Scandale de l'amiante : déchiffrer l'imbroglio judiciaire

Scandale de l'amiante : déchiffrer l'imbroglio judiciaire

30.07.2019

HSE

Eternit, Valeo, Jussieu, Normed… difficile d'y voir clair dans l'affaire de l'amiante, tant les dossiers sont nombreux et l'histoire longue. Et pourtant, le procès pénal de ceux qu'on qualifie de responsables nationaux n'a toujours pas eu lieu. Des victimes changent alors de stratégie.

"C'est une quarantaine de procédures pénales dont une trentaine à l'instruction", affirmait Eric Dupond-Moretti il y a quelques mois à propos de l'affaire de l'amiante en France. Michel Parigot, de l'AVA (association nationale des victimes de l'amiante et autres polluants) ne préfère pas donner de chiffre, en scrupuleux mathématicien qu'il est. Une chose est sûre : les volets du dossier pénal de l'amiante sont nombreux, se suivent, se ressemblent... mais ont tous leurs particularités. En juillet, deux nouveaux non-lieux ont été rendus, pour les dossiers Eternit et Valeo-Ferodo. Qu'en est-il des autres dossiers ? Est-ce la fin de l'histoire judiciaire qui entoure ce matériau mortel ? L'idée d'un procès pénal est-elle enterrée ? 

Attention à ne pas tout confondre. Nous parlons du volet pénal. Au civil, pas de problème particulier, les victimes reçoivent normalement réparation ; certaines, non malades, se voient même reconnaître un préjudice d'anxiété. Ensuite, le fameux procès pénal, qui n'a pas encore vu le jour, concernerait ce qu'on appelle le scandale de l'amiante, c'est-à-dire son utilisation dans les années 1980 et 1990, alors même que sa nocivité était connue. Les affaires concernent donc, pour le moment en tous cas, des entreprises ou des lieux de travail dans lesquels il y avait de l'amiante avant son interdiction en 1997. 

À ne pas confondre, donc, avec des procès dans lesquels des employeurs sont condamnés au pénal pour mise en danger de la vie d'autrui pour ne pas avoir respecté les règles de prévention après l'interdiction de l'amiante, comme Vinci et son directeur d'exploitation l'an dernier, ou le CHU de Besançon en 2017. La mobilisation dans les écoles et les tribunaux, où de l'amiante est présente, s'accentue ces derniers temps. Il ne s'agit pas non plus, pour le moment, directement, des dossiers en cours.

"On a dépolitisé le dossier"

Avec sa première plainte contre X déposée en 1996, l'Andeva (Association nationale de défense des victimes de l'amiante) visait les responsables nationaux, c'est-à-dire principalement le CPA (comité permanent amiante), constitué de médecins, scientifiques et industriels qui militaient contre l'interdiction de l'amiante. Le travail de ce groupe de lobbying monté en 1982 était efficace puisque le matériau n'a été interdit en France qu'en 1997 alors que sa nocivité était connue depuis plusieurs décennies. L'Andeva a ensuite décliné les plaintes par site. Les tribunaux se sont davantage penchés sur la responsabilité des directeurs d'entreprise, voire des responsables de site. La plainte initiale, peu solide, a fait l'objet d'un non-lieu.

Les affaires ont ensuite été regroupées aux deux pôles santé publique, créés entre temps à Paris et Marseille, justement à la demande des associations de victimes. À Paris, la juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy a mis en examen plusieurs responsables nationaux, dont des membres du CPA. Ses successeurs n'ont pas poursuivi sur la même lancée, et la mise en examen des décideurs nationaux a été annulée dans tous les dossiers, ce qui fait dire à Alain Bobbio, président de l'Andeva, "qu'on a dépolitisé le dossier". La Cour de cassation a validé cette annulation de mise en examen pour les dossiers Normed et Jussieu en décembre 2018.

Non-lieux

Restent poursuivis des chefs d'établissement, pour homicide involontaire. Mais maintenant, les non lieux tombent les uns après les autres. L'argumentaire retenu est qu'il est impossible de dater l'intoxication, donc le fait à l'origine du dommage. D'après les associations de victimes et l'épidémiologiste Christophe Paris, les juges font là une lecture erronée du rapport d'expertise

Ont déjà fait l'objet de tels non-lieux : la centrale EDF d'Arjuzanx, Everite (fabriquant d'amiante-ciment filiale de Saint-Gobain), la Direction des chantiers navals (à Brest et Cherbourg), Charbonnages de France, et plus récemment Eternit (fabriquant d'amiante-ciment) et Valeo-Ferodo (équipementier automobile), implanté à Condé-sur-Noireau, rebaptisée "la vallée de la mort". Le parquet ne précise pas le nombre de dossiers en cours. Dans l'ordonnance rendue pour Eternit, on lit "plusieurs dizaines de dossiers regroupés" aux pôles santé publique. Michel Parigot n'exclue pas d'autres affaires hors des radars des deux grandes associations de victimes. Des procédures d'appel sont lancées pour la plupart de ces dossiers.

Pour Eternit, l'ordonnance de non-lieu comporte un argumentaire supplémentaire : les juges d'instruction, en plus de déclarer l'impossibilité de dater la réalisation du fait à l'origine du dommage, ne perçoivent "aucun manquement fautif". Pour eux, les mis en cause "se sont efforcés de réduire" le risque amiante "par des consignes de prévention et des équipements adaptés [...]". 

Nouvelle stratégie

Les décisions n'ont pas encore été rendues pour les dossiers Normed (pour parler du chantier naval de Dunkerque), Sollac (usine de sidérurgie de Dunkerque aussi) et Jussieu (du nom d'un campus universitaire parisien). Alain Bobbio, de l'Andeva, a peu d'espoir et s'attend à un nouveau non-lieu fondé sur le même argumentaire que pour Eternit et Valeo-Ferodo. L'AVA (qui regroupe notamment l'Ardeva 59-62, à Dunkerque, et le Comité anti-amiante Jussieu, issue d'une scission au sein de l'Andeva) garde espoir et rappelle que l'instruction n'est pas close. Le pénaliste Eric Dupond-Moretti a repris ces deux dossiers en main (avec Sollac et Eternit), et "on fait de la procédure, des actions judiciaires continuent d'être menées", assure Michel Parigot, président du Comité anti-amiante Jusssieu, qui ne préfère pas donner de détail.

Parallèlement à cette reprise en main, l'AVA a annoncé une nouvelle stratégie. Elle lance une "citation directe collective". L'intérêt est de court-circuiter les procureurs et juges d'instruction. C'est au plaignant d'apporter les preuves. Par contre, impossible d'utiliser des éléments des anciens dossiers, secret de l'instruction oblige. Michel Parigot ne préfère pas donner de nom mais les personnes citées sont des membres du CPA. "En plus de l'homicide involontaire et des blessures involontaires qui figuraient dans les plaintes, des incriminations nouvelles seront invoquées à l'encontre de ces responsables", annonce l'association.

La citation directe devrait être déposée au tribunal de grande instance de Paris début septembre. Pour le moment, un millier de victimes sont déjà de la partie, dont, cette fois, des personnes contaminées après 1997 (ouvriers du BTP, garagistes…). Pour faciliter les démarches, des formulaires sont à leur disposition. La procédure devrait ensuite prendre un an et demi environ, d'après Eric Dupond-Moretti. Une course contre la montre, puisque les responsables nationaux décèdent les uns après les autres.

 

Lire aussi : Crimes industriels : faut-il changer la loi pour que les responsables soient condamnés ?

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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