Selon que l’objectif d’une campagne est seulement de sensibiliser à un risque ou bien d’inciter à changer de comportement, il est plus ou moins facile d’estimer son impact réel. Julien Asselin, de l'OPPBTP, aimerait évidemment savoir combien de vies sont sauvées par une action sur les chutes de hauteur, mais il va plutôt évaluer la prise de conscience. Pour Pierre Arwidson, de Santé Publique France, « la meilleure évaluation serait de compter les accidents évités », et avec les bonnes questions, ce ne serait « pas si compliqué », mais de telles études ne peuvent être faites systématiquement.
Le 12 octobre 2024, le ministère du travail lançait une campagne de communication visant à promouvoir la prévention des accidents du travail graves et mortels. En septembre 2023, il en avait déjà mené une autre, différente, mais avec le même objectif. De telles opérations sont fréquentes. Difficile de toutes les recenser mais on se souvient de celles sur les troubles musculosquelettiques de l’OPPBTP en avril 2023, reconduite en septembre 2024, celles du même organisme sur les chutes de hauteur en juin 2023 et sur l’hygiène en octobre de la même année, celle du gouvernement plus généraliste mais multilingue lancée l’année dernière, de nouveau la campagne de l’OPPBTP sur les chutes de hauteur de mai 2024 ou encore, plus récemment celle de l’INRS auprès des jeunes menée en novembre.
HSE
Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement.
Une question se pose alors : ces campagnes sont-elles utiles ? Pour le savoir, faut-il encore mener des études d’impact. Les campagnes menées avec l’argent public sont systématiquement analysées par ce qu’on appelle des « post-tests », commandés par le service d’information du premier ministre. Contacté, ce service de Matignon n’a pas répondu à notre demande de communication des résultats du post-test de la précédente campagne sur les accidents graves et mortels sous Olivier Dussopt. Pierre Arwidson, directeur adjoint de la prévention chargé des affaires scientifiques de Santé publique France (SPF), explique : « Ces tests permettent de savoir quelles sont les personnes ayant été exposées, est-ce qu’elles ont compris le message, etc ».
Cependant, « les post-tests ne permettent pas de mesurer l’impact », observe Pierre Arwidson. En effet, ces analyses restent superficielles, alors qu’une véritable étude d’impact doit permettre de mesurer l’effet réel et concret de la campagne sur les comportements.
Une telle recherche a par exemple été réalisée pour la campagne du Mois sans tabac 2016 : un module avait été ajouté au baromètre santé de 2017. Parmi les questions : « avez-vous été exposé à la campagne ? », puis « avez-vous essayé d’arrêter au dernier trimestre 2016 ? ». La proportion de personnes exposées ayant tenté d’arrêter de fumer a donc pu être calculée. « 18 % des tentatives d’arrêt du dernier trimestre 2016 concernaient des gens qui déclaraient avoir été exposés à cette campagne », se souvient Pierre Arwidson. Et de poursuivre : « un an après, nous avons interrogé à nouveau ceux qui avaient fait une tentative et parmi eux, 6 % avaient effectivement arrêté de fumer ».
« Cette évaluation, c’est l’idéal, mais on ne peut pas le faire systématiquement », concède Pierre Arwidson. Pour aller encore plus loin, SPF a même travaillé avec l’OCDE pour estimer les bénéfices financiers de l’opération. « 1 euro investi dans le Mois sans tabac équivaut à 7 euros économisés dans les dépenses de santé », vante le cadre de l’institution publique.
Sans aller jusqu’à réaliser des études d’impacts comme l’entend Santé publique France, désormais, l’OPPBTP analyse lui aussi systématiquement la perception de ses campagnes ciblées. Un institut de sondage interroge des entreprises du BTP : celles qui ont été destinataires d’un mail lors de la campagne mais ne l’ont pas ouvert, celles qui l’ont ouvert et celles qui ont eu un contact privilégié avec l’OPPBTP à ce propos – c’est-à-dire qui ont bénéficié d’un diagnostic sur le terrain, par exemple. Des questions différentes sont posées selon la cible.
Résultats : Pour la dernière campagne sur les chutes de hauteur, 72 % des personnes interrogées se souvenaient du contenu. « Un score jamais atteint jusqu’alors », s’est félicité l’OPPBTP dans un communiqué. 78 % des entreprises interrogées disent que la campagne les incite à agir. 44 % de ceux qui l’ont reconnue disent avoir entrepris une action, comme l’affichage d’informations sur le sujet. Il s’agit uniquement de déclaratif bien sûr.
Concernant la campagne de l’OPPBTP sur l’hygiène menée de l’automne 2023, 72 % des entreprises interrogées estiment qu’elle a permis de prendre conscience de l’importance du sujet et d’identifier une importante marge de progression en la matière. En toute honnêteté, l’OPPBTP pointe cependant une limite : « seulement 34 % des entreprises interrogées qui ont reconnu un élément de la campagne disent avoir mis une action en place ». Et quand des mesures de prévention sont prises, portent-elles leur fruit ? L’OPPBTP ne le sait pas.
« Quand on fait de la prévention, il est légitime de se poser la question de notre utilité et de savoir si nous sommes efficaces. Nos études permettent d’y répondre », se félicite Julien Asselin, en charge des campagnes à l’OPPBTP. Avant de nuancer : « Quand par exemple mon rôle est de faire prendre conscience du risque de chute de hauteur, bien sûr que j’aimerais bien savoir combien de vies j’ai sauvées. Mais je n’aurai jamais la réponse ». Et de poursuivre : « En revanche, si je m’intéresse à l’objectif fixé, qui est ici la prise de conscience, alors, je peux le savoir ». Il précise : « Il est important de rester sur des objectifs réalistes. Pour nous, en premier lieu c’est la prise en conscience et seulement derrière donner l’envie d’agir ».
Selon Pierre Arwidson, qui n’est certes pas expert des questions de santé au travail mais qui en connaît un rayon en matière de campagnes de santé publique, l’objectivation de l’effet réel de ses campagnes sur les accidents du travail est tout à fait possible. Il indique : « La meilleure évaluation serait de compter les accidents évités, en regardant si les chiffres ont changé dans les entreprises qui disent avoir mis des mesures après la campagne ». Comment tracer et isoler cette influence alors les employeurs peuvent en même temps être sensibilisés par des fédérations professionnelles, le CSE ou encore le service de santé au travail ? « Ce n’est pas si compliqué : vous interrogez un échantillon d’entreprises et vous essayez de capter les différentes influences auxquelles elles ont été soumises. Il faut juste poser des questions précises pour obtenir des réponses précises », explique simplement Pierre Arwidson.
« Ces études ont un coût mais sont sources d’apprentissage », commente Julien Asselin. Les post-tests servent in fine à améliorer l’efficacité des campagnes suivantes. Aussi, ce qu’on appelle le marketing social fournit des enseignements sur les méthodes opérantes pour faire changer les comportements. Les pionniers en la matière ont été les Australiens. La littérature est désormais fournie. Les travaux ont surtout porté sur les campagnes de lutte contre les addictions. De manière générale, « les sciences comportementales montrent que les gens ne sont pas si rationnels que ça. Donc il faut oublier l’idée d’un citoyen éclairé et plutôt insister sur l’émotion », résume Pierre Arwidson.
Au-delà des connaissances issues du marketing social, pour mener une bonne campagne, il faut d’abord comprendre et connaître le public à qui elle s’adresse. En plus des études documentaires, des pré-tests sont parfois effectués : on soumet différentes versions de la campagne à plusieurs panels pour obtenir des résultats en laboratoire en quelque sorte, avant de la lancer grandeur nature. Pierre Arwidson de conclure : « C’est exactement ce que font les vendeurs de yaourt ».
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