annuel n’a pas de sens, commente aussi Michel Cambrelin, président du GNMBTP (groupement national des médecins du BTP). Ce que propose la DGT est intéressant : cela peut peut-être permettre de s’attarder sur les moyens de prévention et les tâches. »

Matrices tâche-exposition

À la place de cette obligation de mesurage, la DGT parie sur des matrices dites tâche-exposition, c’est-à-dire des bases de données permettant de savoir que telle tâche expose à environ tel niveau de substance par m3, et que tel équipement de protection individuelle ou collective permet de diminuer de tant cette exposition. À ne pas confondre avec les matrices emploi exposition, beaucoup moins précises. Pour Corinne Piron, en démontrant qu’une tâche doit être réalisée de telle manière pour diviser par tant les émissions, ce nouvel outil permettrait de faire davantage de prévention.

Les matrices serviraient aussi à combler les blancs au moment des analyses de vie professionnelle si les employeurs n’ont pas réalisé les mesurages. Un traçage essentiel pour déterminer le suivi post exposition.

La DGT porte aussi l’idée (l’espoir ?) que les économies réalisées avec la suppression de ces obligations seront réinvesties dans la prévention. Ne s’agit-il pas là d’un pari un peu naïf ? « Aux pouvoirs publics d'être vigilants à ce que la baisse des obligations ne s’accompagne pas d’économies en prévention », répond sobrement Corinne Piron.

Ce changement de doctrine « deviendrait la règle mais peut-être que quelques substances seraient encore soumises au strict mesurage », précise la médecin du ministère. Et surtout, elle met en garde :

« Certaines entreprises vont peut-être crier victoire un peu vite en lisant que le mesurage n’est plus obligatoire dans 100 % des cas. En réalité, ce sera quand même à elles de justifier de l’évaluation du risque. L’employeur devra expliquer ce sur quoi il s’est fondé pour la réaliser. Si les matrices n’existent pas, il devra donc continuer à faire des mesurages. »

Rôle des branches

« Pour que cela fonctionne, il faudra beaucoup de données et qu’elles soient représentatives », commentait il y a quelques mois Patrick Brochard, professeur de médecine du travail au CHU de Bordeaux, plutôt sceptique, lors d’une réunion de la SFMT (Société française de médecine du travail).

Corinne Piron reconnaît que l’OPPBTP, l’INRS et les pouvoirs publics devront jouer le jeu. Aussi, elle imagine que la réalisation de ces matrices pourrait être à la main des branches. En résumé : « Soit la branche s’organise pour avoir une base de données fiable rapidement, soit les entreprises continueront à payer le mesurage ».  

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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